Les enfants ne sont pas la solution

Il est de bonne guerre de se soucier de la pénurie de main-d’œuvre, mais pas au prix de la sécurité et du développement d’enfants qui viennent à peine de terminer leur cours primaire.

Photo : Christian Blais pour L’actualité

Plongée dans un compte rendu de la commission parlementaire qui étudie le projet de loi encadrant le travail des enfants, j’ai soudain levé les yeux vers les miens, qui ont 11 et 13 ans : je venais de prendre conscience qu’ils ont l’âge d’être convoités par les employeurs. 

Le ministre Jean Boulet a déposé ce projet de loi après qu’un nombre grandissant d’enfants eurent été victimes d’accidents de travail au Québec. De 2017 à 2022, la CNESST a recensé une explosion de cas chez les jeunes travailleurs de 14 ans ou moins, qui sont passés de 10 à 74. On parle de 501 adolescents de 16 ans ou moins qui ont déclaré une lésion due au travail l’an dernier seulement ! 

Le ministre veut donc fixer à 14 ans l’âge minimum pour travailler, sauf quelques exceptions, comme le gardiennage d’enfants et la livraison de journaux. Une autre concernerait les entreprises familiales de moins de 10 employés. Et à partir de 14 ans, le maximum serait établi à 17 heures de boulot par semaine durant l’année scolaire. 

Cependant, à en croire les mémoires déposés par diverses parties patronales, des pans entiers de l’économie seraient en péril s’ils devaient se passer des employés de 13 ans ou moins. L’Association des restaurateurs du Québec « redoute que cette perte soudaine d’une partie de la main-d’œuvre disponible soit un choc difficile pour de nombreux restaurants déjà confrontés à la pénurie de main-d’œuvre ». L’Alliance de l’industrie touristique du Québec fait remarquer que 40 % de ses membres comptent des employés âgés de moins de 14 ans. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante se dit d’accord avec les principes du projet de loi… mais demande un tel élargissement des exceptions qu’il viderait la loi de son sens. 

J’ai lu dans les mémoires de différentes organisations des affirmations d’une mauvaise foi troublante. À en croire certaines, faire la plonge dans un restaurant constituerait une expérience pédagogique et ne représenterait pas plus de risque que de laver la vaisselle à la maison ; un jeune travaillant dans un grand magasin appartenant au cousin de sa mère serait aussi étroitement supervisé que s’il donnait un coup de main dans le dépanneur de son père ; la seule autre option qui s’offrirait aux enfants privés de la chance de travailler serait de passer l’été dans le sous-sol à jouer aux jeux vidéos. 

« Pousse, mais pousse égal », dit l’expression populaire. Il est de bonne guerre de promouvoir les intérêts de son industrie, mais l’enjeu ici est quand même la sécurité et le développement d’enfants qui viennent à peine de terminer leur cours primaire (ou qui y sont encore : la FTQ signale que son membre le plus jeune a 11 ans !). 

L’angoisse des entreprises face à la perte de ces jeunes employés est bien sûr le reflet de la pénurie de main-d’œuvre. C’est effectivement un grave problème, qui touche tous les secteurs d’activité, mais plus particulièrement ceux qui impliquent des tâches non qualifiées, peu payées ou saisonnières. En situation de plein emploi, trouver du personnel pour nettoyer les tables, remplir des étagères ou cueillir des fraises est plus difficile que jamais. 

La solution ne peut toutefois reposer sur les frêles épaules des préadolescents. Ils risquent trop de subir des blessures ou des abus, ou de vivre du surmenage (rappelons qu’ils passent déjà près de 35 heures à l’école, sans compter les devoirs et le transport). De plus, il est démontré qu’au-delà de quelques heures par semaine, le travail rémunéré a un effet néfaste sur la réussite scolaire ; or, la dernière chose dont le Québec a besoin présentement est de voir baisser encore davantage ses taux de diplomation. 

Oui, avoir un petit gagne-pain à l’adolescence permet de développer son sens des responsabilités et d’acquérir de l’autonomie. Mais il y a bien d’autres façons d’encourager ces compétences. Surtout, il n’y a pas d’urgence à devenir un employé avant même d’avoir quitté l’enfance. 

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Tout à fait d’accord avec vous! Pour qu’un employeur puisse affirmer que le travail des jeunes ait la valeur d’une expérience pédagogique, il faut qu’il soit en mesure d’encadrer le jeune comme nous le faisons à l’école en présence d’un adulte compétent et responsable de sa sécurité, avec équipement en bon état, dans un lieu sécuritaire exempt de multiples distractions et à des heures convenables. En est-ce vraiment le cas?

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Et si on arrêtait de surprotéger nos jeunes ados madame St-Germain ? Ils ne sont plus à l’âge de la tendre enfance. Ils approchent de la vie adulte et la vie d’adulte n’est pas une garderie.
De onze ans à quatorze ans, j’ai fait des petites ¨jobines¨ pour me faire quelques sous pour m’acheter moi même des gâteries sans avoir à quémander mes parents; et j’en étais très fier. À quatorze ans, j’ai commencé un vrai job comme emballeur d’épicerie, et à dix-huit ans, je refusais un poste de gérant d’épicerie afin de continuer mes études et me décrocher un diplôme qui m’a fait gagner honorablement ma vie et fonder une famille. Je n’ai pas eu besoin d’une loi pour prendre mes propres décisions et voir où je voulais aller. Mon travail n’a jamais nui à mes études car j’avais appris à limiter mes temps de travail, d’études et de loisir afin de garder mon équilibre.
Il n’y a pas d’employeur qui peut abuser d’un jeune quand celui-ci apprend à se connaître et se respecter lui même, et c’est par le travail qu’il l’apprend le mieux. Le rôle des parents est de surveiller le déroulement de son enfant et d’intervenir positivement si une dérive semble se dessiner, sans plus.
Quant aux risques d’accidents, nul n’est à l’abri, mais il relève de l’employeur d’observer les législations et il faut le dénoncer si ce n’est pas le cas.
Pour conclure, un autre avantage du travail chez les jeunes ados, ils passent moins de temps à jouer des jeux stupides sur leur téléphone ou à texter leurs amis assis à côté d’eux.

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Bien d’accord avec vous. Comment un jeune de 13 ans peut savoir qu’il subit de l’abus ou de l’exploitation? En tous cas pour ma part, ce n’est pas vrai que le travail des enfants soit la solution pour régler les problèmes de main d’oeuvre des entreprises et organismes.

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