Le complexe du pauvre

Le Québec a souvent honte de lui-même, et l’histoire mêlant François Legault et l’Association des libraires du Québec sur fond de censure ne dit pas autre chose.

Photo : Daphné Caron

Depuis dimanche dernier, l’histoire a fait couler beaucoup d’encre. Le premier ministre François Legault, à la demande de l’Association des libraires du Québec (ALQ), avait, comme des dizaines de personnalités, dressé sa liste de suggestions de lecture. François Legault est un grand lecteur, qui dévore tous azimuts. Dans sa liste, un ouvrage de Mathieu Bock-Côté a fait réagir cinq ou six wokes qui se sont plaints, offusqués, ce qui a amené quelqu’un à l’ALQ à faire disparaître manu militari la sélection du premier ministre.

L’affaire, qui survient après celle du « mot en n » à l’Université d’Ottawa et celle de l’épisode de La petite vie retiré puis réintégré sur la plateforme Web de Radio-Canada, a causé une déferlante sur les réseaux sociaux, où, trouvant hautement déplacée la décision de l’Association des libraires, des internautes se sont déchaînés, promettant de boycotter les librairies indépendantes. Idée contreproductive, car lesdites librairies sont des lieux vivants qui se fendent en quatre pour promouvoir les livres et les points de vue, les mettre en contact avec les lecteurs partout au Québec. De nombreux libraires étaient eux-mêmes dévastés par cette prise de position d’un responsable de leur association.

Avec le recul, cette histoire est encore plus navrante qu’il n’y paraît.

Pas pour Mathieu Bock-Côté, dont des fans ont promis d’acheter L’empire du politiquement correct… sur Amazon ou au Costco.

On assiste ici à une stupéfiante et ironique concordance des temps. D’un côté, un dirigeant politique qui faisait déjà part de ses lectures sur les réseaux sociaux tous les week-ends. Il est chaque fois condamné par certains internautes parce qu’il lit — sacrilège — pendant une pandémie. Ce qui serait, selon ces ti-counes à avatars de pitbulls, amoral et irresponsable. De l’autre côté, une association de librairies indépendantes qui endosse le blâme de certains internautes quant au choix même de lectures de cet élu, ce qui témoigne d’une rare arrogance morale. 

Si je trouve important de revenir sur cette histoire, c’est précisément à cause de cette conjonction inouïe entre des crétins qui tiennent la lecture pour une perte de temps et des militants radicaux surscolarisés. Il y a derrière tout cela une méfiance envers celui ou celle qui lit, qui pense. Une manifestation moderne de l’anti-intellectualisme québécois. Joseph Facal, aux Francs-tireurs cette semaine, appelait justement ça le « retour de la Petite Noirceur ».

Notre « complexe du pauvre », ce Québec peu équipé pour la joute intellectuelle, les raisonnements élaborés, les livres écrits petit, et qui préfère la simplicité des arguments, rebondit encore une fois. On n’aime pas les intellos, on se méfie d’un élu qui lit. On lui fait comprendre sur Facebook que son élévation intellectuelle est incompatible avec la guerre de tranchées livrée à la COVID. J’ai tout vu : « On ne lit pas en temps de pandémie ». Mieux : « Un premier ministre ne lit pas ; il gouverne. » Un peu plus et François Legault devrait être en CHSLD à combattre le virus à mains nues, précisément parce qu’il est le premier citoyen du Québec ! La lecture, sous-entend-on d’un bord, est perte de temps. Elle est condamnable quand son objet est « fautif », juge-t-on de l’autre. Dans tous les cas, la lecture continue d’être suspecte au Québec, même pour des émissaires de librairies.

Cette histoire se termine bien. Il y a eu excuses de l’ALQ, et la « wokitude » a brièvement mordu la poussière. Mais elle a mis en lumière cette alliance improbable : les radicaux et les imbéciles partagent les mêmes haines. Et comme le Québec a souvent honte de lui-même, cette union est inquiétante…

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Je me demande parfois s’il existe deux mondes, comme le reflet d’un miroir, un monde un peu à la Lewis Carol ou un monde victorien à la Oscar Wilde, un monde à l’envers et un monde à l’endroit. Les deux se ressemblent drôlement et ils se ressemblent d’autant plus que dans le monde à l’envers, il y a des habitants du monde à l’endroit qui sont passés de l’autre côté du miroir sans trop savoir pourquoi ; inversement dans le monde à l’endroit, il y a des habitants du monde à l’envers qui sont passés dans le monde à l’endroit sans non plus trop savoir pourquoi.

