Quand elle se cherchait un nouveau nid où loger sa famille, la psychologue Susan Pinker s’est livrée à une petite expérience dans les rues de Westmount. Elle abordait les gens qui promenaient leur chien ou faisaient leurs courses pour savoir s’ils connaissaient bien leurs voisins. « Non seulement tout le monde répondait oui, mais personne ne semblait surpris qu’une parfaite étrangère leur adresse la parole, comme si ce genre d’interaction faisait partie de leur quotidien. » C’était de bon augure. Quinze ans plus tard, l’auteure, conférencière et chroniqueuse dans le Wall Street Journal affirme qu’elle pourrait « difficilement trouver un meilleur endroit où vivre ».
Il faut dire que Susan Pinker ne prend pas les contacts sociaux à la légère. Dans son livre The Village Effect (Penguin Random House, 2015), elle soutient qu’interagir régulièrement avec famille, amis, connaissances et concitoyens prolonge la vie de 15 ans en moyenne (eh oui !), tant l’incidence sur la santé mentale et physique est positive. Or, de par son urbanisme et son énergie, Westmount encourage la connexion aux autres, estime-t-elle. D’ailleurs, ce petit lopin de quatre kilomètres carrés enclavé dans Montréal est l’endroit au Québec, et même au Canada, où l’esprit de communauté est le plus développé, selon notre palmarès.
« Les lieux regorgent de parcs et d’espaces publics dotés de bancs, qui favorisent les rencontres spontanées », dit Susan Pinker. De plus, la Ville multiplie les efforts pour offrir une grande variété d’activités rassembleuses — taï-chi, échanges de plantes, concerts en plein air, observation d’étoiles, club de natation. L’auteure loue également le dévouement du personnel de la bibliothèque de Westmount, fréquentée par plus de 1 000 personnes chaque jour. Elle a déjà vu une employée se rendre à la course de l’autre côté de la rue, à la résidence pour aînés, afin d’aider les gens à télécharger leur livre électronique. « Une bibliothécaire qui fait du service à domicile ? Wow. »
Évidemment, Westmount est pleine aux as. Sa population est la deuxième plus fortunée au pays, avec une valeur nette des ménages — soit l’ensemble de leurs actifs moins leurs dettes — dépassant les 3,6 millions de dollars. En moyenne ! C’est 10 fois la valeur moyenne des ménages montréalais. Grâce aux revenus des impôts fonciers, la Ville a de quoi offrir à son monde une remarquable vie culturelle et sportive dans de superbes installations, comme celles du Centre des loisirs de Westmount, inauguré il y a six ans, après des rénovations ayant coûté 40 millions de dollars, dont 6,3 millions provenaient de dons de citoyens.
Westmount ne se résume pas à sa richesse matérielle ; elle est aussi formée de résidants très soucieux de protéger leur environnement
Harold Bérubé, spécialiste de l’histoire des élites nord-américaines et professeur au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke
La mairesse de Westmount, Christina Smith, croit cependant que bâtir un esprit de communauté nécessite davantage d’huile de coude que de gros sous. « Fermer des rues pour un potluck entre voisins, organiser un cocktail de bienvenue pour les nouveaux résidants, ça ne coûte pas cher et ça favorise le maillage », dit-elle alors que nous faisons le tour de la ville en voiture. Un autre exemple : le Centre Contactivité, un groupe communautaire qui prend soin des personnes âgées. Chaque matin, les bénévoles appellent tous les aînés inscrits sur leur liste afin de s’assurer de leur santé et de leur sécurité. Ils leur organisent aussi un paquet d’activités. « Et ils y arrivent avec des bouts de ficelle ! On leur donne 50 000 dollars par année. Considérant tout ce qu’ils font, ce n’est pas grand-chose. »
L’engagement exceptionnel des Westmountais à l’égard de leur collectivité a de profondes racines historiques, explique Harold Bérubé, spécialiste de l’histoire des élites nord-américaines et professeur au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. À l’origine, les riches anglophones habitaient dans le Vieux-Montréal. « Mais au milieu du XIX e siècle, lorsque le quartier est devenu plus dense, mixte et bruyant, ils ont migré vers la montagne, où ils ont établi la première banlieue bourgeoise de Montréal. La venue de promoteurs menaçant de construire n’importe quoi dans leur coin les a toutefois incités à former un gouvernement indépendant de Montréal, en 1879. »
Très vite, la ville s’est transformée en laboratoire, envoyant des délégations dans le monde pour s’inspirer de ce qui se faisait de mieux sur les plans de l’urbanisme et de la saine gouvernance. Selon l’historien, les Westmountais ont été les premiers au pays à adopter des règlements de zonage pour encadrer le développement commercial et industriel, ainsi qu’un code de construction contraignant, avec une commission architecturale chargée d’étudier tous les plans des bâtiments — jusqu’à la moindre remise d’arrière-cour !
« Westmount ne se résume pas à sa richesse matérielle ; elle est aussi formée de résidants très soucieux de protéger leur environnement », soutient Harold Bérubé. Et bien que les inégalités socioéconomiques dont leur confort découle puissent être déplorées, leur mode de fonctionnement est inspirant. « Parce qu’ils s’impliquent beaucoup dans leur milieu, les citoyens ont un rapport de force fascinant avec les autorités municipales, à un degré rarement observé au Québec », dit-il. Ce qui oblige ces dernières à être plus transparentes, mais aussi à répondre plus rapidement aux besoins des gens. Les services publics sont d’une grande qualité, les parcs sont impeccables, chaque dépense est scrutée à la loupe et des rapports détaillés des activités sont publiés régulièrement, a-t-il remarqué lors de ses recherches doctorales. « À la base, le système municipal québécois n’est pas conçu de manière très démocratique, car il n’accorde pas beaucoup de poids à la voix citoyenne. Mais les Westmountais ont réussi à contourner ça. »