Personne ne se vantait d’habiter à Saint-Colomban il y a 20 ans. Surtout pas les ados qui débarquaient à l’École polyvalente Saint-Jérôme, à une demi-heure de bus de chez eux. « On se faisait écœurer solidement ! Ça voulait dire que t’étais pauvre et que tu venais d’un trou où les autobus restaient pris dans la neige », se rappelle Xavier-Antoine Lalande, le maire de cette municipalité installée au pied du bouclier laurentien, où profitent l’érable rouge, le pin blanc et le peuplier baumier.
L’élu de 36 ans, un grand brun au style décontracté, a vu le bled perdu de son enfance se transformer en bourgade huppée de presque 18 000 habitants, en bonne partie des professionnels dont les nouvelles propriétés, bâties sur de vastes terrains boisés, bordent les ruisseaux et les rivières du territoire. « Ici, on est dans le film Pleasantville », illustre-t-il, désignant les familles qui déambulent au marché public de Saint-Colomban, les loupiots sur les épaules des parents, à l’affût des échantillons à goûter de fromages fins, de tartes maison et de saucisses artisanales. « Les demeures et les terrains ont de la valeur, alors ça prend une situation familiale parfaite, c’est-à-dire un couple qui travaille et qui fait de l’argent, pour que tout tienne en place ! »
Pour l’instant, en tout cas, on fait des petits à Pleasantville : plus d’un résidant sur cinq a moins de 15 ans. Une proportion nettement plus élevée que dans le reste du Canada, où 15,7 % de la population appartient à ce groupe d’âge, selon Statistique Canada. Sa croissance démographique y est fulgurante, avec une augmentation moyenne de la population de 17,5 % depuis cinq ans (contre 5 % pour l’ensemble des villes canadiennes, selon le dernier recensement). D’autres villes des Laurentides connaissent aussi un boum remarquable, dont Sainte-Marthe-sur-le-Lac, Sainte-Sophie, Mirabel et Sainte-Adèle.
Cette ruée vers le Nord est en partie liée à la préférence des Québécois pour la maison individuelle avec cour gazonnée — neuve, autant que possible. Et à leur volonté marquée d’être propriétaires. « Ce sont des valeurs très fortes, présentes depuis des générations, et que les études menées entre autres par le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues confirment année après année, bien que des nuances s’imposent en ce qui concerne les jeunes », affirme Sébastien Lord, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage à l’Université de Montréal, et directeur de l’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier.
Ces traits ne sont pas présents dans toutes les cultures, dit-il. En Europe, par exemple, le coût des maisons est souvent exorbitant, et l’espace disponible pour se construire, très limité. Ce qui n’est pas le cas au Québec. « L’environnement, si tu regardes dehors, tu vas voir, y en reste en masse, en masse », a illustré Richard Desjardins dans un monologue. Il faut néanmoins s’éloigner de plus en plus des grands centres pour réaliser son rêve de nouvelle construction en pleine nature, comme à Saint-Colomban. Des secteurs résidentiels similaires poussent également à Stoneham et à Lac-Beauport, au nord de Québec, note Sébastien Lord.
Au-delà du fantasme du bungalow, la flambée du prix des maisons à Montréal explique aussi l’exode. Comme le disent les Américains, drive until you qualify (roulez jusqu’à ce que vous puissiez obtenir une hypothèque). « C’est parfois par dépit que les gens s’éloignent, parce qu’ils n’ont plus les moyens de rester en ville, précise Juan Torres, également professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage. En particulier lorsque naissent les enfants, une période de la vie où le travail rémunéré diminue, alors même que les dépenses se multiplient et qu’un logement plus grand est nécessaire. »
Ainsi, Montréal a perdu 24 000 résidants l’an dernier, surtout des familles avec enfants, révèle une analyse de l’Institut de la statistique du Québec. Principalement au profit des Laurentides, qui récoltent la palme des migrations interrégionales dans la province, avec la Montérégie. Sur le plan financier, c’est gagnant : un ménage âgé de 25 à 44 ans ayant quitté Montréal pour la Rive-Nord en 2016 économise 380 dollars par mois, même en tenant compte des coûts de déplacement, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement.
« La venue de Bombardier à Mirabel en 2013 a tout changé »
Jean Bouchard, maire de Mirabel
Philippe Leclerc, qui était à la base un « p’tit gars de ruelle » du quartier Saint-Léonard, à Montréal, s’est installé il y a cinq ans à Piedmont, une localité d’environ 3 000 habitants près de Saint-Sauveur, avec sa blonde et leurs deux garçons. « C’est comme vivre au milieu d’un grand terrain de jeu », décrit le politologue de formation, maintenant directeur du Conseil des préfets et des élus de la région des Laurentides.