Il faudrait alors parler « d’un joli chaos » pour reprendre la formule de Daniel Bélanger et si ce joli chaos devait exister sur Terre, le Québec en serait la parfaite illustration.

Ainsi nous attachons beaucoup d’importance à la culture, nous estimons que nous ne vivons pas assez en français, ce qui après tout n’est pas faux. Mais en même temps nous ne supportons pas qu’il y ait des gens cultivés et intelligents.

Les Québécois soutiennent politiquement Legault, mais le fait qu’il lise, est — comme le démontre parfaitement Marie-France Bazzo — carrément suspect. Ce que nos Québécois oublient, c’est que François Legault est un p’tit gars de Sainte-Anne-de-Bellevue. Sainte-Anne qui est la sainte patronne des Bretons, est toujours représentée avec un livre à la main. C’est elle qui incarne dans l’iconographie chrétienne : l’instruction.

On ne peut pas soutenir la laïcité, si on ne soutient pas le civisme, l’instruction publique et l’instruction de l’instruction.

Bien que je ne sois pas « Caquiste » pour deux sous. Je pense que nos concitoyens devraient suivre l’exemple de monsieur Legault, ouvrir des livres, prendre le temps de lire, comprendre d’où nous venons et vers quoi nous allons.

Dommage que vous ayez senti la nécessité de préciser que vous n’êtes pas caquiste. De quoi avez-vous peur? Vous êtes comme ceux qui, dans ce conflit, ont dit « je ne suis pas fan de MBC, mais… » Eh bien moi je défends ces deux Québécois et je ne vous dirai pas pour qui je vote!

« De quoi avez-vous peur? » — disiez-vous ?

Je peux répondre sans problème à votre question. J’ai surtout peur de personnes comme vous, des personnes qui ne me connaissent pas et qui me jugent sur un seul mot : « caquiste ». Je ne vous ai pas dit non plus pour qui je vote. Je vais vous le dire : la plupart des gens me croient libéral mais aux dernières élections j’ai choisi le Parti Québécois. Je n’écris pas par nécessité, mais pour le plaisir.

Alors non, je ne suis pas pour un parti qui se voulait une coalition arc-en-ciel ouverte à tous, mais qui flatte pour fins électorales ce qu’il y a de plus puant dans le nationalisme.

Vous pensez pouvoir défendre mieux que moi Mathieu Bock-Côté que vous n’avez même pas la vaillance d’écrire son nom en toutes lettres et puis François Legault alors que je n’ai attaqué personne ; de telle sorte que vous faites une différence entre vous et moi. À l’effet que vous seriez — si je décode vos propos — plus « smart » que moi.

Je respecte les choix de lecture de monsieur Legault. D’ailleurs Philippe Couillard était aussi un adepte des chroniques de monsieur Bock-Côté. La question est plutôt de savoir si les gens comprennent toujours ce qu’ils lisent ou s’ils y voient ce qui ne s’y trouve pas.

Ce que je défends madame Bisaillon, c’est d’abord et avant tout l’instruction publique. L’instruction, est-ce que vous comprenez ce mot là ? C’est en ce domaine que nous devrions travailler tous ensemble comme nation.

Je ne fais de différences entre personnes, madame Ginette Bisaillon. Mais selon moi, votre principal défaut, c’est que vous n’avez aucun sens de l’humour et de la dérision.

Merci beaucoup pour vos leçons. J’attache toujours une grande importance aux commentaires qui me sont adressés. C’est pour cela que je vous réponds.

Je ne l’aurais jamais connue la fameuse liste de lectures de Monsieur Legault sans cette ridicule histoire et quand je l’ai lue notre premier ministre a monté d’une coche dans mon estime. Un bon dirigeant de doit d’être curieux et informé, même si une partie de ses électeurs ne le sont clairement pas.

Une lettre ouverte comprenant Stanley Pean dénonce que dans cette liste du Premier ministre ce trouve un intellectuel honnie de la go gauche vertueuse. Cet intellectuel a été mis à l’index par ces personnes au point où juste voir son nom leur lève le cœur. Alors, ils ne le lisent surtout pas car il est porteur d’une maladie honteuse, c’est un « identitaire » donc nationaliste de droite, donc raciste, islamophobe etc. De qui s’agit-il? Mathieu Bock-Coté l’intellectuel honteux pour cette go gauche vertueuse qui ne sait plus débattre, c’est tellement plus facile de proscrire. Ne trouvez-vous pas que cette go gauche ressemble de plus en plus à un mouvement religieux ?

