Le répertoire des bonheurs improbables : j’aime vieillir

Ne vous fiez pas à sa photo : notre chroniqueur n’a plus cette apparente jeunesse. Et c’est bien parfait pour lui. 

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

« Quand la noirceur envahit le monde, il faut juste ouvrir les yeux plus grands pour trouver la lumière qui donne ses couleurs à la vie », affirme notre chroniqueur David Desjardins. Dans cette série, il nous dresse une liste de personnes, de choses et d’endroits plus étranges les uns que les autres, qui lui servent de sources d’émerveillement.

Oui, oui, vieillir est à la fois un privilège et une calamité.

Il y a des moments où la chose est forcément plus vertigineuse qu’à d’autres. Dans les premières pages de Performance (prix Renaudot 2022), l’auteur français Simon Liberati fait dire à son personnage d’écrivain septuagénaire que les très belles jeunes femmes et les vieux ont ceci en commun qu’ils craignent à chaque instant l’inévitable effondrement.

Manière pour cet être qui se délite de se demander ce qu’une mannequin de 23 ans peut lui trouver alors qu’il est désargenté, boudé par ses gloires anciennes et reclus dans un trou.

L’idée est pourtant intéressante si on la tord un peu : perdre son innocence ou ses moyens. Voilà parmi les plus effroyables passages de nos existences.

Mais un peu après le mitan de la vie, là où je loge, vieillir est un privilège qui ne se résume pas aux années dont je continue de jouir. C’est le moment où je prends la mesure d’où je viens, de ce que je suis. Je me regarde avec plus d’empathie et en même temps de manière plus critique.

Il m’arrive encore parfois d’asséner des opinions intransigeantes qui heurtent les personnes auxquelles je m’adresse. Plus jeune, j’aimais choquer. Lorsque cela se produit, maintenant, je le regrette immédiatement. J’ai l’impression qu’une part de moi qui aime le spectacle et la provoc triomphe de la gentillesse. Une indulgence que toute personne qui n’est pas nuisible ni parfaitement idiote mérite amplement. Quant aux autres, mieux vaut les ignorer. Chaque colère contre les imbéciles est aussi stérile qu’exténuante.

J’aime la capacité de recul et d’introspection qui vient avec l’âge. Je vois là où ça accroche encore, mais sans me maudire pour autant.

Tenez. Il m’arrive encore bien trop souvent de me vanter de mes exploits sportifs. Un besoin de validation que je traîne depuis l’enfance, surtout pour ce qui concerne les domaines où j’étais historiquement nul. C’est plus fort que moi. Je suis de nature excessive, j’entretiens ma légende. Cela exaspère tout le monde. Je m’en rends bien compte, mais seulement après. Je quitte la discussion en sachant que j’aurais dû me taire. D’ici une décennie, mon corps vieillissant devrait m’avoir rattrapé pour mieux me la faire fermer. Mais espérons que j’y parviendrai avant. C’est tout l’objectif de cet affinage que procure le temps, à condition de s’y prêter avec ouverture.

La crise que j’ai traversée pendant l’adolescence de ma fille est sans doute ce qui m’est arrivé de mieux à cet égard. J’ai appris à écouter. Ce qui est un exploit pour un égocentrique de ma trempe, sans cesse accablé par un flot de pensées ahurissant. Mais j’ai surtout cessé de toujours juger les autres depuis les hauteurs morales de celles et ceux qui croient trop souvent avoir raison pour ne pas être ridicules. Cette posture est celle qui me permet de regarder la société évoluer à une vitesse folle sans toujours crier au woke. Avis aux chroniqueurs et chroniqueuses qui écrivent comme un disque rayé : essayez pour voir. Tout d’un coup, l’horizon s’ouvre et apparaît quelque chose comme la promesse d’un monde étranger, déstabilisant mais en même temps fascinant.

J’ignore ce qui m’attend. Je ne sais pas vraiment plus qu’avant où je m’en vais, mais au moins je sais comment. Pas en me laissant porter, c’est plus compliqué. Je sais vers où nager pour ne pas me noyer dans ma colère, mon égo, ma culpabilité…

Une des premières choses que vous apprenez lorsque vous pratiquez un sport en eaux vives, c’est qui si vous vous retrouvez sous l’eau, vous devez aller vers la noirceur. C’est là que les remous sont le moins importants. En vous éloignant de l’écume, vous vous assurez de refaire surface en lieu calme. Alors je plonge en moi, dans cette noirceur qui promet de me faire ressortir de cette apnée de la conscience en eaux plus clémentes.

Je sais ce qui compte pour vrai. Ce qui vaut la peine d’être défendu ou pas. Ce qui m’importe. Et ce qui compte pour celles et ceux que j’aime. Ce qui demande de négocier avec mon égo pour mieux le leur offrir et m’oublier un peu.

Paradoxalement, c’est la nostalgie qui me guide. Mais pas cette idée d’un passé figé, idéalisé, qui me fait regretter ma jeunesse. Au contraire, ces souvenirs sont des avertissements. Je m’émerveille moins facilement, mais j’ai troqué le cynisme contre une sensibilité qui me permet d’être perméable aux choses d’une manière nouvelle.

Je vois aussi le passé pour ce qu’il était. Le romantisme délétère, l’errance spirituelle, la vanité autodestructrice et tout ce qui a constitué ma jeunesse et me permettait de dissimuler mes craintes, ma souffrance. Je ne les renie pas, au contraire. Je les chéris. Ils m’ont fait, ont aiguisé mon intelligence, m’ont guidé et inspiré, m’ont donné envie de réfléchir à l’existence et ouvert les portes de l’esprit. Cette ouverture continue, à ce jour, de m’amener à réfléchir sur l’existence que nous portons comme un fardeau souvent absurde, mais traversé de fulgurances qui confèrent toute sa valeur à une vie dont je suis chaque jour plus sûr qu’elle mérite d’être vécue.

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Bonjour
Merci pour ce si beau texte qui me donne l’impression de ne pas être seule dans mon parcours
Je suis rendu à chercher du sens pour atteindre une sagesse à laquelle j’aspire, dans la philosophie
Ce qui est à date le plus prometteur pour moi
Encore merci pour cet évocation d’un parcours qui m’est familier
Diane

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Réflexion intéressante, qui correspond à ce que beaucoup vivent au mitan de la vie: moins d’assurance d’avoir toujours raison, plus de tolérance, un regard plus indulgent sur les autres, plus de capacité à se « décentrer », à être moins égocentrique.
Puisqu’il est mentionné en début d’article que la photo sur laquelle M. Desjardins affiche un petit air un peu provocateur et cynique ( c’est mon impression) ne correspond plus à l’apparence qu’il a maintenant, vivement une photo plus récente, qui reflète mieux cette transformation intérieure qu’il décrit dans sa chronique.

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