Le coude

Il aura suffi de quelques mois pour que le coude se voie catapulté à l’avant-scène. Et il n’y a guère que le masque pour lui offrir un peu de répit.

Photo : L'actualité

Je me demande à quel point le coude est content d’être la nouvelle star de nos vies. Jusqu’à maintenant, le coude jouissait d’un anonymat relatif. Centriste par sa position au milieu du bras, discret de nature, rarement nommé, sauf peut-être dans une ou deux expressions de la langue française, il pouvait humblement s’effacer dans un rôle digne de la Suisse.

Mais voici qu’une pandémie plus tard, il se voit catapulté à l’avant-scène. On peut deviner l’âge de quelqu’un en lui demandant comment on lui a appris à tousser. « Tousse dans ta main. » Je suis de cette génération. « Mets ta main devant ta bouche quand tu tousses. » Voilà ce qu’on m’apprenait à l’école primaire. Mais à la rentrée 2020, pointez-vous dans une classe de maternelle et enseignez à la vingtaine de jolis mousses qu’il faut tousser dans sa main et quelqu’un va appeler la police.

Êtes-vous fous ? La réforme veut maintenant que les petits fassent couler l’eau de l’abreuvoir pour s’éviter des gorgées de plomb et apprennent dur comme fer que c’est dans son coude que l’on tousse. Je pense que la génération d’avant moi toussait dans l’air et celle d’avant dans un mouchoir brodé. En tout cas, je sais que de passer de la main au coude ne se fait pas facilement pour toutes les générations. En témoigne notre cher premier ministre que l’on a vu plusieurs fois en conférence de presse, en pleine pandémie rugissante, tousser dans son poing fermé devant les yeux écarquillés de toute une population obéissant aux règles. « Dans votre coude, monsieur le premier ministre. Dans votre coude. »

La nouveauté, qui détrône le coude et lui donne un répit bien mérité, c’est le masque. Toussez dans votre masque tout le monde. C’est là que doivent aller les gouttelettes. N’empêche que l’articulation du bras n’est pas près de retourner roupiller, le voilà non seulement sur toutes les affiches de consignes d’hygiène du monde, il sert maintenant aussi de poignées de main !

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Alors après m’avoir enduit toute la journée de vos gouttelettes, vous vous servez maintenant de moi pour saluer les autres ? » Ça a tout d’étonnant, mais je les vois ces hommes se faire un petit coup de coude sympathique pour saluer un voisin qu’ils croisent. Les humains ont bien du mal à ne pas se toucher. Le toucher du coude restera-t-il ? La poignée de main reviendra-t-elle donner des vacances au coude, reverrons-nous même un jour la bise ?! Imaginez cette idée folle ! Gageons que nos coudes aimeraient bien qu’on les remplace, eux qui pouvaient confortablement passer inaperçus jusqu’à ce qu’on les fasse sursauter contre un meuble…

La première ligne met de l’avant ceux qui ne s’y attendaient pas, le coude n’est pas près de retourner dans son anonymat.