Un canular, c’est sûr, issu d’un site de nouvelles satiriques comme The Onion. Sauf que ce n’est pas le cas : mon regard se porte sur l’adresse du compte et la nouvelle provient du magazine Fortune. Je clique, je lis, mais je n’y crois toujours pas. Alors je google « Tim Hortons Buffalo Wing Latte ». Le Toronto Star, Business Insider, Global, CTV, Metro, le National Post : tout ce beau monde a repris la nouvelle.
Le géant du café a bel et bien atteint ce degré d’aberration. Du moins, dans la ville de Buffalo, où l’immonde boisson est servie en exclusivité.
Peut-être que ce n’est qu’une impression, mais il me semble que le phénomène se produit de plus en plus souvent : le sentiment que les nouvelles sont devenues une caricature des nouvelles.
Entre un article sur l’amour que porte le leader nord-coréen à Whitney Houston en une d’un balado du New York Times et l’obsession des médias pour les chaussettes à l’effigie de Chewbacca du premier ministre canadien (le Guardian demande : « Les bas de Justin Trudeau peuvent-ils amener la paix dans le monde ? », en blaguant à moitié), j’ai le sentiment que notre monde est devenu à ce point absurde que même les nouvelles sérieuses prennent l’allure de satires.
Peut-être que ce n’est qu’une impression, mais il me semble que le phénomène se produit de plus en plus souvent : le sentiment que les nouvelles sont devenues une caricature des nouvelles.
« C’est un sentiment que je partage », me confie Marc Laurendeau. Avant d’être un journaliste respecté, l’homme a sévi au sein du groupe d’humoristes Les Cyniques, qui parodiait allégrement le milieu politique. « Même avec les créditistes, qui étaient naturellement très drôles, il fallait grossir le trait, raconte-t-il. Mais quand je vois Alec Baldwin jouer Donald Trump à Saturday Night Live, je me dis qu’il ne pourra jamais être aussi excessif et dérisoire que le vrai. »
« Le monde est devenu une parodie du monde », abonde Ludovic Schneider, fondateur du site de nouvelles satiriques La Pravda. « Nos personnages publics ont des traits de caractère à ce point accentués que c’est presque trop facile de s’en moquer », dit-il. Il cite le truculent ministre de la Santé, Gaétan Barrette. On pourrait ajouter Régis Labeaume ou, en contrepartie, quantité de politiciens qui se couvrent de ridicule en employant une langue douloureusement cryptique. Pensons à Mélanie Joly, qui a élevé la pratique au rang d’art.
« Avant, il fallait qu’on y colle une blague pour en rire, mais de plus en plus, l’actualité est déjà assez ridicule sans qu’on ait besoin d’en rajouter », confirme MC Gilles, fidèle collaborateur de l’émission Infoman.
Alors, qu’est-ce qui a changé ? Est-ce que le monde est de plus en plus risible ? Ou est-ce la manière qu’ont les médias de relayer l’information qui change ?
« L’an dernier, TVA s’est vanté d’avoir la nouvelle la plus partagée, soit l’histoire de la dinde noire de Gatineau [qui a fracassé la fenêtre d’une maison], illustre MC Gilles. Je n’aurais jamais rien fait d’aussi drôle que ça, mais [si c’est devenu viral,] c’est parce que le reportage n’avait pas d’allure. Le réseau, lui, voit ça comme quelque chose de positif. »
Les médias ont suivi la tendance pour augmenter leur trafic Web, notamment en publiant des nouvelles racoleuses, croit aussi Ludovic Schneider. Non sans conséquence. « Avant, mes lecteurs voyaient rapidement que ce que je publiais était une niaiserie, mais maintenant, ça devient de plus en plus difficile de faire la différence entre le vrai et la satire. Et c’est beaucoup à cause des titres toujours plus rocambolesques qu’utilisent les médias traditionnels pour attirer le public. »
Absurdité du monde ou traitement absurde de l’actualité : le grand perdant à ce jeu de dupes est la vérité.
La frontière floutée entre le réel et la parodie répond sans doute à la mécanique des fausses nouvelles que décrit Arie Kruglanski, professeur de psychologie à l’Université du Maryland : un puissant conflit interne, chez les individus, entre le désir d’obtenir de l’information de qualité et celui d’être conforté dans ses idées. Ici, c’est le désir d’être diverti qui gagne.
Il faut donc se demander : l’attrait pour la parodie alimente-t-il la popularité des politiciens caricaturaux ? Si le réel se confond avec sa caricature, cela explique-t-il le soudain intérêt pour des personnages publics plus grands que nature, au langage outrancier ?
Pensons à Donald Trump, lors de la dernière campagne électorale, se moquant d’un journaliste handicapé en l’imitant, devant un public hilare… Autrefois, cela l’aurait mis hors course.
Si notre désir de rire de tout produit un réel de plus en plus risible, je crains bien que, comme les fausses nouvelles, ce phénomène finisse par avoir raison de pans entiers de ce qui constitue le socle de nos démocraties.
Et ça, c’est tout sauf drôle. Parce que rendu là, on pourra affirmer sans rire que le ridicule tue.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de janvier 2018 de L’actualité.
« Le sentiment que les nouvelles sont devenues une caricature des nouvelles. »
Autodérision?
Toutes ces nouvelles insignifiantes nous noient dans un flot ininterompu qui nous détourne de ce qui se passe au dessus de nous, des décisions qui changent la monde dans l’intérêt d’une minorité dominante.
Je pense que c’est un nouveau symptôme de quelque chose d’ancien : notre réflexe humain de faire passer l’urgent avant l’important, comme quand on répond au téléphone en laissant notre bébé dans le bain. On sait bien que le « bébé » est important mais plusieurs se sentent incapables de ne pas répondre aux stimuli. Le problème est peut-être qu’il y a tellement de stimuli que la sonnerie doit être de plus en plus forte pour qu’on y prête attention…
Ce que l’on apprécie désormais, c’est tout ce qui fait « image ». Il ne faut surtout pas lire, c’est dangereux pour le cerveau.
Avec les nouvelles télévisées en continu, les reporters sur le terrain doivent se dépêcher pour sortir une nouvelle en premier, même si elle ne sera pas avérée par la suite. Ex: la mosquée de Montréal qui aurait demandé à ce qu’il n’y ait pas de femmes sur le chantier devant son emplacement à Montréal.
Et avec tous les Twitter et Facebook de ce monde qui réacheminent ces nouvelles en les tordant encore un peu, ce n’est pas surprenant, et comme vous dites, c’est tout sauf drôle.
Le réseau de nouvelles en continu est une bestiole qui doit être nourrie continuellement, et ce peu importe la qualité de la nourriture. Ce réseau est devenu un goéland…;o)