Les sept travaux d’Hydro-Québec

François Legault voit grand pour Hydro-Québec : il veut en faire une superbatterie d’énergie propre branchée sur un réseau couvrant tout le nord-est de l’Amérique. Voici le plan d’action pour y parvenir.

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Des batteries, il y en a des petites, des moyennes, des grosses. Mais parmi les plus grosses batteries au monde, il y a… Hydro-Québec ! Les réservoirs des 63 centrales hydroquébécoises sont autant de gigantesques accumulateurs capables d’emmagasiner l’énergie des pluies, du vent et du soleil, et de la libérer sur demande : comme une batterie.

Depuis son élection, en octobre 2018, le premier ministre François Legault multiplie les visites aux gouverneurs et aux premiers ministres voisins pour leur proposer plus d’électricité québécoise. Le PDG Éric Martel, pour sa part, vante aux responsables des réseaux voisins les avantages de l’hydroélectricité. Derrière les ambitions affichées d’exporter davantage d’énergie québécoise, il y a un autre chantier : faire d’Hydro-Québec la « batterie » du nord-est du continent.

À la clé, cela pourrait signifier plus de revenus pour Hydro-Québec et les coffres de l’État, et, qui sait, limiter d’éventuelles hausses tarifaires pour les abonnés, selon le premier ministre Legault. « Je cultive de grandes ambitions pour la société d’État. Hydro-Québec, c’est un bijou sous-exploité », dit-il en entrevue à L’actualité. « Le Québec a un énorme potentiel de développement à partir d’elle, qui nous permettra de créer de la richesse et de contribuer à la réduction des gaz à effet de serre dans le Nord-Est. »

La société d’État, qui célébrera son 75e anniversaire le 14 avril, est déjà très imbriquée dans les marchés voisins. Elle fournit 15 % de l’électricité consommée au Nouveau-Brunswick et dans les États de la Nouvelle-Angleterre (jusqu’à 25 % au Vermont), 5 % de l’électricité de New York et 4 % de la consommation ontarienne. Elle exporte aussi loin qu’en Indiana et au Tennessee. Mais si le tandem Legault-Martel joue bien ses cartes, l’Hydro-Québec du centenaire, en 2044, tiendra un rôle central dans un « réseau de réseaux ».

« Il faut maintenant qu’on pense l’électricité sur une base régionale, plutôt que province par province ou État par État », dit Éric Martel. La société d’État pourrait ainsi fournir de l’hydroélectricité à ses voisins lorsqu’ils en manquent, et emmagasiner leurs surplus quand ils produisent plus qu’ils ne consomment. « Grâce à nos réservoirs, nous pouvons permettre à tous les réseaux voisins d’accélérer leur décarbonisation et de passer massivement à l’éolien ou au solaire. »

Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’Énergie à HEC Montréal, cite l’exemple des pays scandinaves, qui ont mis en commun leurs ressources électriques dès 1996. Ainsi, quand il manque de vent pour faire tourner les éoliennes danoises, les Norvégiens sont là avec leur hydroélectricité. Aux États-Unis, en 1927, la Pennsylvanie et le New Jersey ont intégré leurs réseaux, auxquels se sont joints 12 autres États, de la Caroline du Nord au Michigan. « Ce type d’intégration est une manière de “marché commun” pour l’électricité. Chaque réseau n’est plus géré de façon autosuffisante, mais selon une logique d’ensemble », poursuit le professeur.

Le premier ministre Legault envisage une « alliance énergétique » avec les autres provinces. Il rêve de voir le Québec, l’Ontario et Terre-Neuve créer une entreprise commune pour mettre en œuvre des initiatives intégrées. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. La majorité des États américains et toutes les provinces canadiennes demeurent très jaloux de leur indépendance électrique et limitent la mise en commun au strict nécessaire.

« Nos prédécesseurs nous ont laissé un héritage incroyable, mais nos défis sont très différents des leurs », explique Éric Martel. Lors de la nationalisation de l’électricité, en 1963, Hydro-Québec vendait 8 térawattheures d’énergie (1 térawattheure, c’est l’énergie nécessaire à une ville comme Sherbrooke pendant six mois). En 2007, les ventes au Québec étaient de 170 térawattheures — 20 fois plus. Mais depuis, elles n’ont pas bougé. La croissance ne pouvant venir du marché intérieur, il faut donc ouvrir de nouveaux secteurs économiques ou de nouveaux marchés, dont les exportations.

Les exportations jouent un rôle grandissant dans la santé financière d’Hydro-Québec et de l’État depuis les années 1980 déjà. En 2017, la société d’État a exporté environ 16 % de l’énergie produite, ce qui a rapporté 30 % de ses 2,9 milliards de profits — dont 2,1 milliards ont été reversés en dividendes à l’État. Pas étonnant que le premier ministre Legault se soit empressé d’aller à Toronto et à Boston dès son élection.

