« Quand la noirceur envahit le monde, il faut juste ouvrir les yeux plus grands pour trouver la lumière qui donne ses couleurs à la vie », affirme notre chroniqueur David Desjardins. Dans cette série, il nous dresse une liste de personnes, de choses et d’endroits plus étranges les uns que les autres, qui lui servent de sources d’émerveillement.
De deux « chats », ChatGPT et le chat de Schrödinger, je préfère le second. Les idées issues d’un cerveau m’émeuvent nettement plus que celles générées par des machines. Quoique ces machines elles-mêmes m’intéressent, puisqu’elles proviennent de l’imagination de mes contemporains. Ce qui en résulte, un peu moins.
J’aime les trucs qui me dépassent complètement. L’émoji de tête qui explose est de loin mon favori. Ce que je ne comprends pas est une source de fascination. Surtout quand je sais que je n’ai pas les capacités pour saisir l’ampleur du problème ou de la solution que l’on m’expose.
Ce qui m’impressionne, c’est l’esprit derrière tout ça. Je le trouve beau.
J’ai choisi le chat de Schrödinger comme exemple parce que c’est une expérience de la pensée. Une théorie, basée sur une certaine interprétation de la physique quantique (déjà, je suis complètement largué sur le sujet), qui fait qu’un chat peut être là et pas là en même temps. Mort et vivant à la fois. Dans la boîte et pas dans la boîte.
Vous ne comprenez rien ?
Même si je vous l’expliquais, même si vous demandiez à ChatGPT de vous le résumer (je l’ai fait), à moins que vous ne soyez ferrés en physique et en épistémologie (l’étude philosophique des sciences), vous seriez probablement aussi perdus que moi.
Parce qu’à partir de ce fameux chat, on part en vrille vers les mondes parallèles, les niveaux de réalité. Je n’y comprends absolument rien, même si j’ai adoré Everything Everywhere All at Once, lauréat de l’Oscar du meilleur film cette année. Ou la dernière mouture de la série québécoise Plan B, avec un Pierre-Luc Funk au sommet de son art.
Je n’ai pas d’appétit particulier pour les sciences. J’ai plus d’affinités avec la philo. Et encore. Il m’a fallu une éternité pour bien saisir les contours du concept de l’éternel retour de Nietzsche. Mais c’est précisément pour cela que j’aimais cette matière au cégep : elle m’obligeait à m’exploser les neurones, à m’extraire complètement de la réalité brute du quotidien pour m’amuser avec la pensée, pour jongler avec des idées, des théories, et voir comment celles-ci peuvent avoir un effet sur notre manière d’envisager nos vies. J’étais fasciné par ces gens dont le métier est de penser.
Il existe depuis toujours une forme d’anti-intellectualisme où ne pas comprendre une chose est si humiliant que l’on associe le processus qui a généré cette idée à du pelletage de nuages.
Or, le pelletage de nuages est justement ce qui produit de la magie dans nos sociétés modernes.
C’est par lui que l’on résout des problèmes complexes, que l’on invente des technologies révolutionnaires, que l’on crée des histoires qui canalisent nos peurs et que l’on parvient, par moments, à extraire un peu de sens du chaos qu’est notre univers. C’est aussi en imaginant un monde meilleur (pas celui de Huxley) que l’on finit par passer du fantasme à la réalité : notre société, pas du tout parfaite, mais plus égalitaire que la plupart, est le fruit de pelleteux de nuages notoires.
Ceux qui croient que l’avenir n’appartient qu’aux plus forts et que rien ne doit changer dorment d’un sommeil dépourvu de songes.
Comme le dit un graffiti près de chez moi : « Arrête de snoozer, rêve un peu. »
Au moment où l’on se demande à nouveau quoi faire des cours de tronc commun au cégep, il faut redire encore et encore la puissance de ces matières que l’on qualifie stupidement d’inutiles. Il faut répéter que ne rien comprendre à une chose, c’est s’incliner devant l’intelligence qui l’a produite comme on le fait devant un talent sportif hors normes ou une chanson qui nous émeut sans que l’on sache exactement pourquoi.
Pour moi, Michael Jordan qui flotte dans l’air, c’est comme Camus qui réfléchit à l’absurdité de l’existence. C’est le boson de Higgs.
Je lis régulièrement des nouvelles scientifiques auxquelles je ne comprends rien. J’écoute des balados de philosophie qui me font fondre les méninges à force de surchauffe. J’écoute mon frère, microbiologiste, ne saisissant que des bribes de ce qu’il raconte avec passion. Mais j’écoute. Je suis ébahi.
Je ne suis pas un intellectuel. Je ne produis pas de la pensée. Je fais seulement des liens, j’ai de bonnes antennes, une capacité à renifler l’air du temps et un talent pour l’écriture.
Au fond, je me fiche de savoir si le chat de Schrödinger est mort ou vivant. Quand j’ai demandé à ChatGPT son avis sur la question, sa réplique ressemblait drôlement à celle de l’ordinateur HAL dans le 2001 de Kubrick : « Dave, I’m afraid I can’t do that. »
Comme dirait le faucon pèlerin de la CAQ, c’est le « total mind fuck » de ce jeu de la pensée qui m’émeut. Je ne veux pas que l’IA y réponde. J’aime le tour de montagnes russes que cela provoque dans mon esprit. Je suis étourdi, confondu. Juste l’idée que quelqu’un puisse m’amener là avec son intelligence me rend heureux.
J’aime beaucoup vos textes. Ils font réfléchir.
Lors de mes études, j’ai beaucoup aimé la philosophie et le prof qui nous faisait jongler avec les idées.
Lyse
Vous avez raison, célébrons dignement l’intelligence naturelle!