Le pouvoir des mots

Parfois, ce sont les mots qu’on ne dit pas qui sont les plus lourds. 

Photo : Daphné Caron

Tout est une question de mots, au fond, et très souvent, des mots qui ne sont pas prononcés. Tus, volontairement modifiés ou détournés, les mots sont parfois encore plus lourds. Trois exemples tirés de l’actualité des derniers jours.

Confinement

On l’est ou on ne l’est pas, confinés ? Au pays ludique des Cubes énergie, on préfère appeler ça le « Défi 28 jours ». Enwoye, grande claque dans le dos, t’es capab’, mon grand, de faire ton effort et de cesser toute interaction sociale pendant un mois. Et après ? On verra. On nommera la suite « Opération Noël », ou encore « Novembre, me semble ! ». Pourrait-on s’adresser à nous comme à des adultes, utiliser des mots précis, même s’ils font mal ? Nous dire qu’on nous confine, nous demander clairement un sacrifice collectif, et prévoir d’emblée des conséquences concrètes pour les délinquants ? Les Québécois, dans leur écrasante majorité, bien que latins, sont responsables.

COVID-19

Alors, il l’a ou il l’a pas, le Donald ? Au vu des stupéfiants derniers jours, certains en doutent, même s’ils ne sont pas des disciples d’Alexis Cossette-Trudel (qui analyse entre autres la théorie QAnon sur sa chaîne YouTube). Quand exactement, dans quel contexte, de qui précisément le président Trump a-t-il attrapé le virus ? Tout est volontairement opaque et flou dans la communication présidentielle. À l’hôpital militaire Walter Reed, en banlieue de Washington, une équipe de 12 médecins — qui lui ont donné, en plus d’un supplément d’oxygène, un corticoïde efficace contre les formes graves de la COVID-19, l’antiviral remdesivir et un cocktail expérimental d’anticorps synthétiques — se sont affairés autour du principal adversaire des soins médicaux pour tous aux États-Unis, celui-là même qui soutenait le printemps dernier que la COVID-19 n’était « qu’une mauvaise grippe », alors qu’elle a causé à ce jour près de 210 000 décès aux États-Unis, et qui n’a payé que 750 dollars d’impôts fédéraux en 2016 et 2017. Douze médecins, en fait 12 spin doctors. Ironique.

À force de miner les mots, d’exploser les idées, de se moquer de la vérité et de détourner le sens, Trump a amené tout le monde à douter de tout. L’inventeur des fake news a préparé le terrain. Il l’a ou pas ? C’est grave, mais pas tant, il renouvelle les termes de la maladie, devient un spécialiste autoproclamé de la COVID, des notions apprises à l’université de la vie, a-t-il dit dimanche. Dieu seul connaît son état, et Trump seul sait comment l’instrumentaliser. Ce qu’on sait hors de tout doute, c’est que les millions d’Américains infectés n’ont pas droit au traitement présidentiel, et que cette campagne électorale qui était très mal partie procurera des rebondissements stratosphériques d’ici le 3 novembre.

Racisme systémique

D’abord, il y a eu les mots dégradants, infâmes, utilisés par l’infirmière et la préposée aux bénéficiaires de l’hôpital, à Joliette, censées s’occuper de Joyce Echaquan, 7 minutes et 12 secondes avant sa mort. Des mots particulièrement dérangeants, qu’on ne veut pas entendre de la bouche d’anges gardiens — un autre beau sophisme covidien. Des madames pas fines et racistes, qui ont fait le choix des soins « hospitaliers », ça existe, même à Joliette. Mais un corps médical qui, selon certains récits, humilie de manière récurrente les autochtones qui vont à l’hôpital pour s’y faire soigner ? Des réserves autochtones sans eau potable et sans services, avec des avis d’ébullition d’eau en vigueur depuis des années ? Des services pitoyables de la part du gouvernement, du mépris infantilisant, des pensionnats autochtones qui ont sévi jusque dans les années 1970, tentant d’annihiler l’Indien ? C’est une entreprise institutionnalisée et concertée et ça s’appelle du racisme systémique. C’est notre cas à nous, honteux. Les Québécois francophones ont beau avoir été colonisés, ils ont aussi été des colonisateurs, ceux des Premières Nations. L’admettre serait le début de la fin d’une souffrance collective, des deux bords. Pourquoi un tel entêtement ? Probablement pour des enjeux politiques et de réparation. Mais aussi par incapacité psychologique à renoncer, quelque part, enfoui profondément en nous, à notre statut unique de colonisé…

