Les joyeux naufragés

La récession qui nous guette nous rappelle à notre rang de dindons bien farcis. Tout ça pour alimenter la rapacité de rares privilégiés.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

«La violence est partout. Dans toutes les choses ordinaires qui traversent nos vies. La carte de crédit. Les taux d’intérêt. Les vêtements. La nourriture. Nos téléphones. La téléréalité… »

Je suis obsédé par la brutale litanie en introduction de La paix des femmes, de Véronique Côté. C’est une pièce sur la prostitution. Et aussi sur les inégalités et la pensée magique des intellectuels face à la sauvagerie du réel économique et social.

Autre extrait : « Tout est transaction. Et toute transaction est une violence dans un costume de civilisation. Je paie, donc j’ai le droit. »

Quand tout s’est arrêté lors du premier confinement et que le monde transactionnel s’est estompé, plusieurs se sont imaginé une vie différente. Le regretté philosophe français Bruno Latour laissait entendre que nous avions alors constaté notre déracinement : « Où habitiez-vous avant ? Dans l’économie, ailleurs que chez vous. »

Ainsi sommes-nous condamnés à être chassés de chez nous (ce lieu où réside le sens de nos existences) par la nécessité de remplacer le vieux par du neuf. Que l’on se positionne en marge ou pas, notre centre collectif est toujours dans l’édifice babélien de la consommation.

La métaphore de l’immeuble monumental qu’est notre système capitaliste, Kevin Lambert en fait le cœur de son dernier roman, Que notre joie demeure, un récit sur la turpitude morale des ultra-riches qui se déroule dans le monde de l’architecture de prestige. En toile de fond : une crise du logement qui révèle les contradictions d’une certaine idée du progrès, voire de la beauté.

Une rapacité qui nous plonge dans une récession dont les dindons de la farce sont toujours les mêmes : les 99 % qui, comme le festif volatile, se font copieusement fourrer.

« Je voulais que le roman soit construit comme un conflit », m’explique-t-il. Un contentieux interne chez le lectorat, qui se retrouve à aimer et à détester son personnage principal, Céline Wachowski, une architecte milliardaire. « On est fasciné par cette femme, son intelligence, sa personnalité de radicale chic, mais en même temps dégoûté par le fait qu’elle trempe dans les paradis fiscaux. » Depuis les hauteurs de sa tour de verre et d’acier, Céline nous renvoie l’image magnifiée de nos propres renoncements. La violence est partout. Y compris dans nos régimes de retraite. « On a tous des intérêts dans la finance mondiale, poursuit l’auteur. On a des actions dans des sociétés qu’on ne connaît pas et qui font sans doute des affaires croches. Pourquoi voudrait-on renverser un système dans lequel on a des intérêts ? »

L’autre ruse très efficace de la finance, c’est l’opacité de son vocabulaire, croit Kim Lévesque-Lizotte, qui a coscénarisé l’excellente série Avant le crash avec Éric Bruneau. « Quand Éric m’a dit qu’il voulait écrire sur les banquiers d’investissement, je pensais que je ne saisirais rien. Mais je me suis vite rendu compte que ce n’est pas si compliqué et que derrière des termes inconnus se cache un système sur lequel on aurait plus d’emprise si on se donnait la peine de le comprendre. »

La violence est présente dans ces trois œuvres qui nous parlent de la déshumanisation qui accompagne le désir de pouvoir et l’ambition. Plus encore, les personnages qu’on y croise sont habités d’une immense ambiguïté. « L’argent, c’est un symbole, mais pas seulement de réussite, poursuit Kim Lévesque-Lizotte. Ça va plus loin. La valeur de l’être humain dans la société se mesure à la hauteur de ce qu’il possède et affiche. » On a la quête du bonheur qu’on peut. L’actionnaire est la figure démoniaque de notre époque, illustre Kevin Lambert. C’est l’un de nos nombreux visages à nous aussi.

L’actionnaire impose aux gestionnaires le profit trimestriel obligatoire, quitte à supprimer des emplois, à relocaliser la production là où l’on peut exploiter des travailleurs. Et par l’intermédiaire d’un système dont nous profitons (ne serait-ce que dans les fonds d’investissement du Québec, des syndicats, etc.), nous avalisons les conséquences du culte du fric.

Tandis que j’écris ces lignes, nous vivons une inflation aux proportions historiques. Qui en profite ? Souvent des entreprises que l’on soupçonne de tirer parti de la situation pour hausser leurs prix sans que cela soit nécessaire. Au bénéfice des actionnaires.

Une rapacité qui nous plonge dans une récession dont les dindons de la farce sont toujours les mêmes : les 99 % qui, comme le festif volatile, se font copieusement fourrer. Heureusement pour les nantis, l’imaginaire populaire est captif de leur univers. Nous nous projetons dans un fantasme de richesse individuelle — yacht, McManoir et autres symboles de luxe indécent — quand Québec solidaire propose de taxer les multimillionnaires. Voici le bon peuple, déchirant sa chemise en criant au communisme, tout cela en attendant les 500 dollars de consolation du gouvernement.

Des bouées de sauvetage pour naufragés à la merci de pirates vénérés.

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QS et sa taxe orange !
Une taxe inutile, idéologique et mal ficelée, pour punir certains.
Comment un parti politique peut il être si déconnecté ? QS nous propose de récolter 50 millions en taxes punitive, pendant que le gouvernement CAQ en place offre à la population un retour d’impôts d’une hauteur de 3 milliards de $. ? On aurait dit que QS était sur une autre planète ….si je caricaturais, je dirais «  réveillez vous » la revue des témoins de jehova

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Entièrement réel ce texte qui tente de réveiller 99% de la population du fait que la richesse ne rejoint que les vrais capitalistes, ces investisseurs dans tous les domaines du monde des affaires. Je l’ai partagé dans mon Facebook en espérant que les quelques personnes qui le liront admettront que les effets néfastes du capitalisme mondial alimentent notre quotidien, que l’on ne devrait plus se péter les bretelles avec nos avoirs éphémères.

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