Les bonnes et moins bonnes façons d’aider son enfant

Bien des parents s’inquiètent des traumatismes que la pandémie pourrait causer à leurs enfants. Or, cette période difficile est une occasion importante d’acquérir des outils qui leur serviront toute leur vie.

Illustration : Mireille St-Pierre

Cécile Rousseau est catégorique : la meilleure manière de traumatiser nos jeunes lors d’une épreuve, c’est de répéter à tout vent que les pauvres risquent de faire des cauchemars et d’être marqués à vie. La pédopsychiatre, qui traite notamment des enfants réfugiés et rescapés de la guerre, l’avait martelé durant la crise du verglas il y a 20 ans, et le répète encore aujourd’hui : « Un ton aussi alarmiste est dangereux, car il sape leur capacité de s’adapter à des situations difficiles. »

C’est par l’exposition à des événements stressants, comme la pandémie, que les jeunes apprennent à gérer les risques et l’adversité inhérents à l’existence, explique la professeure à l’Université McGill. « Ce n’est pas agréable, ça fait mal, mais ils ont en eux ce qu’il faut pour apprivoiser l’angoisse. » Les petits utilisent le jeu, par exemple. « Ils vont jouer et rejouer ce qui les hante — l’accident de voiture, l’arrivée du nouveau bébé, le séjour à l’hôpital. Et d’un scénario à l’autre, il y aura un peu plus de solutions et un peu moins d’inquiétudes. »

Les plus vieux ont le réflexe de se tourner vers leur communauté d’amis, qui est pour eux « un lieu privilégié de compréhension du monde et de protection », affirme la chercheuse. D’où l’importance de les inciter à maintenir le contact le plus possible, en mode virtuel si la situation sanitaire l’oblige. L’humour — voire l’humour noir — est également une stratégie fréquente à cet âge pour apprivoiser une réalité difficile. « Ça permet de bousculer les convenances, d’exorciser l’anxiété, mais aussi d’avoir le sentiment de reprendre un peu la maîtrise de son environnement : si on ne peut rien faire, on peut au moins rire de la situation et faire rire les autres ! »

Ces processus d’adaptation au stress ne s’enclenchent pas toujours, si bien que certains jeunes souffrent davantage de la pandémie que d’autres. Soit parce qu’ils sont génétiquement plus à risque d’être atteints d’une maladie mentale, soit parce que la crise réactive des traumatismes antérieurs, ou encore parce qu’ils évoluent dans un environnement malsain, entouré d’adultes mal équipés pour faire face aux difficultés. 

D’ailleurs, depuis quelques mois, les cas préoccupants se multiplient dans les services pédiatriques : des bambins qui se lavent les mains jusqu’au sang, des ados qui ne décrochent plus des écrans, d’autres aux prises avec des troubles alimentaires… Des enfants songent même à s’enlever la vie. « Certains ont moins de 10 ans », se désole la travailleuse sociale Caroline Bolduc, qui coordonne l’équipe de santé mentale jeunesse du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. « On voit aussi plus de dépression que d’habitude. Les jeunes sont très ébranlés d’être coupés de leur vie sociale normale et ils s’ennuient. Certains absorbent les émotions des parents, qui vivent de grandes difficultés à cause de la pandémie, si bien qu’ils n’osent pas leur parler de leur détresse pour ne pas les inquiéter davantage. »

La psychologue Tina Montreuil observe également une montée de l’anxiété généralisée depuis le printemps. « Chez les enfants, mais encore plus chez les parents », note la professeure au Département de psychopédagogie et de psychologie du counseling de l’Université McGill, dont les travaux portent sur le développement de la résilience chez les jeunes.

