Le nouveau pouvoir de Mario

Les relations fédérales-provinciales, l’économie, la famille: les priorités de Mario Dumont ont déjà commencé à alimenter le débat public.

Le téléphone n’arrête pas de sonner à la permanence de l’Action démocratique, à Montréal. «Envoyez-nous votre CV», répond régulièrement la jeune réceptionniste.

Début avril, l’ADQ embauchait. Avec l’élection de 41 députés et l’accession au statut d’opposition officielle, le parti avait 250 postes à pourvoir. «Avoir des moyens, offrir à des gens passionnés de politique de gagner leur croûte en faisant de la politique à temps plein, c’est le fun», explique Mario Dumont.

De la politique, les adéquistes ont bien l’intention d’en faire. Car le gouvernement minoritaire de Jean Charest ne tiendra pas deux ans, affirme le chef de l’ADQ. «Ceux qui me connaissent savent qu’instinctivement je suis un gars de pouvoir. Il n’est pas dans ma nature d’être dans l’opposition.»

À la question: «Vous en devez une à Stephen Harper, non?», Mario Dumont répond, les dents serrées, le regard noir: «Ce serait plutôt le contraire.»

Sur le terrain, les conservateurs n’ont rien fait, ou si peu, pour soutenir les candidats de l’ADQ. Certains ministres conservateurs ont même plutôt appuyé les libéraux. Les adéquistes, eux, avaient trimé dur pour les conservateurs lors de la dernière campagne fédérale.

Stephen Harper en doit donc une au chef de l’ADQ. «On s’en est parlé; je suis un gars franc», déclare brièvement Mario Dumont, qui entend faire de l’économie la priorité de son opposition. Accélérer le développement hydroélectrique, organiser un grand chantier sur le développement économique, faire du Québec une terre d’investissement privilégiée… Dumont en rêve.

L’actualité l’a rencontré quelques jours après les élections, au milieu des boîtes de déménagement!

Que voulez-vous obtenir de ce gouvernement?
— Les priorités de l’opposition seront celles que l’ADQ a mises en avant durant la campagne: la famille, les augmentations de tarifs, tout ce qui touche la classe moyenne… J’ai aussi dit que j’exigerais une commission d’enquête sur l’hébergement des aînés. Mais on formera surtout une opposition plus forte en matière d’économie! Le Québec a une performance assez pitoyable sur ce plan. De toutes les statistiques, celles qui portent sur l’appauvrissement global de la province dans le continent nord-américain sont les plus inquiétantes. Une société qui s’appauvrit aura moins de ressources pour la santé, l’éducation, la culture… Je suis le premier à reconnaître que l’économie a été négligée pendant la campagne électorale. Parmi les candidats de l’ADQ élus, il y a beaucoup de gens d’affaires. Ils constitueront une opposition officielle beaucoup plus préoccupée d’économie que ce qu’on a vu pendant la campagne.

Qu’est-ce qui vous séduit dans cette nouvelle fonction?
— Croyez-le ou non, je n’y avais jamais réfléchi. J’avais imaginé ce que serait la vie de premier ministre — j’avais même choisi le premier fonctionnaire de la province — et aussi ce que serait la vie d’un chef de tiers parti détenant la balance du pouvoir. Mais pas celle de chef de l’opposition. Je me rends compte que j’aurai un pouvoir important sur le gouvernement, celui de lui imposer les priorités politiques, la question d’actualité dont tout le monde discute.

Envisageriez-vous de demander au lieutenant-gouverneur de remplacer ce gouvernement libéral?
— Non. Il y a eu des élections le 26 mars, le Parti libéral a obtenu le plus de votes et il a eu plus de sièges que l’ADQ. Ce n’est pas en m’associant au Parti québécois que je prendrai le pouvoir, mais en allant chercher une majorité de suffrages et de sièges au prochain scrutin.

Est-ce qu’il y a des choses qui vous inquiètent dans le fait de former l’opposition officielle?
— D’y rester! Les Québécois exigent de nous que nous fassions marcher leur Assemblée et qu’on la fasse fonctionner dans leur intérêt. Le gouvernement Charest nous a habitués à des fins de session où il nous imposait le bâillon. S’il n’est pas capable de se corriger, cela sera ardu pour lui de tenir le coup. Le Parti québécois, qui connaît de grandes difficultés, pourrait être un allié éternel [NDLR: du gouvernement], qui s’étire, s’étire et accepte bien des choses. Mais nous, nous n’allons pas accepter n’importe quoi. Nous avons des principes. Et notre parti sera jugé sur sa capacité de faire fonctionner l’Assemblée nationale et sur sa fidélité aux principes que nous avons défendus en campagne.

