À lire les commentaires sur mes trois dernières chroniques — « Écrire au XXIe siècle », « Qui a peur d’Antidote au cégep ? » et « Repensons l’école pour mieux enseigner le français » —, je constate que plusieurs lecteurs ne comprennent pas bien le fonctionnement des logiciels d’aide à la rédaction. Ceux qui contestent leur pertinence comme outil pédagogique dans l’enseignement du français présument à tort que ces logiciels font tout par eux-mêmes. Or, ils ne corrigent rien : ils donnent à l’utilisateur les outils pour bien le faire.
Par ailleurs, ces outils — divers dictionnaires et grammaires — font que ces logiciels sont bien autre chose que des correcteurs. Le potentiel de ces outils est tel que des enseignants qui en auraient la maîtrise (et qui seraient adéquatement formés à le faire) pourraient s’en servir pour élaborer toutes sortes d’exercices, de jeux et de méthodes pour enseigner la langue.
En fait, ce qu’il y a de plus fascinant avec les logiciels d’aide à la rédaction, c’est leur réel potentiel multiplicateur : bien intégrés à l’enseignement, ils ne seront pas une béquille pour les élèves, mais au contraire un tremplin pour toute une génération de jeunes Québécois en leur permettant de faire avec la langue certaines choses qui sont plutôt difficiles avec les outils traditionnels.
Je dois admettre ici que les deux logiciels que je connais le mieux sont le correcteur de Word et Antidote. Je les utilise quotidiennement, mais il y en a d’autres comme ProLexis, Cordial et Le Robert Correcteur, qui ont chacun leurs particularités. Antidote offre certains modules en anglais, tandis que ProLexis est approprié aux longs textes.
Il existe aussi d’autres ressources en ligne — je pense notamment au dictionnaire Usito et aux services de traduction comme Reverso ou DeepL.
Ce qui suit est beaucoup basé sur mon expérience du seul produit québécois (Antidote), qui est largement considéré comme l’un des meilleurs dans la francophonie. C’est également celui dont je connais le mieux la conception, pour avoir fait un grand reportage à ce sujet en 2016. Je confesse donc ici mon biais québécois, tout en reconnaissant que d’autres logiciels peuvent faire le travail ou être supérieurs selon le contexte.
Et le correcteur fut
Les concepteurs d’Antidote ont été parmi les premiers à comprendre, il y a 30 ans, qu’un logiciel d’aide à la rédaction ne devrait pas « corriger », mais « signaler », car la langue est trop subtile. Même aujourd’hui, alors que l’intelligence artificielle est beaucoup plus au point, il demeure vain d’essayer de corriger. Or, c’est précisément parce que l’ordinateur signale au lieu de corriger qu’il devient utile à l’enseignement, puisqu’il ne se substitue pas à la personne qui écrit.
Le concepteur d’Antidote, Éric Brunelle, m’a expliqué récemment que son inspiratrice avait été sa prof de français en Tunisie, qui marquait les textes avec différentes couleurs. Antidote fait pareil : les erreurs sont soulignées à gros traits rouges, alors que d’autres couleurs et types de soulignement notent ce qui est inapproprié, à vérifier ou illogique. L’utilisateur doit faire le bon choix.
Si j’écris « des chevals », un gros trait rouge apparaît sous le mot. Quand je pointe le mot, une boîte me suggère « chevaux », mais parfois deux ou trois possibilités pour les cas plus complexes. Le système peut m’expliquer la règle immédiatement et j’ai le loisir de corriger ou d’ignorer la recommandation (comme dans cette chronique, où je suis obligé de maintenir « des chevals », car j’intègre cette faute intentionnellement). Si je fais fausse route, je peux revenir en arrière et opter finalement pour « des chevaux ».
On comprend donc ici qu’un étudiant qui n’a aucune idée des règles du français ne saura pas faire les bons choix. À l’inverse, s’il les a déjà apprises, il sera en mesure de prendre des décisions éclairées.
C’est d’ailleurs exactement ce qu’on a observé lors de l’épreuve uniforme de français des cégeps en juin 2021. Normalement, le taux de passage de cet examen est de 80 % et cela tient largement au fait que la performance des étudiants en orthographe et en grammaire est très basse. Or, en juin 2021, ils ont eu pour la première et unique fois le droit de le faire avec leur ordinateur (et donc le logiciel d’autocorrection). Et là, le taux de réussite est passé à 96 %. Ce qui prouve que les étudiants connaissent mieux les règles qu’on ne le croit, sinon ils auraient été incapables de s’améliorer.