La chercheuse est néanmoins convaincue qu’il est possible de renverser les troubles anxieux, y compris chez les enfants et les ados les plus à risque. Elle croit aussi que les parents sont de précieux alliés pour y arriver… pourvu qu’ils arrivent eux-mêmes à maîtriser leurs réactions au stress. « Je donne souvent l’exemple du masque à oxygène dans l’avion : l’adulte doit d’abord mettre le sien avant d’installer celui de son petit, autrement il va compromettre la survie des deux. »

Il ne s’agit pas de faire semblant d’être au-dessus de ses affaires — de toute façon, les enfants ne sont pas dupes, ils ressentent profondément les émotions de papa et de maman. « Tenter de cacher ses états d’âme envoie à tort le message que l’anxiété est une réaction anormale aux écueils », souligne la psychologue. Mieux vaut dire la vérité, peu importe l’âge de sa progéniture. Mais ensuite, il faut montrer qu’on cherche des stratégies pour surmonter l’épreuve, qu’on ne reste pas au plancher. « La pandémie donne aux jeunes l’occasion d’apprendre, par notre exemple, qu’il est possible de s’adapter à l’incertitude. »

En thérapie, Tina Montreuil utilise souvent la technique du nuage pour augmenter la tolérance au stress. Il s’agit de prendre conscience de son angoisse, de l’accepter sans jugement, de l’installer sur un cumulus imaginaire, puis de l’observer s’éloigner dans le ciel. « Parfois aussi, j’invite le jeune à écrire sa peur sur un vrai ballon, qu’il va ensuite pousser loin de lui. L’objectif est que la personne anxieuse cesse de se définir par son anxiété. C’est un état qui fait parfois partie d’elle, mais qui finit par s’en aller. »

Avec les ados, l’idéal est de poser des questions qui les invitent à réfléchir à leurs réactions et à donner leur point de vue, plutôt que de leur servir des homélies truffées de conseils qu’ils s’empresseront de bouder. « Par exemple, on peut leur demander comment ils se sont remis de coups durs dans le passé et quels trucs pourraient leur être utiles maintenant, illustre la travailleuse sociale Caroline Bolduc. Ou encore ce qu’ils veulent améliorer dans leur manière de gérer les émotions et ce qu’ils apprennent sur eux et les autres depuis le début de la pandémie. »

Faire de ses plus vieux des partenaires lors d’une épreuve est rentable à tous les points de vue. D’abord, on s’évite des conflits épiques, car essayer de les diriger sans leur donner voix au chapitre risque surtout d’éveiller en eux le désir de se rebeller et d’adopter des stratégies de résistance, dont certaines peuvent mettre leur vie en péril — abus de drogue et d’alcool, conduite automobile à risque, gestes de délinquance, etc., note Cécile Rousseau.

Ensuite, c’est une occasion de les rendre plus solides et autonomes, un cadeau inestimable à l’aube de la vie adulte. « Par exemple, en leur demandant de songer aux stratégies qui leur ont permis de se relever d’autres expériences négatives, on les aide à prendre conscience des forces qu’ils ont déjà en eux et de la façon dont ils peuvent s’en servir », explique Caroline Bolduc. Les discussions ouvertes sur le recours à des béquilles pour calmer le stress, comme manger à s’en donner la nausée ou se noyer dans les écrans, les aident aussi à devenir responsables de leurs décisions et à développer leur esprit critique.

Enfin, en période de chaos, l’une des manières les plus efficaces d’apaiser le « hamster intérieur » est de maintenir la routine et les rituels familiaux. En semaine, pas de farniente en pyjama : on se lève à une heure fixe et on s’active. « Tout le monde doit avoir des missions quotidiennes — tâches ménagères, activités sportives, devoirs, dit Cécile Rousseau. Mais il faut aussi des moments de détente, de jeu et de création, où tous peuvent s’exprimer librement, car c’est ainsi qu’on assimile tranquillement ce qui nous arrive. » 

Ces espaces de liberté et d’expression sont aussi importants à l’école, insiste-t-elle, car ils permettent à des enfants dont le milieu familial est fragilisé par la pandémie de lâcher leur fou et de dire ce qui les préoccupe, en toute sécurité, sous le regard d’adultes attentifs et bienveillants. « Il ne faut pas faire l’économie de ces moments sous prétexte qu’on a pris du retard dans les programmes. Ce que nous sommes en train de vivre collectivement est également riche en découvertes. Cette année, les jeunes ont mieux compris ce qu’est un virus ; ils ont appris l’importance de protéger les plus vulnérables ; ils voient aussi comment on peut tenter de se sortir d’une situation difficile en étant solidaire et responsable. C’est au moins aussi fondamental que les apprentissages scolaires ! »