Les pommes de Pauline

Ah, Pauline, la tentatrice ! La voilà qui astique ses pommes comme jadis le fit Ève sous les yeux d’Adam.

Illustration : Eric Godin
Illustration : Eric Godin

Les femmes, c’est connu dans toutes les religions monothéistes, sont la cause des péchés que commettent les hommes.

Ah, Pauline, la tentatrice ! La voilà qui astique ses pommes comme jadis le fit Ève sous les yeux d’Adam. Mordra, mordra pas dans le brillant fruit d’une élection automnale qui pourrait faire entrer le Parti québécois dans l’éden d’un gouvernement majoritaire ?

Tous les chrétiens le savent, c’est Ève qui, la première, en contravention aux ordres du Très-Haut, non seulement a goûté le fruit défendu, mais l’a tendu à Adam. Espiègle coquine ! Que voulez-vous, Ève était curieuse. Elle aimait bien l’idée — avancée par le serpent — qu’en croquant le fruit elle découvrirait des connaissances qui feraient d’elle l’égale de Dieu (disons d’une déesse). Pour ceux qui ont oublié la fin de l’histoire, rappelons que, dans la Genèse, le Tout-Puissant n’apprécia pas le fait qu’Ève veuille en savoir autant que lui. Il la condamna à enfanter dans de grandes souffrances. Dans les histoires religieuses, c’est comme ça, les femmes ont rarement le gros bout du bâton.

Mais trêve d’évocations religieuses. Pauline astique ses pommes. Seront-elles assez tentantes ? Dans son panier, quelques mcIntosh juteuses, promesses d’un plan de développement économique et de création d’emplois. Pauline a même ajouté une pommette bio en forme de plan d’électrification des transports. De quoi séduire l’Adam écolo !

Mais que faire de la pomme de discorde qu’est devenue la Charte des valeurs ? Les Janettes y sont favorables. Elles ont assez souffert sous la férule des curés pour être vaccinées à vie contre les religions patriarcales et vouloir en tenir tous les symboles loin des écoles et des garderies.

Mais il y a les Inclusives, prêtes à prendre le risque d’un féminisme individuel vécu au cœur des religions. Après tout, la liberté, c’est aussi la liberté de se soumettre, non ? Et qui dit que dans quelques années, bons salaires aidant, les voiles ne prendront pas l’allure de talons hauts ?

Pendant que les femmes débattent, Pauline frotte ses fruits et écoute le serpent. Le « p’tit vlimeux » fait valoir que les pommes des voisins sont plutôt ternes en ce moment et qu’il faudrait en profiter. Les nuages s’amoncellent à l’horizon, et dans deux mois, le Québec sera peut-être officiellement en récession. Les occasions de gains au marché, alors en déprime, seront moins bonnes.

Le principal concurrent, le grand Philippe, n’a pas été vu beaucoup sur la place publique. Il est occupé dans son verger. Ses pommiers sont vieux et les jeunes pousses encore cachées (la rumeur dit que de grosses branches sortiront en temps voulu). Philippe a essayé de lancer de nouvelles variétés de fruits — une réforme de la fiscalité et une nouvelle stratégie maritime —, mais les pommiers tolèrent mal l’excès d’humidité, et Philippe peine à faire oublier l’odeur de pourri que son panier a déjà dégagée. Il a besoin de temps. Après le congrès général de décembre et le congrès d’orientation du printemps 2014, ses pommes brilleraient davantage ! Plus, en tout cas, que le code d’éthique et la plateforme électorale qu’il adoptera en catastrophe, pour se préparer au cas où Pauline déciderait d’aller vite, vite au marché. Heureusement, il y a la pomme de discorde…

Et François ? Où sont passés les fruits sucrés qui le faisaient caracoler dans les sondages au lancement de son verger coalisé ? Plantés sur le terrain venteux du vote francophone, ses arbres en arrachent. Pourtant, il ne manque pas de fruits, l’ami François : baisse du fardeau fiscal, innovation, Projet Saint-Laurent… Mais qui veut les croquer ?

Les yeux dans les yeux avec le serpent, Pauline frotte ses pommes. Parfois, elle y trouve un ver. C’est le petit ver de Québec solidaire. Que faire, que faire du petit ver ?