Une bonne capacité d’analyse est d’autant plus essentielle pour bien se servir d’un tel logiciel que celui-ci signale à l’occasion des erreurs qui n’en sont pas (ce que l’on appelle les « faux positifs »), ou des fautes de goût qui sont voulues. Par exemple, si je cite n’importe quelle phrase des Belles-sœurs de Michel Tremblay, le logiciel va lui trouver une faute. C’est un cas d’intention qu’un logiciel ne peut pas connaître et qui demande le jugement de l’utilisateur. Parfois aussi, il va me lancer toute une série d’avertissements pour me dire que si j’écris « lac », je ne dois pas le confondre avec des homonymes comme « laque ».
Il s’agit ici d’un problème de réglage. Pour fonctionner correctement, les logiciels d’aide à la rédaction ont besoin que vous vous présentiez et que vous leur expliquiez ce dont vous avez besoin. Antidote, entre autres, veut d’abord savoir votre langue maternelle. Si vous écrivez « anglais », par exemple, il portera une attention particulière aux fautes typiques d’un anglophone qui écrit en français.
Les réglages du système comportent une série de préférences préétablies que vous pouvez ajuster : votre habileté en français, votre région linguistique, votre tolérance aux régionalismes, le niveau de langue. Vous devez également préciser votre sexe (pour permettre au système de bien accorder vos « je, me, moi, nous »). Il veut aussi savoir comment traiter les termes inconvenants ou offensants, les anglicismes, les confusions lexicales (homonymes, impropriétés, mots rares). Donc, si les avertissements d’homonymie vous énervent, vous avez simplement à lui dire de ne plus en afficher.
Outre la langue, vous pouvez orienter le correcteur sur la typographie (les espaces, les types de guillemets, etc.) et le style. Ce dernier aspect concerne les répétitions de mots, les tournures impersonnelles, les verbes ternes, le degré de lisibilité du texte, son inclusivité.
Sur ce plan, une enseignante m’a écrit récemment pour me raconter qu’elle avait commencé à présenter un logiciel d’aide à la rédaction à ses élèves de troisième secondaire. Elle m’expliquait que ce logiciel était un excellent outil pour analyser comment on peut rendre un texte moins négatif, ou lui retirer sa tournure passive. C’est possible grâce aux capacités d’analyse des algorithmes.
Pour ma part, j’ai rarement eu à me servir de la fonction « style ». Sauf que cette année, je vais sortir de ma zone de confort et rédiger un scénario pour un projet de série documentaire. Comme il s’agira de produire des textes destinés à être dits plutôt que lus, il est probable que je trouve la fonction d’analyse stylistique (mots par phrase, longueur des mots) diablement utile. Mais ce sera à moi de juger. Parce que le logiciel ne décide rien.
Le potentiel des dictionnaires et des guides
Je n’ai encore abordé que par la bande l’intérêt des autres outils d’un logiciel d’aide à la rédaction, qui se trouve dans les guides et dictionnaires d’Antidote. Sur ce plan, je précise que ces outils peuvent également être utilisés indépendamment du logiciel de correction.
Je me sers d’Antidote depuis 20 ans en autodidacte et je n’ai reçu qu’une formation de deux heures dans le cadre d’un congrès de journalistes, en 2018. Lors de cette formation, une des participantes avait fait un peu rire d’elle, car elle utilisait Antidote strictement pour ses dictionnaires, elle ignorait même ses fonctions de correction. Je me suis gardé de me moquer d’elle, car en 20 ans, je n’avais pour ma part jamais considéré les dictionnaires !
Un logiciel d’aide à la rédaction comme Antidote — tout comme les autres principaux logiciels du genre — regroupe plusieurs ouvrages de référence.
Passons outre les classiques tels que les dictionnaires des définitions, des synonymes, des antonymes, de la conjugaison, le Visuel, le dictionnaire historique, le dictionnaire des citations et celui des familles de mots. Ces derniers temps, j’ai découvert deux autres types de dictionnaires que je ne connaissais pas du tout (cooccurrences et champ lexical), qui comportent beaucoup d’intérêt.
Une cooccurrence est un mot associé à un autre. Par exemple, si je dis « chien », on lui associe « enragé, fou, berger, pisteur ». Les concepteurs d’Antidote ont échantillonné des dizaines de milliers de textes pour monter un gigantesque dictionnaire de 900 000 cooccurrences.
Est-ce qu’un cheval « court » ? Peut-il être « galeux » ? Pour le mot « cheval », le dictionnaire des cooccurrences va vous donner 134 adjectifs associés (petit, fougueux, sellé, moucheté, estropié), 15 adjectifs classificateurs (alezan, hongre, pur sang), 56 noms compléments (de bataille, de bois, à bascule), 58 verbes avec « cheval » comme sujet (galoper, se cabrer, ruer, traîner) et des centaines avec le mot en complément (atteler le cheval, monter sur ses grands chevaux).
