L’égalité des sexes : invention moderne ?

À quand remonte le souci de l’égalité hommes-femmes dans l’histoire de l’espèce humaine ? Des anthropologues s’attaquent à la question dans une nouvelle étude. (Un indice : c’était bien avant le mouvement féministe !)

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Photo : Mauricio Anton/Science Photo Library

Égalitaire ou dominateur, Homo sapiens ? Cette question fait débat depuis longtemps. Pour certains, la notion d’égalité des sexes est une invention moderne, le fruit d’idéaux progressistes qui vont à l’encontre de notre nature profonde. Pour d’autres, l’être humain est au contraire une espèce fondamentalement égalitaire, dont les bons instincts ont été pervertis par la civilisation et l’accumulation de richesses. Hommes et femmes sont-ils faits pour s’opprimer les uns les autres, ou pour partager le pouvoir ?

Des anthropologues britanniques jettent un éclairage fort intéressant sur cette question dans une récente livraison de la revue Science. Mark Dyble, étudiant en doctorat au University College de Londres, la professeure Andrea Migliano et leurs collègues ont observé des peuples d’Asie et d’Afrique en plus de faire des tests à l’aide d’un modèle informatique. Et selon eux, il y a de bonnes raisons de croire que les premiers humains, qui arpentaient jadis la savane en petites tribus de chasseurs-cueilleurs, étaient des apôtres de l’égalité sexuelle.

Ce qui a piqué d’abord la curiosité des chercheurs, c’est un trait inusité des populations de chasseurs-cueilleurs. Ces peuples ont la particularité de vivre en groupes composés non pas de personnes apparentées, comme on pourrait s’y attendre, mais majoritairement de personnes sans lien génétique entre elles. Pourquoi ?

Les anthropologues se sont demandé si ce phénomène avait quelque chose à voir avec la répartition du pouvoir dans le couple. En règle générale, si on leur donne le choix, la majorité des gens préfèrent vivre près de leur famille. Ainsi, si c’est le mari qui choisit où et avec qui le couple s’installera, il choisira de s’établir auprès de ses proches à lui, et la collectivité sera formée d’un noyau d’hommes de la même famille et de leurs épouses. Si c’est la femme qui tranche, elle choisira sa propre parenté, et le groupe sera organisé autour de son clan familial à elle. En revanche, si les souhaits des deux époux comptent tout autant, le couple ne s’entourera pas systématiquement des proches de l’un ou de l’autre, mais d’un mélange des deux, et chacun côtoiera des gens avec qui il n’a aucun lien de parenté.

Un modèle informatique simulant le processus a été conçu pour vérifier cette hypothèse. Dans une version du modèle, le mari et la femme ont une égale influence sur le choix des personnes avec qui ils cohabiteront ; dans une autre version, seul l’un ou l’autre a voix au chapitre. La simulation a confirmé l’intuition des chercheurs : lorsque la prise de décision est égalitaire, on obtient des groupes où les liens familiaux sont beaucoup plus ténus que si l’un ou l’autre sexe domine.

C’est donc l’égalité entre les époux qui serait le fondement de l’organisation sociale singulière des chasseurs-cueilleurs. Ce résultat va dans le sens des observations recueillies sur le terrain, en 2013 et 2014, auprès des Pygmées Mbendjele, au Congo, et des Agta, aux Philippines. Ces peuples résident dans des camps comptant une vingtaine d’adultes et leur progéniture et subsistent en chassant, en pêchant et en cueillant des ressources dans leur environnement. Les couples passent librement d’un camp à un autre selon leurs besoins, pour se rapprocher tantôt de la famille de l’épouse (à la naissance d’un enfant, notamment), tantôt de celle de l’époux. (Par contraste, chez les Paranan des Philippines, un peuple d’agriculteurs, les femmes rejoignent systématiquement la famille de leur mari.)

L’être humain a été chasseur-cueilleur pendant 95 % de son histoire (jusqu’à l’émergence de l’agriculture, il y a environ 12 000 ans). On peut donc penser que l’égalité sexuelle a été la norme pour l’espèce humaine durant la presque totalité de ses 200 000 ans d’existence, comme elle l’est toujours pour les chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui.

Les chercheurs vont jusqu’à laisser entendre que c’est l’égalité entre maris et femmes qui a permis à Homo sapiens de devenir ce qu’il est : une créature remarquablement coopérative et inventive, sans pareille dans le règne animal. C’est grâce à l’égalité des sexes — et à l’organisation sociale qui en découle — que les êtres humains ont dû s’habituer à collaborer avec des gens qui ne sont pas de leur famille. C’est grâce à elle qu’ils ont développé des réseaux s’étendant bien au-delà des liens du sang ou du mariage. Et ces contacts avec des gens d’horizons divers leur ont permis d’échanger de nouvelles idées, d’apprendre les uns des autres et, en fin de compte, d’innover.

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…et moi qui croyait ferme que c’était une autre de nos belles « valeurs québécoises »…

Eh ben!

La preuve de l’importance de l’égalité des sexes est que les peuples qui, encore aujourd’hui, considèrent la femme comme un être inférieur, vivent comme si nous étions au Moyen-Âge. En plus qu’est que ces peuples ont inventé depuis 200 ans pour améliorer les conditions de vie?

Dans nos sociétés, on voit l’égalité homme-femme comme une égalité dans les droits et dans les métiers. Chez les tribus primitives, les femmes enfantent davantage (souvent au 2-3 ans) et leurs métiers ne peuvent être les mêmes que dans des sociétés où elles ont au plus 2 enfants. Le travail de ces femmes ne peut absolument pas être de même nature que celui des hommes. Parler d’égalité homme-femme dans ces cas-là est illusoire et utopique. Il faut plutôt parler de domination d’un sexe sur l’autre, ou de l’absence de domination.

Qu’un couple vive près des parents de l’homme ou de la femme ne dit pas grand chose sur l’égalité homme-femme telle que prônée aujourd’hui dans les pays développés. Il faudrait mieux définir quelles sont les implications sur le traitements des femmes dans ces différents couples. Est-ce que ces mariages sont aussi arrangés pour favoriser des liens entre familles? Les femmes ont-elles une plus grande valeur et sont-elles moins battues lorsque les couples s’installent près de la famille de la femme? Est-ce que les parents des filles doivent payer une dot pour le mariage?

Une comparaison avec les amérindiens aurait aussi été appréciée. Certains parlent de sociétés matriarcales chez ces amérindiens, où l’organisation familiale se fait autour de la femme. On ne parle pas d’égalité dans ces cas-là.

Ce n’est pas si simple que de référer à la composition des groupes pour conclure à l’égalité des sexes. Les rôles ont toujours étés inégaux, même dans un esprit de collaboration ou d’homogénéité du groupe. L’égalité des droits est surtout manifeste dans la gestion des conflits et des partages et comme le souligne le judicieux commentaire de Belley, c’est essentiellement une question de dominant/dominé.

L’activité du chasseur/cueilleur qui apporte la pitance au groupe implique non seulement un partage des tâches, mais aussi un partage des produits de la chasse et de la cueillette. Dans le règne animal on observe une hiérarchie du pouvoir et ce sont les individus dominants qui se nourrissent les premiers. Même si tout le clan arrive à se nourrir, il y a un ordre de priorité. Ce serait éclairant d’avoir un aperçu de la façon dont la discipline était exercée chez les homo sapiens, qui avait le dernier mot pour trancher les conflits, comment les privilèges étaient distribués etc.