
Disséquer l’entente entre le gouvernement du Québec et l’entreprise de transport rémunéré Uber: c’est la mission des étudiants au diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en prévention et règlement des différends ce matin. Après avoir ingurgité un article de presse révélant le contenu de l’entente, conclue à l’arraché voilà deux jours à peine, ils doivent en décortiquer les tenants et aboutissants. Chacun intervient à tour de rôle, l’ambiance est stimulante, loin du cours magistral classique. «Ils apprennent à appliquer la théorie à des faits concrets, comme ils le feront ensuite dans leur milieu de travail», dit le professeur Jean-François Roberge, un grand mince pince-sans-rire qui a commencé sa carrière comme avocat.
Nous sommes dans l’une des classes lumineuses du campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke (UdeS), avec vue plongeante sur La Ronde et le pont Jacques-Cartier. Ce campus ultramoderne se spécialise dans les programmes courts de 2e et 3e cycle. Parmi ses formations phares: la prévention et le règlement des différends, aussi appelée «justice participative» ou simplement PRD, une approche nouvelle qui gagne du terrain au Québec et dans le monde. D’où le succès du programme, offert en trois versions qui peuvent s’imbriquer l’une dans l’autre (microprogramme, DESS et maîtrise). Seule université francophone à l’offrir au Canada, l’UdeS a formé plus de 500 «PRdistes» depuis 1999. Un ensemble d’«acteurs de changement», comme les qualifie le professeur Roberge.
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Le tout nouveau Code de procédure civile du Québec, entré en vigueur le 1er janvier, a mis la PRD à l’avant-plan. Visant à réduire les délais de justice, il oblige les parties à «considérer et favoriser le recours aux modes privés de PRD» avant de s’adresser aux tribunaux, déjà engorgés. La médiation, l’arbitrage, la négociation et la conciliation sont présentés comme des moyens plus conviviaux, accessibles et rapides de prévenir ou de régler des malentendus, problèmes, oppositions et conflits. Résultat: la demande de formation a bondi. «Le DESS a doublé sa cohorte cet automne, dit Jean-François Roberge, qui est aussi directeur du programme. Nous avons admis 75 étudiants répartis en deux groupes, au lieu d’un seul jusqu’à [récemment].»
Âgés de 23 à 70 ans, ceux-ci sont en majorité des professionnels en exercice, travaillant surtout dans le monde juridique (la moitié des inscrits), mais aussi dans le communautaire, les syndicats, les ressources humaines… Car la PRD n’est pas seulement complémentaire du système judiciaire, elle peut être utilisée dans tous les domaines et inspire de nombreuses vocations. Médecin et professeur retraité de l’UdeS, François Lajoie entame ainsi une nouvelle carrière. Récemment nommé médecin examinateur à l’Hôpital de Sherbrooke — pour gérer les plaintes des patients, mais aussi des médecins et des infirmières envers leurs collègues, etc. —, il compte employer la médiation pour s’acquitter de sa tâche. «Je veux inculquer cette nouvelle culture pour éviter le processus judiciaire, dit ce finissant au DESS de 67 ans. Selon mon expérience, les patients veulent d’abord que l’erreur dont ils ont été victimes soit reconnue et qu’elle ne se reproduise plus.»
La jeune notaire Catherine Beauchamp, 26 ans, souhaite elle aussi ajouter cette corde à son arc. «Je n’ai pas encore les trois années de pratique nécessaires pour devenir médiatrice, alors je prends de l’avance avec le DESS, qui me permet d’acquérir les outils essentiels, dit-elle. Mon but est de faire 50 % de médiation en succession et 50 % de notariat: ma carrière ne sera jamais routinière!»
La justice participative une « approche nouvelle » pour qui? Ça fait plusieurs décennies que des modèles de prévention et de règlement des différends existent au Canada et aux ÉU… Les premiers modèles il y a environ ½ siècle se sont souvent inspirés de ce qui existait depuis des siècles dans les régimes juridiques autochtones (le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996 en fait état) et le fédéral, les provinces et les territoires ont même décidé de subventionner des programmes de justice autochtone (justice réparatrice, participative et/ou de prévention et règlement des différends selon le cas) à partir de 1991… C’est une justice inspirée grandement des modèles autochtones et c’est tout à l’honneur de l’UdeS de l’enseigner car c’est beaucoup plus près des citoyens, plus rapide, plus efficace, moins coûteux et plus pertinent pour les parties.