François Legault est conscient que, outre les États et réseaux voisins, il devra amorcer un dialogue serré avec les environnementalistes américains et québécois, à commencer par ceux qui s’opposent à la construction de nouveaux barrages ou de nouvelles lignes d’interconnexions. « Si nous aménageons des rivières ici pour remplacer des centrales au charbon et au gaz en Nouvelle-Angleterre, c’est toute la planète qui y gagne. Ça pourrait être la grande contribution du Québec au bien-être de la planète. »

Pour faire d’Hydro-Québec la batterie du Nord-Est, le premier ministre et le PDG d’Hydro-Québec devront résoudre une gigantesque équation afin de trouver les partenaires et les ressources. Côté demande, le duo devra surmonter les réticences des États-Uniens et des Ontariens, augmenter le nombre de lignes d’interconnexions et proposer de nouveaux types de services. Pour dégager d’autres surplus d’électricité à exporter d’ici 2040, faut-il un nouveau barrage sur la Côte-Nord ou du côté de Terre-Neuve ? Faut-il lancer un grand chantier d’efficacité énergétique ?

Éric Martel espère trouver les réponses d’ici 2022. « Il faut presque 20 ans pour mettre en service un nouveau barrage. Oui, actuellement, nous avons des surplus importants, mais si nous attendons qu’il n’en reste plus pour réagir, il sera trop tard. »

 

Abattre le mur américain

L’ampleur du contrat a surpris les dirigeants d’Hydro-Québec eux-mêmes. Le 25 janvier 2018, le gouverneur du Massachusetts, Charlie Baker, annonçait l’attribution à Hydro-Québec d’un contrat de 9,5 térawattheures d’électricité — soit 17 % de la consommation électrique de l’État. Cette entente nécessitera une nouvelle ligne de 1,6 milliard de dollars, qui sera construite aux frais des Américains. À compter de 2022, Hydro-Québec en tirera un revenu de 500 millions de dollars par année pendant 20 ans, soit près de trois fois le prix coûtant, en tenant compte du taux de change actuel.

L’hydroélectricité québécoise profite d’une embellie sur le marché américain, où plusieurs États veulent réduire leur dépendance aux hydrocarbures — un renversement de tendance important. Depuis les années 1990, le lobby des producteurs gaziers ne rate jamais une occasion de noircir le bilan d’Hydro-Québec en matière d’environnement et de droits autochtones. S’est ajoutée il y a 10 ans la concurrence inattendue du gaz de schiste, dont l’abondance a saboté toutes les prévisions d’exportations de la société d’État. « En plus de réduire les prix sur ce marché, les surplus de gaz de schiste ont retardé de plusieurs années l’introduction du solaire et de l’éolien aux États-Unis », dit Tom Adams, président de Tom Adams Energy, un consultant ontarien spécialisé en électricité. « Cela a beaucoup entravé les perspectives de développement d’Hydro-Québec sur ce marché. »

Le vent a commencé à tourner en 2015 grâce à l’accord de Paris sur les changements climatiques. Aux États-Unis, l’économiste Jeffrey Sachs et son groupe d’étude sur la décarbonisation de l’économie ont publié un rapport influent : Deep Decarbonization Pathways Project (Trajectoires de décarbonisation profonde). « Ce qui en est ressorti, c’est que les États du Nord-Est auraient du mal à atteindre seuls une cible ambitieuse de décarbonisation, même en y mettant toute la gomme », dit Gary Sutherland, directeur des relations externes d’Hydro-Québec International. Ils vont avoir besoin de plus que de la simple énergie d’appoint.

Plusieurs centrales nucléaires américaines et ontariennes sont sur le point d’être déclassées et démantelées, ce qui va entraîner des besoins. Or, il y a très peu d’options « vertes ». « Même si le gaz de schiste est abondant, les États de la Nouvelle-Angleterre sont situés au bout du pipeline et leur approvisionnement est loin d’être garanti », dit Gary Sutherland. À preuve, lors des grands froids de l’hiver 2017-2018, ils ont failli manquer de gaz, ajoute-t-il. L’achat d’hydroélectricité par le Massachusetts « montre que certains acheteurs sont prêts à payer une prime pour de l’énergie renouvelable et pour sécuriser cet approvisionnement par un contrat à long terme ». Une excellente nouvelle pour Hydro-Québec, qui envisage déjà d’autres contrats vers la Nouvelle-Angleterre, New York et l’Ontario.

 

Amadouer l’Ontario

L’Ontario s’est toujours méfié de l’électricité du Québec. « C’est très curieux, quand on y songe : en Ontario, ils importent tout, le gaz, le pétrole, l’uranium, mais ils ne peuvent pas accepter d’importer de l’énergie électrique, même s’il leur en coûte plus cher d’en produire », explique Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’Énergie à HEC Montréal.