Personnellement, je n’ai rien contre ceux qui lisent, au contraire. Je dirais même qu’en général les gens ne lisent pas suffisamment. Toutefois, je m’interroge sérieusement en ce qui concerne notre Premier Ministre. Comment trouve-t-il le temps de lire autant ? Ça ne correspond pas du tout avec l’emploi du temps que l’on imagine pour cet emploi !

Pour certaines personnes, dont j’en suis, lire c’est comme manger ou respirer, c’est indispensable dans ma journée et cela même quand j’étais très occupé, je trouvais quelques minutes pour lire. D’ailleurs un bon leader délègue, il « coache » les gens qui travaillent pour lui et se garde du temps pour ses activités favorites et pour la détente car un leader trop stressé risque de commettre des erreurs. D’un autre côté, un leader qui fait du « micro-management » et qui prend tout sur ses épaules risque de décourager les gens qui sont là pour l’appuyer et les risques de dérapages sont décuplés. Alors, bonne lecture M. Legault et n’hésitez pas à déléguer!

Monsieur Legault a un horaire bien rempli. Il a appris depuis belle lurette à bien gérer son précieux temps.

Je comprend fort bien qu’il y a beaucoup de gens qui sont foncièrement illétrés et ne peuvent lire un livre de plus de 100 pages mais j’ai du mal à comprendre ce site des libraires qui se soumet à des commentaires de gens qui ne sont visiblement pas surscolarisés. Au contraire, la lecture des œuvres des gens qui ne pensent pas comme nous est indispensable pour avoir une meilleure idée de la discussion. J’imagine qu’ils ont réagi en panique comme ce fut le cas de bien d’autres en ces temps de pandémie, comme l’université d’Ottawa et Radio-Canada. Ça ne devrait surtout pas nous empêcher de soutenir et d’encourager les libraires indépendants.

Désolé mais décevant billet, madame Bazzo.

Cette « tourmente » démontre simplement une chose; le type de l’association des libraires n’est probablement à sa place. Point.

Ramer dans le « complexe du pauvre du Québec » (réel ou non), devant un fait divers aussi banal, alors là, madame Bazzo!

P.S. Il faudra éventuellement en revenir de constater que les nonos ont également accès à internet.

Bravo madame Bazzo! Je viens d’une famille de grandes lectrices, elles ont été un modèle pour nous la génération suivante. Sans la lecture comment découvrir de nouvelles cultures, de nouveaux horizons et même, sa propre culture? La lecture nous apprend à réfléchir, nous force parfois à argumenter, nous apprend… elle nous décentre de notre nombril. On relève la tête et on regarde plus loin et, pour paraphraser Marie Cardinal, elle nous donne « les mots pour le dire ». Alors oui cette alliance wokes et illettrés est inquiétante puisque ces wokes, loin d’être illettrés, jouent avec le feu celui de l’intolérance si facilement « injectable » chez ceux qui manquent d’outils pour réfléchir. Merci à vous et aux autres courageux qui se tiennent debout!

Je soupçonne que ceux, de droite comme de gauche, qui se déchaînent sur les réseaux sociaux au sujet des habitudes de lecture du P.M. ont tout simplement oublié le plaisir de lire des livres ainsi que le fait que lire ne prend pas tant de temps en fin de compte. Probablement que ces radicaux passent tout leur temps sur les réseaux sociaux d’abord à consulter les tweets et les affirmations de ceux qui pensent comme eux (ainsi ils assimilent leur doxa) puis à rédiger, régurgiter de nouveaux tweets ou des statuts qui spinnent cette même doxa, en pensant qu’ils participent pleinement à la guerre d’influence actuelle. OUf. Les réseaux sociaux sont chronophages, bruyants et il est facile de s’y noyer. Face à cette nouvelle réalité, la lecture dans le silence, chez soi, est un rampart de sanité.

Oui, c’est fort le complexe du pauvre d’esprit. Nous sommes en pleine dégénérescence intellectuelle au Québec. J’attends le bye bye , l’anglais et les sacres à gogo…

Du plus loin de mes souvenirs Maurice Duplessis crachait sur ceux qui lisent et sur la culture aussi,et il en reste dans le fond de l`air.Mais ya eu du progrès,heureusement.Merci pour votre article.

Mme Bazzo, mon commentaires est totalement hors propos mais vous me manquez !! Je ne me suis jamais remise de la fin d’Indicadif présent. Je viens de m’abonner à l’Actualité pour vous lire, n’en partez pas svp 🙂