Pensez-vous que les gens ont compris que votre programme demandera des sacrifices?
— Les gens ont compris que voter ADQ, c’est un peu plus que changer la couleur du tapis. On est en train de changer de mentalité. Il y a eu une prise de conscience.

Vous utilisez l’expression «centre droit». C’est ainsi que vous vous définissez?
— Dès les élections de 2003, nos adversaires nous ont accolé des étiquettes. Après ces élections, nous nous sommes dit que mieux valait nous assumer et ne pas laisser nos adversaires choisir les étiquettes. Nous sommes un parti «autonomiste», de «centre droit»… Cela définit bien qui nous sommes.

La droite n’a pas tellement bonne presse au Québec…
— La droite morale n’a pas d’emprise au Québec. Je n’appartiens pas à cette école de pensée et j’ai toujours dit aux conservateurs qu’il fallait viser le centre droit, responsable en matière de fiscalité, de sécurité publique et de mesures sociales. Sur le plan socioéconomique, nous croyons moins à l’intervention de l’État que d’autres partis.

Vous avez été comparé au politicien français Jean-Marie Le Pen. Que pensez-vous de lui?
— Je suis en désaccord avec ses positions; ma vision de la société est pluraliste. J’ai appuyé le gouvernement quand il a augmenté les quotas d’immigration. D’ailleurs, j’ai autant d’appuis de la part des nouveaux arrivants que des Québécois nés au Québec. Les témoignages que nous avons reçus de personnes nées au Québec et de personnes venues au Québec sont à peu près les mêmes. Les plus émouvants étaient ceux de jeunes femmes musulmanes qui avaient quitté un autre pays et qui disaient: battez-vous, les Québécois, on sait où ça mène!

Et la comparaison avec Duplessis?
— Je ne suis pas d’accord avec lui sur les questions d’éducation. Mais c’était une autre époque, que je n’ai pas connue. L’Union nationale a disparu, parce qu’elle n’avait plus sa place. Ceux qui me comparent avec Duplessis font partie de cette vague d’intellos qui essaient de noircir tout ce qui ne correspond pas à leur vision.

Votre succès représentait-il le triomphe du camping Sainte-Madeleine, comme certains l’ont dit?
— Toutes sortes de gens ont voté ADQ: des profs d’université, des personnes âgées, des cégépiens. Certains l’ont fait à cause de la famille, d’autres parce qu’ils se préoccupent de la dette. D’autres encore voulaient simplement donner un bon coup de pied dans le système. Sainte-Madeleine est située dans Verchères, et c’est le PQ qui a gagné dans cette circonscription!

Vous avez aussi parlé d’une charte des droits et responsabilités des citoyens pour mieux encadrer le débat sur les accommodements raisonnables…
— Il s’est passé quelque chose d’important l’automne dernier et j’y ai contribué. Entre octobre et janvier, les Québécois se sont fixé une limite. Ils ont dit: oui, on est un peuple tolérant et ouvert; oui, on veut maintenir une immigration importante chez nous; oui, on est prêts à trouver des accommodements qui facilitent la vie des gens et la cohabitation — mais on ne reviendra pas en arrière sur des principes comme l’égalité des hommes et des femmes. Il y a des gens, aujourd’hui, dans les CLSC et d’autres services publics, qui sont conscients de ce qui est ou n’est pas acceptable. Il reste au gouvernement à faire adopter une Constitution qui établisse nos valeurs communes. Et on aura le rapport de la commission présidée par Gérard Bouchard et Charles Taylor.

La division entre les deux autres partis et le vôtre, sur ce sujet et sur d’autres, correspond-elle à une fracture entre le Québec rural et Montréal?
— Cette division-là est très exagérée. Quand on regarde les résultats des élections, on voit que l’ADQ est aux portes de Montréal et que le Parti québécois, dont le chef est très montréalais, a gagné dans les régions les plus éloignées du Québec: Abitibi, Côte-Nord, Gaspésie, Saguenay! Cette fracture-là, donc, je n’y crois pas. Les centres urbains sont un défi un petit peu plus grand pour les partis de centre droit. Stephen Harper a connu la même situation au fédéral en n’obtenant aucun siège à Toronto, à Montréal et à Vancouver… Les candidats de l’ADQ ont fini deuxièmes dans plusieurs circonscriptions de Montréal. Je ne pense pas qu’il y ait de fracture. Montréal est un défi pour l’ADQ. Mais l’ADQ a aussi un défi à relever au Lac-Saint-Jean!

