Les bienfaits cachés de la guerre au sexisme

Bannir le langage sexiste en milieu de travail est-il le meilleur moyen de tuer la créativité ? Selon une récente étude, c’est précisément le contraire ! 

Ill. © Paul Bordeleau
Ill. © Paul Bordeleau

On ne peut même pas s’amuser ! On n’a plus le droit de plaisanter ! On n’ose plus rien dire d’un peu salé ! Et la liberté d’expression, dans tout ça ?

Vous reconnaissez ces protestations ? Ce sont les hauts cris de ceux qui se rebiffent devant les normes de conduite antisexistes.

Il a été beaucoup question, ces derniers mois, du sexisme ordinaire, qui persiste dans les bureaux, les rues, les bars, les écoles — obstacle tenace à une véritable égalité des sexes et premier germe de la violence sexuelle qu’endurent surtout les femmes. Mais certains répliquent que le prix à payer pour se débarrasser de tout propos déplacé est trop élevé. Si, par crainte de heurter les sensibilités des autres, on se met à censurer nos commentaires provocateurs — lors d’une séance de remue-méninges en entreprise, par exemple —, ne risque-t-on pas, par la même occasion, de réprimer aussi nos idées les plus originales ? Policer la parole n’est-il pas le meilleur moyen d’étouffer la spontanéité, de scléroser la pensée ?

En réalité, ce serait plutôt le contraire.

Des spécialistes américains en gestion des organisations viennent de publier une étude sur le sujet dans Administrative Science Quarterly. Et ils font état d’une découverte étonnante : inciter les gens à se comporter de manière « politiquement correcte » ne nuit pas à leur créativité. Ça la stimule !

Jack Goncalo, de l’Université Cornell (État de New York), et ses collègues ont demandé à des étudiants universitaires des deux sexes de brasser des idées pendant 10 minutes, en groupes de trois, sur un sujet neutre (quel type de commerce installer dans une propriété vacante). La moitié des participants ont d’abord dû discuter brièvement de la présence de la rectitude politique sur leur campus, une façon de s’assurer qu’ils gardent le concept en tête ; les autres n’ont eu aucun échange de ce genre avant de commencer l’exercice.

Résultat : les participants qui avaient eu une discussion « politiquement correcte » ont généré davantage d’idées concernant les nouveaux commerces, et des idées plus novatrices, que les trios qui n’avaient pas eu cette directive.

Il y a un bémol, cependant. Ces bienfaits ne sont survenus que dans les groupes mixtes (deux garçons, une fille, ou deux filles, un garçon). Les groupes de même sexe (composés de trois hommes ou de trois femmes, peu importe) ont subi l’effet inverse : leurs idées se tarissaient quand on leur parlait de rectitude politique.

Comment expliquer ces singuliers résultats ? Il faut savoir que les équipes mixtes sont, en partant, reconnues comme étant moins inventives que celles de même sexe, selon plusieurs études sur la créativité des groupes. On pourrait s’attendre à ce que leur plus grande diversité de perspectives les aide à sortir davantage des sentiers battus, mais ce n’est pas le cas : quand des hommes et des femmes se trouvent en présence les uns des autres, des bâillons invisibles les empêchent d’exploiter leur plein potentiel créatif.

On a beau se côtoyer quotidiennement, soulignent les auteurs, on ne sait toujours pas exactement comment agir avec nos collègues du sexe opposé. Les hommes peuvent craindre de choquer ou de blesser par leurs propos et, dans le doute, user plus de neurones à se demander ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas dire qu’à concevoir des idées neuves. Les femmes, elles, peuvent être portées à se taire par crainte d’être critiquées ou de ne pas être prises au sérieux (et des recherches leur donnent raison : les femmes ont effectivement moins d’influence et de crédibilité dans les groupes que les hommes). Difficile, dans ces conditions troubles, de trouver l’audace de nager à contre-courant. Le spectre du sexisme est un véritable éteignoir.

Par contre, quand les règles du jeu sont claires -— quand tout le monde comprend que le sexisme ne sera pas toléré —, l’ambiguïté s’envole. Cela crée un filet de sécurité, qui, selon les chercheurs, permet aux hommes et aux femmes de prendre plus de risques en réunion. « La rectitude politique clarifie le comportement qui est attendu de chacun, écrivent-ils. L’injonction d’éviter le langage sexiste devient de notoriété publique. Cela indique aux membres du groupe qu’ils sont dans un cadre assez prévisible pour oser s’exprimer de manière créative. En effet, l’un des bienfaits les plus sous-estimés de la rectitude politique est qu’elle réduit l’incertitude, tant pour les hommes que pour les femmes, peu importe la source de cette incertitude. »

Ainsi, dans l’expérience de Jack Goncalo, la consigne « politiquement correcte » a permis aux trios mixtes d’égaler la créativité des trios de même sexe, qui, normalement, sont les plus innovants. Si, en revanche, la même règle semble nuire aux groupes homogènes, c’est peut-être parce que leur mécanique est déjà si bien rodée qu’une directive de trop peut les faire dérailler.

Dans un marché du travail où, de plus en plus, on est appelé à collaborer avec des personnes différentes de nous, la lutte contre les attitudes discriminatoires n’est donc pas seulement moralement défendable. Elle serait libératrice pour tous… et avantageuse pour les entreprises, qui dépendent de l’innovation pour prospérer.

Les commentaires sont fermés.

J’ai regardé brièvement l’article original. Le nombre d’idées générées entre les groupes et l’originalité des idées semblent favoriser les groupes mixtes qui ont discuté de la rectitude politique.

Par contre, les groupes non-mixtes qui ont aussi discuté de la rectitude politique on fait pire que les groupes mixtes. Et ça me semble très louche.
Les auteurs ont fait certaines analyses statistiques sur le nombre d’idées générées et leur originalité. Les variations entre les groupes, (mesurées par les écarts-types et les intervalles de confiance de 95%) sont telles que les résultats obtenus ont pu être dus seulement au hasard. Autrement dit, ils ne sont pas statistiquement significatifs.

Si je l’ai bien analysé, cette étude ne veut rien dire et elle sera contredite probablement très bientôt lorsqu’on tentera de la reproduire. Je ne comprends pas comment les auteurs ont pu publier de tels résultats statistiquement non-significatifs.

Il est vrai que leurs conclusions font la promotion de la rectitude politique. Je n’ai rien contre la rectitude politique, mais contre la publication de résultats qui peuvent avoir facilement été obtenus par hasard.