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L’obsession des mots. Il y a également cette obsession des mots. Tout est évalué sur ce qui est dit ou non dit. Être dans l’espace public c’est être comme un joueur du canadien. Tu réponds des clichés, tes réponses doivent être brèves. Et, même si tu ne dis rien, ça fait quand-même débat. Être dans le débat public, c’est se déplacer sur une patinoire, même en faisant preuve de vigilance, tu risques toujours de perdre pied. Il s’agit d’un mot et une personne ouverte devient un symbole d’intolérance. Peu importe ce que dira M. Legault, c’est ce qu’il fera qui compte. Au hockey, pas besoin de conclure que la bagarre est un problème systémique pour agir. Il faut avant tout décider qu’on en veut plus et établir les règles pour que ça cesse.

J’aime beaucoup votre commentaire, cela rejoint exactement ce que je pense; de plus, la comparaison avec l’abolition des bagarres au hockey est excellente !

Les autochtones du Québec, de concert avec d’autres groupes qui subissent du racisme, ont cru bon d’imposer comme condition préalable à tout progrès l’acceptation par les autorités du terme « racisme systémique ». Je trouve que ça ne sert personne de rester crispé sur cette position. N’empêche que (si on fait abstraction des différences et des différents entre le Québec et le ROC), la Loi sur les Indiens a structuré la société de manière à garder les autochtones à leur place, séparés des blancs et en état d’infériorité. Pour en rendre compte avec précision, il faudrait employer une expression comme « discrimination intégrée à la structure » disons.

Ah, elle est bien bonne celle là mais c’était prévisible. Il est écrit que les autochtones « ont cru bon d’imposer comme condition préalable à tout progrès l’acceptation par les autorités du terme « racisme systémique »… Euh, c’est un peu à l’envers. Ce sont les colonisateurs de tout acabit qui ont imposé le racisme systémique aux peuples autochtones. Eux, ils veulent juste que la société dominante le reconnaisse. Oui, le pouvoir des mots, ça fait frémir ceux qui ont participé et participent toujours à cette aventure colonialiste et qui ont peur des mots. Pour ma part, j’avoue y avoir participé mais j’ai eu l’avantage de m’ouvrir les yeux grâce à nos frères et sœurs autochtones et je m’en porte mieux; je suis capable d’accepter la réalité et de passer à autre chose, entre autres, comment on peut travailler ensemble pour réparer les erreurs et les horreurs du passé…

NPierre : Nuance, les colonisateurs [de tout acabit qui] n’ont PAS imposé le TERME « racisme systémique » aux peuples autochtones.

Vous usez de sarcasme à mon égard, mais je ne crois pas avoir les yeux moins ouverts que vous, et si vous me connaissiez un peu, vous auriez sans doute bien du mal à me qualifier de raciste. Toute ma vie adulte, j’ai déploré la situation des autochtones dans notre pays. J’ai été un lecteur admiratif et souvent fâché de Bernard Assiniwi, de Louise Erdrich, de Thomas King, de Naomie Fontaine, de Serge Bouchard et de bien d’autres auteurs autochtones et amis des autochtones. J’ai aussi admiré et encouragé de nombreux artistes autochtones et amis des autochtones d’autres disciplines. Quand et comme j’ai pu, par la parole et les actes, j’ai toujours défendu les intérêts des peuples d’origine. Pas mal pour un gars dont les parents disaient sans complexes des choses comme «yé beau pour un noir» ou «les sauvages de koknawaga». Que voulez-vous, c’était comme ça dans le Québec des années 1920 et 30 où ils sont nés et ont grandi.
Dans mon petit paragraphe que je ne croyais pas de nature à soulever la haine, je disais simplement que le terme «racisme systémique» semble être un peu bêtement devenu un point de division artificiel entre les racistes et les non-racistes. Je ne suis pas d’accord avec la proposition disant : «Si tu n’acceptes pas d’appliquer le terme « racisme systémique » à notre société, alors tu es un raciste.» Je trouve que cette controverse est un obstacle inutile sur la voie du mieux. Et pour finir, sachez qu’au départ je n’étais pas opposé au terme «racisme systémique» mais qu’à voir grandir la ferveur quasi-religieuse de ses défenseurs, je commence réellement à le prendre en grippe.