Votre autonomisme, qu’est-ce que c’est au juste?
— [Long silence…] Le titre du premier chapitre de notre programme — «S’affirmer sans se séparer» — résume bien ce qu’autonomisme veut dire. C’est une ligne de conduite qui définit une façon d’aborder les prochaines étapes de l’avenir du Québec. L’approche du PQ — tenir des référendums — appartient à une période historique située derrière nous. Alors, maintenant, que fait-on? On n’abandonnera certainement pas les revendications qui sont importantes… Le modèle d’une vraie confédération serait l’idéal. Mais je ne suis pas seul dans tout ça. Alors il faut, à tout le moins, que le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, hérité de la Constitution de 1867, soit balisé.

Robert Bourassa a essayé avant vous, et il a échoué…
— J’en suis conscient. Il ne faut pas nier les échecs du passé, mais la politique interdit de se laisser paralyser par eux. Elle oblige à regarder en avant. Je pense que la politique du couteau sur la gorge [NDLR: suggérée par le sociologue Léon Dion, père du chef actuel du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion] ainsi qu’une certaine façon de dire et de penser qui marquait le rapport [de Jean] Allaire [fondateur de l’ADQ] ne peuvent plus marcher. Je pense aussi qu’on sait que ce n’est pas avec une approche comme celle qui a suivi le rejet de l’accord du lac Meech qu’on va obtenir des résultats du reste du Canada. On peut prendre acte des échecs du passé, de leur cause et du processus qui y a conduit pour ne pas les répéter, mais je n’accepte pas qu’on dise: on ne peut pas faire ça, parce que la dernière fois qu’on a essayé, ç’a été un échec. Il s’agissait d’autres acteurs… En 1992, ce n’est pas moi qui étais là, ce n’était pas Stephen Harper qui était à Ottawa, et c’étaient d’autres premiers ministres qui étaient à la tête des provinces…

 

Est-ce que le Canada anglais doit se réjouir de vos succès?
— Non… Bien… Il doit voir ça comme un changement qui survient au Québec. Je pense que ce serait une erreur pour lui de se rendormir.

Certains disent que vous êtes aussi menaçant que le Parti québécois. Êtes-vous d’accord?
— Je ne sais pas… Jean Charest a été envoyé au Québec comme un «capitaine Canada». Le reste du Canada a de la difficulté à voir ce qui se passe au Québec autrement qu’à travers le prisme «Jean Charest»: plus Jean Charest a du succès, mieux ça va; moins il a de succès, plus on doit être inquiet. Le Canada voit une forme de menace dans tout ce qui n’est pas Jean Charest. Et je ne suis pas Jean Charest…

Faut-il tuer le Parti québécois?
— Ce sont les Québécois qui décident. La politique est cyclique et chaque parti doit s’adapter. L’idée de François Legault voulant qu’on va faire un pays et qu’après il va nous rester du «change», c’est loufoque. Ce serait plus respectueux de dire que ce sera désormais la semaine de cinq jours au lieu de quatre, qu’on va travailler plus fort et payer plus d’impôts, parce que là on fait un pays et que c’est toute une corvée, ça! Il n’y a pas un seul pays où un parti a proposé l’indépendance en disant: ça va être plus facile, on va travailler moins, il va nous rester de l’argent. À mon avis, tout ça, c’est du mensonge.

 

Pourquoi dire maintenant que vous n’avez jamais été souverainiste, malgré votre rôle pendant la campagne référendaire de 1995?
— J’ai toujours pensé qu’en nommant Lucien Bouchard négociateur en chef pour une période d’un an, on se serait approchés d’une véritable confédération… Lucien Bouchard pensait d’ailleurs comme moi.

Votre stratégie, est-ce encore «une autre dernière chance»?
— Il faut se sortir de l’idée qu’on fait les choses en attendant un autre référendum. Il faut bâtir des alliances et faire des choses pour que ça marche dans l’ensemble canadien.

 

Vous êtes un fédéraliste, alors?
— Je suis un autonomiste.