L’autre dictionnaire selon moi remarquable, c’est celui du champ lexical. C’est dans cet ouvrage qu’on va trouver que l’adjectif correspondant à « cheval » peut être « équestre », « hippique » ou « chevalin » selon le contexte. Mais il y en a 60 autres, et Antidote donne aussi 377 noms associés au cheval (jockey, sabot, crottin, harnais, bucéphale, appaloosa), 37 verbes (piaffer, éperonner, débourrer) et 16 noms propres (Troie, Jolly Jumper, Géricault).
Un bon logiciel d’aide à la rédaction permet également de constituer son propre dictionnaire pour y inclure les néologismes. Le logiciel connaît déjà un paquet de noms propres, de prénoms, de noms de lieux, mais pas tous, alors on peut en ajouter. Il est possible aussi d’inscrire des noms, des adjectifs et toutes les classes de mots. Pour mon livre sur les Français, je lui ai fait apprendre l’interjection « râlâlâ ». Pour d’autres textes, j’ai ajouté les verbes « renmieuter » et « aplaventrir ». Je lui ai signifié qu’ils se conjuguaient comme « aimer » et « finir » respectivement, et depuis il s’organise tout seul. Si j’écris « je renmieutent » ou « il s’aplaventris », il va me signaler l’erreur (« je renmieute » et « il s’aplaventrit »).
Je ne suis pas pédagogue, mais l’intérêt didactique de ce genre de logiciel saute aux yeux. Considérons seulement la fonction d’interrogation. Si je cherche une rime avec « cheval », il me sort 2 228 mots en –al, 82 mots en –val et 34 en –eval (Perceval, médiéval). Mais il peut trouver des allitérations, c’est-à-dire des mots qui commencent comme « cheval ». Il y en a 129 (chevronner, chèvre, et même le nom propre Chevènement).
À mon sens, le principal intérêt pédagogique de la fonction dictionnaire d’un logiciel est d’ouvrir tous les ouvrages de référence à la même page. Quand j’étais jeune, si je voulais connaître la définition de « cheval », ses synonymes, ses antonymes, les citations avec ce mot, son étymologie, sa traduction, son emploi grammatical, ou encore en voir des illustrations, je devais consulter quatre, six ou huit ouvrages. Là, je clique sur « cheval » et tout apparaît. Et où que vous soyez, il suffit de cliquer sur le mot qui vous intéresse pour passer au suivant. Par exemple, pour « cheval », le champ lexical me donne l’adjectif « isabelle ». Pardon ? Je clique sur « isabelle » et la définition me dit « jaune pâle ». Ça ouvre des perspectives de connaissances, mais aussi didactiques.
C’est pourquoi je pense que tous ceux qui s’opposent à l’idée d’intégrer ce genre de technologie à l’enseignement du français au cégep gagneraient à l’essayer avant de monter sur leurs grands chevaux.
Votre article a attiré mon attention.
Je peux témoigner en votre faveur par mon expérience passée. Nous étions neuf enfants à la maison. Mon primaire je l’ai fait dans une école de rang; la maîtresse qui enseignait à une vingtaine d’étudiants répartis de la première à la septième année ne faisait pas plus que deux ans. J’ai doublé ma septième mais lorsque je suis arrivé au village pour faire ma huitième année le professeur a vu un potentiel en moi et je suis passé directement en neuvième. J’avais une préférence pour les sciences et les mathématiques, le français ne m’attirait pas et me causait des ennuis. J’ai poursuivi mes études jusqu’à l’université et ma moyenne aux examens a montée de 10%; je n’avais plus d’examen de français qui était un peu ma bête noire. (Ici je fais une parenthèse pour dire un gros merci à M. Guy Rocher et la Commission Parent qui m’ont permis de devenir ingénieur. J’ai fait une 12e année pré universitaire avant la formation des CEGEP).
Aujourd’hui je suis retraité et lorsque je résume l’évolution des technologies depuis mon école de rang jusqu’à présent, moi qui a fait mon cours de génie à la règle à calcul avant l’avènement des calculatrices et aujourd’hui je prends plaisir à chaque matin à lire et à écrire avec ma tablette sur laquelle j’ai téléchargé Le Petit Robert que je peux consulter d’un seul clic en rédigeant un texte que ce soit pour l’orthographe ou la définition d’un mot ou la conjugaison d’un verbe et que ma tablette souligne en rouge mes fautes potentielles et ma suggère la correction à apporter, je ne peux qu’être en accord avec votre point de vue.