Merci, Madame Bazzo. Enfin, quelqu’un qui admet qu’on nous infantilise. Cela fait des années que j’en suis écoeurée. Les plus belles perles s’entendent dans le milieu de la santé. Il ne faut surtout pas être vieux, vieille, (et en plus coloré, colorée). « Est-ce qu’on est à jeun ? » « A-t-on pris son petit déjeuner ? » J’ai eu souvent eu envie de me retourner pour chercher la personne à qui on parle. Quant à Don, s’il a vraiment attrapé la covid-19, c’est que le karma existe. S’il ne l’a pas, je lui souhaite que le fake news ne réussisse pas cette fois-ci. Si, enfin, elle l’emporte, il sera parti en faisant ce qu’il aimait le plus, tenir les flash sur sa houppe canari 24 heures par jour pendant plusieurs jours.

Que les deux seuls commentaires que ce billet a récoltés jusqu’ici soient des dénégations du terme « racisme systémique » attestent bien de l’objet de cet écrit de MFB : le pouvoir des mots.

Bravo, M. Legault d’avoir eu la prévoyance et la saget de ne pas ouvrir une boîte de pandore qui serait venu brouiller davantage les choses. le québec aurait prêté le flanc à toutes sortes d’accusations sortant d’on ne sait où

Bravo, M. Legault d’avoir eu la prévoyance et la sagesse de ne pas ouvrir une boîte de pandore qui aurait rendu le Québec vulnérable à toutes sortes d’accusations farfelues.

Comme des milliers de Québécois, j’ai ressenti de la honte en apprenant comment Joyce Echaquan est morte. Des Québécois comme l’infirmière de Joliette, nous en connaissons tous. Ce sont ceux qui chouchoutent les élèves dont les parents ont le plus d’influence auprès de la direction, ceux qui s’absentent pour un oui, pour un non, ceux qui laissent les vieux pourrir dans leurs couches parce que de toute façon, personne ne le saura, ceux qui chargent le double au garage parce que la cliente ne comprend rien à la mécanique, ceux qui jettent leurs ordures n’importe où parce que la rue ce n’est pas leur cour, ceux qui profitent d’avantages sociaux dont ils n’ont pas besoin ou auxquels ils n’ont pas droit, tous ceux en qui ne respectent que la loi du plus fort. Le respect et la collectivité, ils n’en ont rien à foutre, et pour les excuser, on met ça sur le compte de l’ignorance. Notre époque et notre société ne valorisent plus l’altruisme et je suis trop vieille pour croire que la loi, les politiques et les gouvernements pourront y changer grand chose.

Beaucoup de choses sont liées au choix. Il y a ce que l’on choisit de dire avec le choix des mots, il y a ce que l’on choisit de ne pas dire, ce choix de ne pas dire est lié à l’inconscient avec ces mots qu’on choisit de ne pas prononcer.

Nous ne sommes souvent pas conscient des mots que nous ne prononcerons pas. Ne pas dire certaines choses relève quelquefois de la prudence. Quelquefois le verbe (le mot) est relié à une charge émotionnelle.

Il y a aussi les mots « mode » ou tendance. Par exemple, je n’ai jamais autant entendu si souvent qu’en ce moment le mot « résilience », en sorte que le nombre de personnes résilientes font légion. Mais en même temps on nous dit qu’il n’y a jamais eu autant de personnes déprimées, anxieuses, pas bien quoi !

Est-ce qu’on peut être résilient, anxieux et déprimé en même temps ?

L’usage de certains mots et le sens des dits mots est-il toujours adéquat ?

