La version originale de cet article a été modifiée le 21 juin 2023 parce qu’elle contenait des inexactitudes. Nos excuses.
L’épreuve royale du diplôme d’études collégiales, c’est l’épreuve uniforme de français — une dissertation de 900 mots que les étudiants doivent réaliser en 4 heures 30, et dont le tiers de la note va à la maîtrise de la langue. Or, seulement 83 % des étudiants des cégeps publics réussissent l’épreuve du premier coup. Ces résultats préoccupent tout le monde, car en cas d’échec, pas de DEC, même si l’étudiant a réussi toutes ses autres matières. Un comité d’expertes s’est penché sur le sujet et son rapport sur la maîtrise du français au collégial, déposé en 2022, a cerné ce qui accroche : la syntaxe et l’orthographe grammaticale.
On se heurte ici à un problème qui fait penser à l’œuf et la poule. Les étudiants qui maîtrisent la syntaxe écrivent avec plus d’aisance et peuvent utiliser l’écriture comme un outil pour mieux structurer leur pensée, mais tout devient plus laborieux pour ceux qui peinent à ordonner les mots, explique Catherine Bélec, professeure de littérature au cégep Gérald-Godin, qui coordonne le Laboratoire de soutien en enseignement des littératies (LabSEL).
La réponse traditionnelle aux difficultés syntaxiques consiste à enseigner la syntaxe de manière directe. Et il faut continuer de le faire, croit Catherine Bélec, mais elle propose également l’ajout d’un outil : la « littératie disciplinaire », qui implique de mettre à contribution les enseignants des autres matières. C’est pour promouvoir cette idée qu’elle a créé en 2018 le LabSEL, qui vise à sensibiliser l’ensemble du réseau collégial au rôle de chacun dans le développement des compétences en littératie. Depuis, elle a donné une cinquantaine de formations dans d’autres établissements.
Le concept de littératie disciplinaire part du constat que ceux qui font des fautes ne sont pas nécessairement ignorants des règles, mais ne comprennent pas ce qui est attendu d’eux quand ils doivent écrire. Cela suppose qu’on leur explique comment lire et prendre des notes, le vocabulaire, comment raisonner et organiser leur pensée avant d’écrire. En philosophie, il faut commencer par lire les textes de la bonne façon. En soins infirmiers, il s’agit d’abord de produire une note au dossier du patient. « Nous croyons que les étudiants écriront mieux le français s’ils acquièrent des réflexes de pensée dans chaque discipline », poursuit-elle.
Catherine Bélec est tombée sur le concept de littératie disciplinaire un peu par hasard en 2015-2016. Elle observait des difficultés croissantes en lecture. Les enseignants des autres disciplines s’en plaignaient également et, selon des sondages, les étudiants s’en préoccupaient aussi. Elle a donc monté un projet de recherche avec la participation de six professeurs (littérature, philosophie, communication, mathématiques, histoire, administration) afin de voir comment s’y prendre pour mieux soutenir les compétences en lecture.
Comme point de départ, elle a choisi une nouvelle policière, qu’elle a donnée à lire à ses collègues avec pour consigne de produire des notes se rapportant à leur discipline. Ainsi, quand ils les ont présentées, Catherine Bélec a tout de suite vu à quel point leurs lectures étaient différentes.
La professeure de littérature avait noté la trame narrative, la chronologie. La professeure d’histoire s’était plutôt attardée aux indicateurs situant l’action (en France) et la période (les années 1950). Le prof de maths, lui, avait relevé les répétitions et les nuances de sens. La prof d’administration avait fixé son attention sur des détails permettant de conclure à une mauvaise gestion (absence de draps, poison à rats sur le comptoir), etc.
