Le curieux parcours linguistique de la COVID

Pourquoi écrit-on « COVID-19 » différemment en France et au Québec ? Parce qu’on a des façons bien différentes d’intégrer les néologismes.

Montage : L'actualité

Je me rappelle qu’au début de la crise sanitaire, en mars 2020, on s’amusait de tous les nouveaux mots et expressions qui apparaissaient. La plupart ont été plutôt éphémères, comme « covidiot » ou « e-péro », mais certains se sont implantés, comme « COVID », « confinement » et « présentiel ». 

Mais c’est « COVID » qui remporte la palme en matière de curiosité linguistique, puisqu’il a connu plusieurs évolutions très rapides dans sa graphie et son genre. Les Français l’écrivent en lettres minuscules, et cet usage tend à se répandre au Québec également. (Moi-même, j’ai tendance à l’écrire en minuscules, même si la norme à L’actualité et dans la presse en général est encore à la majuscule.) Quant au « 19 », il s’est vite démodé en France, mais il subsiste au Québec, quoique sa présence s’érode ici aussi. Par exemple, dans la banque de données Eureka, qui recense tous les articles publiés, on voit qu’en avril 2020, la quasi-totalité des occurrences faisaient état de « COVID-19 » au Canada. Mais en décembre, le « 19 » avait sauté dans presque 20 % des cas.

C’est aussi devenu un nom à deux genres, un phénomène assez rare en français, avec un emploi au masculin en Europe et au féminin au Canada, plus particulièrement au Québec. En France, l’usage commence toutefois à tourner à l’avantage du féminin après avoir été presque totalement masculin pendant les premiers mois de la crise sanitaire. « Sur Europresse, je relève maintenant 72 000 fois l’expression “la COVID”, contre 36 000 “le” », constate la linguiste Sandrine Reboul-Touré, professeure à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, qui m’a raconté avoir été sollicitée comme jamais en 2020 par les médias sur l’usage du terme. 

« Habituellement, les mots entrent dans la langue courante sur un temps long, dit-elle. La COVID, tout le monde se l’est appropriée en même temps, ce qui a donné toutes sortes de variations. » Normalement, un néologisme naît du jargon d’un petit groupe d’initiés, qui vont l’employer entre eux, en déterminer le genre, les accords et les dérivations (en adjectif, en adverbe, en verbe, etc.). Quand le terme se répand pour entrer dans la langue courante, c’est cuit. 

Arrivée en coup de tonnerre, la COVID n’a pas suivi ce parcours. C’est en effet le 11 février que l’Organisation mondiale de la santé a statué qu’il fallait distinguer le coronavirus de la maladie qu’il provoque. L’OMS a alors proposé la « COVID-19 », qui est l’abréviation de « Coronavirus Disease 2019 », alors que le coronavirus, lui, s’appelle « SRAS-CoV-2 ». La montée rapide de l’épidémie en Europe a forcé tout le monde à s’ajuster du jour au lendemain. 

Donner le « la »

Au départ, en dépit du fait que l’usage à l’OMS était de toute évidence féminin, les Québécois comme les Français ont eu tendance à en parler au masculin. La suite relève de la culture terminologique des États concernés. 

En général, les terminologues québécois ont compris il y a belle lurette qu’ils peuvent influencer l’usage s’ils établissent la norme avant qu’il ne s’installe. Cela se vérifie très nettement avec le genre du mot « COVID ».

Au Canada, les deux grands organes prescripteurs en matière de normes sont l’Office québécois de la langue française (OQLF) et Radio-Canada, dont le bureau linguistique joue à peu près le même rôle que la BBC, qui calibre la norme anglaise au Royaume-Uni. Dans la première semaine de mars, les deux organismes ont statué qu’il fallait dire « la COVID », puisque « disease », c’est « maladie », donc féminin. 

Je me suis amusé à mesurer l’effet OQLF-Radio-Canada en interrogeant la banque de données Eureka. Avant le 1er mars, le masculin domine très nettement, avec 2 000 occurrences, soit 125 fois plus que le féminin (16 cas seulement). Puis, dans la première semaine de mars, il y a un revirement. Le graphique ci-dessous vous donne une bonne idée de l’évolution de l’usage de jour en jour. 

Ainsi, lorsque le premier ministre François Legault donne sa première conférence de presse, le 12 mars, la norme féminine s’est de toute évidence installée. En avril, le renversement est complet : 61 000 emplois de « la COVID » au cours du mois, contre 1 750 au masculin, soit 34 fois plus, une proportion qui tend à se maintenir depuis.

Les Français, comme d’habitude, ont été nettement plus lents à réagir sur le plan normatif. Comme les Québécois au début, ils auraient commencé par dire « le COVID » par métonymie, explique Sandrine Reboul-Touré. Ce procédé linguistique consiste à désigner un sens par un autre mot relié, comme « téléphone », qui peut être l’appareil ou l’appel téléphonique. Et c’est ainsi que le COVID a pris le genre du coronavirus sans qu’on se pose trop de questions. 

Ce n’est que le 7 mai que l’Académie française a statué : il faut dire « la » plutôt que « le ». C’était une décision prodigieusement rapide pour une institution plutôt habituée à « se hâter lentement ». Fin mai, Le Robert a opté pour le double genre dans son édition 2021. Les autres grands organismes prescripteurs, dont FranceTerme, n’ont pas encore tranché.

Résultat, chaque média en est venu à établir sa politique. Si l’usage parisien est nettement masculin, il existe beaucoup de variations régionales. En examinant les documents européens sur Eureka, on constate une prédominance féminine dans le Midi et des variations importantes dans le Nord. Un média comme Ouest-France emploie essentiellement le masculin, alors que Le Télégramme (Bretagne) et L’Est républicain privilégient le « la ».

Les mots à double genre sont plutôt rares en français. Si on exclut les titres et fonctions qui varient selon la personne (la ou le capitaine), on dénombre une petite centaine de noms frappés de cette particularité. Dans la plupart des cas, le sens du mot varie selon le genre : « un livre » ne signifie pas la même chose qu’« une livre ». Mais il y en a quelques-uns dont le genre n’est pas du tout fixé et qui conservent le même sens au masculin et au féminin, comme « après-midi » et « enzyme ». Notez qu’il s’agit de l’opinion des lexicographes, qui écrivent habituellement leur dictionnaire selon une perspective française qui ne reflète pas toujours les usages régionaux. Le Robert décrit « COVID » comme bigenre, ce qui correspond à la réalité française. Mais pas à la réalité québécoise ! 

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Dans le domaine de la chimie, il existe une technique qui permet de déterminer la structure des molécules: la spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, avec comme abréviation francophone RMN, utilisée de part et d’autre de l’Atlantique. Au quotidien, nous ne parlons pas toujours de spectroscopie RMN (ce qui devrait être la bonne désignation), mais simplement RMN. Ce mot remplace autant la technique, que l’appareil. Quand il s’agit de l’appareil, les français disent « la RMN », alors que la plupart des Québécois disent « le RMN ». Tout cela démontre bien combien le genre pour les objets n’a aucun sens, mais c’est cela qui fait la richesse de notre langue il faut croire.

C’est dommage de ne pas mentionner une autre source de terminologie très fiable pour le français canadien, c’est-à-dire le portail linguistique Termium Plus du Bureau de la traduction. Très tôt au début de la pandémie, des experts linguistiques ont diffusé un Lexique sur la pandémie, qui a depuis été actualisé et augmenté : https://www.btb.termiumplus.gc.ca/publications/covid19-fra.html