Systémique est employé actuellement de toutes les façons, souvent à tort et à travers. Personnellement au terme de systémique en matière de racisme, je préférerais le terme de « structurel ».

La société dans laquelle nous vivons, sa structure, ne génère-t-elle pas ses propres mots et ses propres maux ? Reconnaître la fragilité de la structure nous forcerait à changer. Identifier le caractère systémique d’une chose ne produit que plus de refoulement. Le racisme dure et perdure de manière intestine. Quel progrès ?

Ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’on nous insuffle le racisme, la discrimination, le mensonge, la convoitise, l’envie, la haine, etc., dès la première seconde de notre vie, le plus souvent on nous met cela dans le corps et nous dit : tais-toi ! Et si « tais-toi ! » ne suffit pas, on t’inflige des peines et des châtiments. Est-ce que nous sommes plus avancés avec ça ?

Faut-il dans un système hostile, très largement basé sur des apparences : tout dire… ou bien essayer de comprendre, ne pas juger, apprendre de nouveaux mots, accroître notre vocabulaire, passer toujours plus de temps à contempler et puis décrire tout ce qui est beau ?

Trump: Ce monsieur a tellement menti depuis des années que je ne crois pas du tout qu’il ait attrapé la Covid-19, pour moi c’est une autre « fake news », surtout qu’après 2 jours il pète le feu. S’il avait été vraiment malade, il se serait tenu coi. Mais, c’est évident qu’il cherche des votes de ceux qui doutent de la sévérité de la maladie et des Proud Boys.

Racisme systémique: Chez bien des nations autochtones, le règlement des conflits passe par un processus réparateur, où celui qui a causé du tort à l’autre s’excuse et demande pardon. Tous ceux qui connaissent un tant soit peu la situation des peuples autochtones au Canada (et dans les Amériques) , sait que le colonialisme des immigrants européens était basé sur du racisme systémique et l’est toujours. C’est pourquoi ce serait important pour les nations autochtones du Québec que le gouvernement l’admette, tout comme la Commission Viens l’a constaté, car cela montrerait la bonne foi du gouvernement pour entreprendre le grand chantier de la décolonisation.

En passant, Mme Bazzo, le dernier pensionnat « Indien » à fermer fut le Grollier Hall d’Inuvik qui a fermé en 1997. Ces pensionnats génocidaires (un autre mot qui a du pouvoir car on en a vraiment peur chez les politiciens) ont duré encore longtemps après les années 1970, malheureusement. C’est fort bien consigné dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation (2015) que tous ceux qui aiment commenter sur les peuples autochtones devraient lire (à moins qu’ils aient peur de la vérité et qu’ils préfèrent les fake news de Facebook).

Bravo, M. Legault d’avoir eu la prévoyance et la sagesse de ne pas ouvrir une boîte de pandore explosive qui aurait rendu les choses encore plus confuses et le québec plus vulnérable à toutes sortes d’accusations farfelues sortant d’on ne sait où.

Bravo, M. Legault d’avoir eu la prévoyance et la sagesse de ne pas ouvrir une boîte de pandore qui aurait rendu le Québec vulnérable à toutes sortes d’accusations farfelues.

@ A. Nickell,

A. Nickell, André Nickell et André Blanc sont-ils une seule et même personne qui écrit sous trois pseudonymes différents ? Quatre fois presque le même commentaire répété sous trois identifiants différents.

Objectivement je ne crois pas que le caractère itératif de ce genre de propos serve vraiment la cause de monsieur Legault. Cela démontre l’ignorance crasse et l’absence de subtilité de l’auteur de ces divers « Bravos ».

Les gestes comptent plus que les mots.
À voir toute l’emphase et la pression exercée par l’opposition, les journalistes et avocats qui entourent la famille qui va poursuivre le gouvernement, afin que le PM utilise l’expression racisme systémique, je me désole d’un tel cirque qui cache finalement l’essentiel: les gestes comptent plus que les mots. Justin Trudeau peut bien utiliser les mots qu’il veut et s’en draper fièrement, qu’a-t-il fait concrètement pour améliorer le sort des communautés autochtones. Bien peu. Les gestes comptent bien plus que les mots.