Donc, explique Catherine Bélec, la culture de pensée amène une façon différente de lire, de prendre des notes, d’organiser les idées et d’écrire. On ne sera pas aussi habile à lire et à écrire dans tous les contextes. En d’autres termes, cela remet fortement en question l’idée que la lecture et l’écriture sont des compétences transversales qui s’appliquent de la même manière partout. « Si les personnes étudiantes écrivaient plus dans l’ensemble des matières (et devaient réviser leur texte et en intégrer davantage la correction), la qualité de la langue des étudiants et étudiantes s’améliorerait plus vite », dit-elle.
Pourquoi ne pas outiller chaque professeur afin qu’il puisse enseigner l’écriture selon les codes de sa discipline ? « Écrire fait partie de l’activité professionnelle de toutes les disciplines, qu’il s’agisse de notes, de rapports, de résumés ou de présentations, explique Catherine Bélec. Par conséquent, la littératie disciplinaire valorise autrement la langue, et ça fait que tout le monde s’implique là-dedans. »
Donc, si on veut des retombées en français, il faut que les profs soient mobilisés de manière pertinente dans leur discipline pour mettre les étudiants devant des situations authentiques. « Par exemple, en techniques policières, il s’agit de montrer qu’un rapport écrit sans queue ni tête pourrait être rejeté comme preuve. Pour l’étudiant, ce genre de remarque a plus de sens que de lui dire qu’il perd 8 points sur 10 en français. »
Comprendre le rapport à l’écrit
Catherine Bélec précise que lire et écrire s’apparentent à un processus de résolution de problèmes. « Le cerveau fonctionne selon le contexte. Devant un problème, il cherche les similarités. “Comment me suis-je tirée d’affaire dans une situation semblable ?” L’étudiante en techniques policières qui doit rédiger un rapport ne va pas mobiliser ses connaissances en littérature : son cerveau va d’abord puiser dans son expérience d’écriture de rapports. » Alors, montrons-lui à produire de bons rapports !
Pour régler les problèmes de code linguistique, il ne s’agit donc pas de travailler seulement la langue : il faut aussi travailler les autres leviers. Est-ce que l’étudiant comprend le contexte et la logique de la situation devant lui ? La forme est-elle appropriée ? Quel est le but de l’écriture ? Le raisonnement est-il bon ?
La grande différence entre les bons et les mauvais scripteurs, poursuit Catherine Bélec, ce n’est pas le niveau de connaissances, mais un rapport à l’écriture qui n’est pas le même. Les mauvais scripteurs imaginent que l’écriture s’apparente à un processus de téléchargement d’idées déjà formées. Alors que l’écriture est un processus de construction d’une idée, à laquelle on arrive par la révision — et la correction à la fin de l’exercice.
« Dans la mesure où les gens sont différents, certains auront toujours plus d’aisance avec l’écrit, parce qu’ils pensent en mots plutôt qu’en images, parce qu’ils viennent d’une famille où il y a des livres, peu importe la raison, dit Catherine Bélec. La littératie disciplinaire vise à travailler sur les forces et les champs d’intérêt pour en développer d’autres. »
« Le retour du gros bon sens »… Ouf, il était temps!
Bonjour,
Je trouve que c’est une excellente piste et tant mieux elle semble faire ses preuves. Donner du sens à ce qu’on fait quoi de mieux. Je viens d’une époque où dans toutes les matières, il y avait correction du français. Et ce à tous les niveaux. Je trouve que cette méthode devrait s’appliquer au primaire et au secondaire.
C’est tard au Cegep mais pas trop tard. Ce sont quand même des études supérieures .
Quel article intéressant, et quelle pédagogie efficace!
Espérons que cet exemple sera suivi dans plusieurs établissements.
Dans l’article ci-dessus, « Le français-utile », la traduction d’anglais au français est en faute. Voilà, ce n’est pas « une nouvelle policewoman » mais « un livre policier » (or, a detective novel). « Pour point de départ, elle a choisi une nouvelle policière, qu’elle a donnée à lire à ses collègues avec pour consigne de produire des notes liées à leur spécialité. »
Merci pour un article intéressant, comme toujours.
Un article à diffuser à tous les collectis d’enseignants. Bravo!