Les risques de l’indirect

Nos habitudes d’écoute radiophonique changent, et si ça semble inéluctable, ce n’est pas sans effets secondaires, dit Olivier Niquet. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

Il y a beaucoup de mouvement par les temps qui courent dans le monde de la radio. Plus que d’habitude. On assiste à un jeu de chaises musicales alors que des piliers quittent les ondes. C’est sans doute l’occasion de s’interroger sur la voie à prendre pour que la radio reste influente.

Je suis un utilisateur précoce (c’est ce que recommande l’OQLF pour « early adopter ») d’Internet. Depuis ses débuts, j’ai tendance à embrasser rapidement les nouveaux services qui lui sont associés. Je ne vous nommerai pas tous ceux dont l’avenir me semblait radieux et qui ont fait patate, même s’ils évoquent de beaux souvenirs. Ils sont trop nombreux et je ne voudrais pas avoir l’air d’un nostalgique, du genre qui se pâme devant un catalogue Distribution aux consommateurs. Mais plusieurs de ces technologies ont bel et bien changé nos vies.

Certaines ont aussi changé la vie de la radio. Du moins, de la radio en direct. Bien que j’y travaille depuis une douzaine d’années, je dois confesser qu’il m’arrive très rarement de l’écouter en direct. C’est que depuis quelques années, il est devenu facile de l’écouter à la carte, comme on le fait pour la télé. Pourquoi m’astreindre à écouter une entrevue avec une personne qui m’intéresse plus ou moins alors que j’ai le choix parmi les 53 entrevues du jour avec des gens qui m’intéressent un peu plus ? Dans ma voiture, quand je fais mon jogging ou lorsque je prépare le souper, je vais sur Ohdio ou sur les applications de la radio de Cogeco, de QUB radio ou du 91,9 Sports. C’est ça ou bien les balados.

Je sais bien que ce n’est pas le cas de tout le monde et que la radio en direct est encore assez populaire. Des tas de gens passent la journée à écouter la radio en travaillant, pour se désennuyer. D’autres le font par habitude ou parce qu’ils ne maîtrisent pas les applications de radio numérique. Surtout, il y a quelque chose d’événementiel avec la radio en direct qui assurera sa pérennité. Elle offre à l’auditeur une sorte de sentiment que tout peut arriver. Il le vit en même temps que les animateurs et les invités, et ça contribue au fait que la radio est un média de proximité. 

Mais comme je vous disais, je suis un primo adoptant (c’est ce que recommande Wikipédia pour « early adopter »). Je suis pro-choix en matière de radio (à ne pas confondre avec pro-CHOI) et je suis peut-être le canari dans la mine. J’ai l’impression que, tranquillement, la façon traditionnelle d’écouter la radio perdra du galon au profit de cette habitude que nous prenons de ne pas nous laisser imposer ce que nous devons écouter.

Je donne occasionnellement des conférences dans les cégeps, et même si mon échantillon est restreint, je ne peux que constater que les cégépiens n’écoutent pas vraiment la radio. Autre observation qui ne passerait pas le test d’un comité de lecture : les jeunes hommes qui font des travaux de terrassement chez moi en ce moment même sont branchés sur Spotify toute la journée. Branchés à une liste de lecture des années 80, pour être précis, ce qui est quand même mieux qu’une liste de lecture des grands succès reggaeton des années 2000, si vous voulez mon avis. Les mêmes jeunes qui auraient fait ces travaux il y a à peine 10 ans auraient probablement écouté une radio musicale. Celles-ci risquent maintenant d’être terrassées.

Je me demande aussi pendant combien de temps encore les auditeurs auront besoin d’informations sur la circulation et la météo quand les applications GPS tiennent compte de la congestion et qu’on peut avoir des images radars en un tapotement de doigt. Mais c’est un détail.

Comme pour la télé, la radio prend acte de cette fuite possible d’auditoire en investissant dans ses applications numériques et en dupliquant ses contenus sur différentes plateformes. Le marché de la publicité qui se base sur les cotes d’écoute devra également se mettre à jour. Depuis peu, un nouvel outil de calcul des écoutes numériques est disponible. C’est un outil quelque peu opaque, qui évalue un nombre moyen de téléchargements hebdomadaires. Par exemple, une émission diffusée une fois par semaine se trouvera plus loin qu’une quotidienne, même si plus de gens l’écoutent. En matière d’écoute en ligne, il est plus difficile d’analyser les statistiques de façon indépendante des stations.

Il y a toutefois au moins une chose qui m’inquiète dans ce qu’apportent ces nouvelles façons de consommer la radio (tout comme la télé et les journaux). Avoir le choix de ce qu’on veut écouter implique qu’on puisse se fermer à tout le reste et n’être jamais exposé à des contenus différents. Si on est passionné par la sculpture ou le volleyball de plage, il est possible de n’écouter que des segments ou des balados qui s’y consacrent, sans jamais apprendre ce qui se passe ailleurs dans le monde. Sans jamais entendre parler de poterie ou de tennis de table. Les nouvelles qui ne nous intéressent pas sont pourtant aussi bonnes à savoir.

J’imagine que c’est ici que je devrais proposer des pistes de solution, mais je n’en ai pas vraiment. Tout ce que je vois, c’est qu’il faudrait inculquer à nos jeunes de plus larges habitudes de consommation de l’information. Un défi ambitieux, étant donné que nos habitudes à nous ne sont pas exemplaires. Il y a du travail à faire. 

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Une des solutions passe par l’éducation. Si on inculque la passion d’apprendre et la curiosité aux jeunes, ils diversifieront leurs habitudes de consommation.

Depuis que j’ai découvert le rattrapage je n’écoute presque rien en direct – ni radio ni télé. Par exemple, j’ai toujours considéré La soirée est encore jeune comme une émission de fin de soirée. Je l’écoutais à 11 heures, minuit, et parfois je m’endormais mais ça ne faisait rien parce que le lendemain je pouvais rattraper le rattrapage!

Oh! vous savez, les choses dans ce domaine n’ont pas évolué tant que ça depuis 60 ans. On peut être porté à penser qu’on a fait des pas de géants alors qu’on n’a fait que des pas de souris. Vous dites vous même qu’aujourd’hui, on peut s’abonner (ou s’adonner) aux seules chaines qui font notre affaire; tout comme dans le ¨bon¨ vieux temps où nous n’avions pas le choix d’écouter les seules 2 ou 3 chaines radio et télé qui nous étaient disponibles, à la différence qu’en ces temps glorieux de la ¨vraie radio¨, on nous donnait des nouvelles du monde entier… malgré nous. Il en était de même pour les arts lyriques et le cinéma. Ça nous arrivait de partout, opéras, films du monde, spectacles de cabaret, chansons populaires (en français plus qu’en anglais). Et, pour couronner le tout, quand on ne voulait pas écouter une station ou une autre, on avait le choix, on pouvait fermer le poste qu’on écoutait, et on passait à quelque chose à faire de plus utile.
C’est fou tout ce qu’on peut faire quand on ne perd pas son temps à écouter des choses ou jouer des jeux complètement inutiles.

En fait, le conseil que vous prodiguez aux jeunes peut s’appliquer à l’ensemble des générations et des domaines (lecture; musique; cinéma; cuisine; etc.). À tout âge, il est salutaire de sortir des sentiers battus, de faire des découvertes, de varier son alimentation. Certes, on tombera sur des contenus qu’on aime moins, mais ce faisant, on aura élargi ses horizons. Au plaisir!