Malheureusement, c’est une question de personnalité et d’éducation plus que de disponibilité d’outils de référence. Plus d’outils ne veut pas automatiquement dire qu’ils seront nécessairement utilisés et qu’il relèveront la niveau magiquement.
Antidote ne date pas d’hier…le Petit Larousse ou le Bescherelle encore moins. Pourtant, regardez autour de vous comment écrivent les gens de moins de 40 ans…
Il faut tirer une fierté à bien écrire avant tout, il est là le réel problème.
Je comprends très bien qu’un correcteur comme Antidote, aussi puissant soit-il, ne corrige pas tout et, surtout, ne rédige pas à la place de l’étudiant.
Comme outil pédagogique? Oui, pourquoi pas! Comme Internet a remplacé l’encyclopédie, je n’y vois rien de mal.
Mais attention, il ne faut pas que ça devienne une béquille sur laquelle les étudiants s’appuieront trop fréquemment et facilement.
On doit se l’avouer, la maitrise du français est à la dérive. Alors, je me questionnerai sur la pertinence d’utiliser de tels outils si on permettait aux étudiants de les utiliser en pleine rédaction. Quel serait le but? Qu’y gagnerait-on?
Si ça n’aide pas tant que ça, ça va servir à quoi?
Si ça aide, pourquoi alors?
Certains diront « c’est rien de plus qu’un outil de référence comme le Larousse de l’époque, il faut vivre de son temps! ». Complètement faux! Le Larousse, il avait au moins la décence de nous faire fouiller et ne corrigeait rien pour nous, la décision de vérifier un mot nous revenait. Surtout, il n’accordait ou ne conjuguait pas à notre place.
Attention, Antidote est un outil utile. Comme une calculatrice nous permet de sauver du temps quand on sait déjà compter mais ne nous apprendra jamais à compter si on l’utilise dès le départ.
Mais en mode apprentissage (n’est-ce pas le but de l’enseignement, nous faire apprendre?) et surtout en évaluation, il peut donner un faux sentiment de maitrise, renforcer la paresse à « apprendre les règles pour vrai » et donner un portrait erroné de la maitrise des étudiants évalués.
Dans un cas comme celui-ci, le gain (but?!) serait simplement de « booster » nos statistiques de maitrise du français juste pour faire beau. Si c’est ce qu’on veut…
Tout à fait d’accord.
Comme l’auteur de ce texte, je crois qu’il est indispensable d’apprendre à utiliser les logiciels de correction. Pour ma part, j’utilise quotidiennement Antidote depuis au moins 20 ans. Je ne m’en passerais plus. Je m’en sers pour corriger mes textes et mes courriels. Comme le dit bien M. Nadeau, ces outils « ne corrigent rien : ils donnent à l’utilisateur les outils pour bien le faire ». Ce n’est pas une béquille. Une bonne connaissance du français est indispensable.
J’utilise aussi abondamment les dictionnaires d’Antidote. Ils sont remarquables.
On déplore de part et d’autre les carences en rédaction française des uns et des autres. Pour ma part, j’estime que si les gens lisaient davantage d’ouvrages en français, ils commettraient moins de fautes dans la langue de Molière. Autrement, le logiciel de correction devient une simple béquille…
Après avoir lu les commentaires entrés jusqu’à maintenant, je me dis qu’il s’en trouvera toujours pour ne voir que les aspects négatifs. Ça me ramène à une discussion que j’ai eue à l’adolescence avec mon père qui prétendait qu’avec les calculatrices, qui commençaient à envahir le marché, plus personne ne saurait compter. J’avais beau lui dire qu’il fallait d’abord comprendre le problème pour être en mesure d’utiliser la calculatrice adéquatement, il s’entêtait et ne changeait pas d’idée. Je suis une traductrice-rédactrice à la retraite. J’ai abondamment utilisé Antidote et d’autres ouvrages de référence numériques dans mon travail. Ils sont indispensables. Et tous les professionnels de la langue s’en servent.
Eh bien, force est de constater que votre père avait vu juste. À titre d’exemple, depuis l’automatisation des caisses dans les commerces, il suffit de mettre en poste à peu près n’importe qui sans que ça nuise aux transactions. On est bien loin des proposées aux caisses enregistreuses de l’époque qui excellaient en calcul (et touchaient de ce fait une excellente rémunération).
Maintenant, pourquoi guérir plutôt que prévenir? Lire beaucoup, c’est comme bien s’alimenter : ça règle bien des problèmes à la base.
Cela dit, le traducteur agréé que je suis vous souhaite une heureuse retraite. Un jour, ce sera mon tour. Au plaisir!