Les leçons de l’épidémiologie pour les CHSLD

Comment mieux gérer le risque de COVID-19 pour les aînés vivant en résidence ? L’analyse épidémiologique de la première vague amène plusieurs pistes d’amélioration.

Ryan Remiorz / La Presse canadienne

L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

La première vague de la pandémie a emporté 4 836 personnes vivant dans les milieux de vie pour aînés. En soutien aux travaux de la commissaire de la santé et du bien-être, j’ai reçu, avec d’autres spécialistes, le mandat de réaliser des analyses épidémiologiques afin d’évaluer la surmortalité au Québec et ses facteurs explicatifs potentiels. Cet exercice pourrait aider à mieux comprendre la pandémie et les stratégies pour y faire face.

Notre rapport publié récemment confirme d’abord une surmortalité sans équivoque.

La mortalité en CHSLD

Avant la pandémie, bon an, mal an, environ 30 % de tous les décès enregistrés dans une année au Québec survenaient en CHSLD. Durant la première vague, environ 64 % des décès attribués à la COVID ont eu lieu en CHSLD, ce qui correspond à 3 675 personnes. Les pertes de vies y ont beaucoup augmenté à cause de la COVID-19.

Pour calculer la surmortalité causée par la première vague dans ces établissements, on peut comparer le nombre de décès de toutes causes recensés dans les CHSLD durant la première vague avec ceux attendus dans ces établissements selon la tendance des années précédentes. De cette manière, on tient compte à la fois des causes habituelles, comme l’influenza, des variations dans le nombre de lits en CHSLD et des changements dans l’espérance de vie. 

La mortalité a été majorée de 34 % dans les CHSLD pendant la première vague de COVID-19. Ces victimes ne seraient pas « décédées de toute façon ».

Nos analyses de surmortalité, qui reposent sur ce principe, montrent que la mortalité en CHSLD durant la première vague a été majorée de 34 %, ce qui correspond à 2 361 personnes. Ces victimes ne seraient pas « décédées de toute façon », contrairement à ce que certaines personnes soutiennent.

Nos analyses de surmortalité ont examiné la période de la première vague, soit du 25 février au 11 juillet 2020. Mais est-ce que parmi les résidants décédés, les plus fragiles seraient de toute façon morts dans les mois suivants, même sans la COVID-19, comme on l’entend aussi parfois ? Pour répondre à cette question, il faut tenir compte de l’espérance de vie des résidants en CHSLD. D’après les données accessibles pour les années précédentes, nous avons estimé que la moitié des résidants passent plus de 21 mois en CHSLD avant de succomber. 

À Montréal et à Laval, 75 % des résidants survivent plus d’un an. Nos observations de ce qui s’est passé pendant l’année qui a suivi le début de la première vague ont montré que, dans les CHSLD situés dans ces régions, seulement 62 % des résidants ont survécu plus d’un an. On peut donc en déduire que plusieurs ne seraient pas morts « de toute façon ». Notons, pour finir, que si l’on pousse cette réflexion et le temps d’observation indéfiniment, la COVID ne pourra plus causer de décès supplémentaires, car nous passerons tous de vie à trépas un jour ou l’autre.

De fortes disparités

Le nombre global des décès cache toutefois des disparités majeures à l’échelle régionale. Au cours de la première vague, les risques de décéder de la COVID passaient d’un taux de 4/1 000 personnes à 181/1 000 personnes selon qu’une personne âgée était hébergée en CHSLD dans une région « verte » (comme l’Abitibi-Témiscamingue) ou « rouge » (Montréal et Laval). Nous avons repéré trois variables expliquant en partie ces différences : la densité locale environnante, la taille des installations et le degré de transmission communautaire du virus. 

Plus l’environnement autour d’un CHSLD était dense, plus celui-ci comptait de lits et plus la transmission communautaire était importante, plus on pouvait constater de cas et, finalement, de décès. À elles seules, ces trois variables ont fait que le risque de décès dans certains CHSLD était 20 fois supérieur à celui d’autres établissements ! 

Ces différences devraient être prises en compte dans la gestion de la pandémie. Ainsi, plutôt que de considérer l’ensemble des CHSLD comme des milieux de vie identiques auxquels on applique les mêmes mesures sanitaires contraignantes pour minimiser les cas, on pourrait moduler l’intensité des mesures de surveillance, de réduction de la transmission et de prise en charge selon les caractéristiques de chacun. L’objectif étant de trouver le bon équilibre entre risques et bénéfices.

Le même constat pourrait aussi s’appliquer selon les autres milieux de vie, comme les résidences privées pour aînés (où le risque de décès a été cinq fois moindre qu’en CHSLD au cours de la première vague) et les domiciles privés.

Si, à l’avenir, les autorités décident de communiquer à la population le risque de COVID par un indice d’activité, comme on le fait pour la grippe, il faudra tenir compte des disparités entre régions, et entre établissements, pour décider des mesures de protection. Un souci d’homogénéité à l’échelle québécoise pourrait mal refléter le risque local réel.

On a beaucoup parlé de construire l’avion pendant qu’il vole. Un altimètre, un radar et d’autres instruments donnant des informations devraient être une priorité absolue.

D’autres différences à creuser

Malgré leur importance, les particularités régionales ne suffisent pas à expliquer l’entièreté des différences de décès dans les CHSLD lors de la première vague. Nous avons noté une grande variation parmi les CHSLD d’une même région. Les données probantes internationales indiquent que des facteurs spécifiques aux installations influencent aussi beaucoup le risque, notamment la faible dotation et la mobilité du personnel, le taux d’occupation des résidences, des infrastructures vétustes ainsi que des mesures inadéquates de prévention et contrôle des infections.

Malheureusement, l’accessibilité et la qualité des données québécoises ne nous ont pas permis d’analyser l’incidence de ces facteurs dans notre contexte propre. Il serait possible de mener des études rétrospectives, mais cette manière de procéder comporte des désavantages importants. Par exemple, certaines variables (comme la disponibilité et l’utilisation des équipements de protection individuelle) ont été mal ou pas mesurées. 

De plus, faire appel à la mémoire des gens présents, par exemple quant au respect des mesures de protection individuelle, peut introduire des biais dans les études. Mais ce n’est pas le bât de la recherche qui blesse le plus. C’est surtout que le fait de pouvoir compter en temps réel sur des données routinières de qualité aurait permis de suivre l’épidémie et d’ajuster rapidement la réponse afin de prioriser les ressources là où le besoin était le plus pressant. On a beaucoup parlé de construire l’avion pendant qu’il vole. Un altimètre, un radar et d’autres instruments donnant des informations devraient être une priorité absolue.

La « lentille aînée »

Le vieillissement de la population québécoise est et restera une tendance lourde pour la première moitié du XXIe siècle. Notre système de la santé a été pensé, puis renouvelé de multiples fois, sans tenir compte explicitement ou suffisamment de ce changement démographique profond. De nombreuses crises, la mortalité de première vague de la pandémie au premier chef, trouvent en partie leur origine dans une faible prise en considération des enjeux liés au vieillissement de la population. Pour autant qu’on adopte davantage une « lentille aînée » dans notre réflexion, c’est là aussi que se trouve une source de solutions durables.

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Réf.: PP43362D4D

Attention: pour des « vieux yeux » le D majuscule peut être confondu avec le chiffre 0
Normande Ginchereau
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