Il a pris cette décision parce qu’il ressentait « l’appel d’habiter le territoire », tels les défricheurs d’antan. Et qu’il y flairait des occasions d’affaires. « Il y a de l’avenir ici. Depuis quelques années, les jobs intéressants se multiplient dans des secteurs où la région fait figure de proue au Québec, comme l’électrification des transports, l’agroalimentaire, le tourisme. » Ainsi, le nombre d’emplois a grimpé de 5 % depuis 2014, alors qu’un bond semblable (4,2 %) s’observe du côté de la création d’entreprises.
Le « mini-Toulouse » de Mirabel est en partie responsable de ce bouillonnement. Le site de l’aéroport, qui conserve quelques vestiges vintage de l’époque où des avions de passagers y atterrissaient — dont le très beige Château de l’Aéroport, un hôtel abandonné où les rideaux des chambres prennent la poussière depuis 15 ans —, est aujourd’hui un pôle aéronautique de premier plan. Les transporteurs de marchandises UPS, Purolator et DHL s’activent jour et nuit sur les pistes, à deux pas de l’impressionnant complexe industriel réunissant les plus grands acteurs du domaine de l’aviation — Airbus, Nolinor et L3 MAS, entre autres.
« La venue de Bombardier à Mirabel en 2013 a tout changé », explique le maire Jean Bouchard, que nous avons rencontré à l’occasion d’une tournée de sa municipalité en super-expansion. Le fabricant de moteurs d’avion Pratt & Whitney a suivi, puis un paquet de sous-traitants. « En ce moment, on doit refuser tous les jours des demandes d’entreprises qui souhaitent s’implanter sur le site, faute d’espace. » Mais Mirabel a dans sa mire des terrains voisins de l’aéroport appartenant au fédéral ; si la transaction fonctionne, le nombre d’emplois liés à l’aéronautique, qui s’élève en ce moment à 6 000, pourrait tripler.
S’ajoutent à cette vitalité industrielle les besoins de la population grandissante, passée de 42 600 habitants en 2011 à 56 984 aujourd’hui. Autant de Mirabellois qu’il faut loger, nourrir, vêtir, divertir. Pour les commerçants de la région, c’est une occasion en or. Esber Esber, surnommé « Monsieur Olive » par les habitués du marché public de Saint-Colomban, a même déménagé les installations de sa petite entreprise, Huilerie Koura, pour profiter de la manne. « On était à Gatineau, mais on avait tellement de commandes de la part de traiteurs et de restaurants des Laurentides qu’il devenait plus rentable de s’en venir dans le coin, à Lachute. »
Marie-Lyne Melo, la propriétaire du casse-croûte Chez Melo, à Saint-Colomban, ne sait plus où donner de la tête, tant l’appétit pour son fameux poulet portugais s’est accru depuis cinq ans. « J’ai triplé mon chiffre d’affaires. Je ne fournis plus ! Je travaille sept jours sur sept, et quand je veux prendre congé, je suis obligée de fermer le resto. J’embaucherais bien, mais il n’y a pas de main-d’œuvre ! »
Un problème auquel s’attaquent les autorités régionales depuis quelques mois, afin de pourvoir les 6 000 postes vacants. « On a lancé une campagne publicitaire pour inciter les travailleurs des Laurentides, qui sont 300 000, à se trouver un emploi chez eux, dit Philippe Leclerc. Le tiers d’entre eux se rendent chaque jour à Montréal ou à Laval. Dans un des messages, “Te lever à 5 h, revenir à 8 h” devient “Te lever à 8 h, revenir à 5 h”. »
Le slogan n’est pas exagéré : le 5 h à 20 h, c’était souvent le quotidien de Kevin Savoie et Lyne Boivin, un couple de Blainville, dans les Basses-Laurentides. Jusqu’à ce que Kevin « attrape une crampe au cerveau », un soir de congestion, l’hiver dernier. « Le trafic n’est plus gérable vers Montréal. Je passais 20 heures de ma semaine en char ! » Lyne, sa conjointe, est tombée malade à force de se lever à 4 h pour prendre le premier train en direction du centre-ville, la seule manière d’avoir une chance de se garer dans le stationnement archiplein de la gare.
Les deux ont largué leur poste et travaillent aujourd’hui dans la région, Kevin à Mirabel, pour Airbus, et Lyne à partir de la maison, pour Porter Airlines. « Je fais 10 000 dollars de moins par année, dit cette dernière, mais maintenant on soupe en famille, avec notre fille. On avait embarqué dans une roue, sans s’en rendre compte. Mais ça passe vite, une vie ; on n’en profitait pas. »
Définitivement le maire de St-Colomban, Xavier-Antoine Lalande est un maire allumé et très proche de ses citoyens. Il est efficace et gardera certainement son poste longtemps.