À la mi-novembre 2018, François Legault s’est empressé de rendre visite à son homologue ontarien, Doug Ford, pour tenter de lui vendre les surplus québécois. Le premier ministre Ford est resté fermé à l’idée, mais il a pris des notes. D’ici 2030, l’Ontario rénovera 10 de ses 18 réacteurs nucléaires — qui fournissent 60 % de son énergie. Il y aura donc de très grands besoins à combler pendant les rénos, voire à long terme si l’Ontario décide de fermer certains de ses réacteurs trop désuets. En 1999, les abonnés ontariens ont dû absorber 20 milliards de dollars de dette de liquidation sur des actifs nucléaires. Et la prochaine facture sera au moins aussi salée. Bien des Ontariens, étranglés par des tarifs qui prennent toujours plus d’ampleur, profiteraient des capacités québécoises — surtout que les huit lignes d’interconnexions avec le Québec sont très nettement sous-utilisées.

Ce qui bloque, c’est le spectre de la perte d’emplois, en particulier les 55 000 postes directs et indirects de l’industrie nucléaire ontarienne. Mais François Legault n’est pas à court d’arguments. « On peut contourner ça, en créant une coentreprise avec l’Ontario ou en proposant des emplois aux Ontariens sur un prochain grand chantier au Québec », dit le premier ministre, qui assure avoir aussi fait valoir à son homologue les avantages économiques d’avoir des tarifs concurrentiels.

Par rapport à l’Ontario, l’approche québécoise a changé depuis 2016. Hydro-Québec a alors signé un premier contrat d’approvisionnement à long terme. Il s’agit d’un petit volume d’exportation, environ 2 térawattheures, l’équivalent de ce qu’Hydro-Québec envoie au Nouveau-Brunswick. Fait peu rapporté, ce contrat comporte un volet stockage, qui permet à l’Ontario d’emmagasiner dans les réservoirs québécois un demi-térawattheure de l’électricité qu’elle produit, puis de la récupérer en été, période de grande consommation. « Ça ressemble à notre projet de batterie, explique Éric Martel. Ce contrat nous permet de voir comment fonctionne ce type d’échange entre deux réseaux. Nous étudions ça de très près. »

 

Construire une nouvelle ligne vers les États-Unis

Les Américains seraient prêts à acheter beaucoup plus d’hydroélectricité immédiatement, assure le PDG de la société d’État. « Mais je n’ai pas assez de lignes ! »

Quinze lignes d’interconnexions, certaines qui fonctionnent dans les deux sens, d’autres dans un seul, traversent les frontières québécoises : huit avec l’Ontario, une avec l’État de New York, trois avec le Vermont, et trois avec le Nouveau-Brunswick. Leur capacité totalise 8 000 mégawatts, soit 20 % de la puissance d’Hydro-Québec. Ça peut sembler beaucoup, mais en réalité, c’est peu.

Vers Boston et New York, les lignes sont saturées. Afin de contourner les goulots d’étranglement, Hydro-Québec doit souvent faire transiter son électricité par le Maine, l’Indiana ou le Wisconsin, par les installations d’autres exploitants. Pour débloquer ce marché, une société d’ingénierie américaine spécialisée dans le transport électrique, Transmission Developers, d’Albany, dans l’État de New York, envisage de construire une ligne subaquatique de 1 000 mégawatts vers New York, qui passerait sous le lac Champlain et la rivière Hudson, à laquelle se raccorderait Hydro-Québec à la frontière. Un projet de trois milliards de dollars au nom ronflant : le Champlain Hudson Power Express.

« La construction de la dernière grande ligne d’interconnexion remonte à 30 ans, dit Gary Sutherland. D’où l’importance du contrat du Massachusetts annoncé en janvier 2018 », dans lequel les États-Uniens bâtiront une ligne de 1 000 mégawatts au sud de la frontière. « Même si le contrat n’était pas renouvelé à son échéance [en 2042], nous aurions toujours la ligne. »

Si ça fonctionne. Car moins d’une semaine après l’annonce du « contrat du Mass », le New Hampshire a annoncé qu’il refusait d’autoriser la nouvelle ligne, qui devait traverser le parc national des Montagnes blanches. L’énergie transitera plutôt par le Maine, un tracé beaucoup moins controversé qui passera par des terres à bois (où l’enjeu du paysage est moindre). Encore faudra-t-il que le Maine accorde toutes les autorisations voulues cette année.

 

Offrir un nouveau service : l’équilibrage

Les énergies solaire et éolienne, qui se développent rapidement dans tous les réseaux voisins, ont le défaut d’être intermittentes, en raison des aléas du vent et des nuages. Elles ont donc besoin d’être secondées par une source d’énergie d’appoint. « Presque partout, ce sont des producteurs gaziers qui tiennent ce rôle et viennent réguler la production », explique Éric Martel.

Le PDG d’Hydro-Québec va proposer un nouveau type de service aux réseaux voisins, l’équilibrage : dès que les paramètres de base (voltage, fréquence, qualité de l’onde) faibliront, l’hydroélectricité viendra compenser. « Comparativement au gaz, l’hydroélectricité comporte plusieurs avantages, dit Gary Sutherland. C’est une énergie renouvelable et nos réservoirs peuvent stocker les surplus des producteurs éoliens ou solaires. »

Hydro-Québec a déjà acquis une certaine expérience dans l’équilibrage. Elle offre dès à présent ce service aux producteurs québécois d’énergie éolienne. Le contrat de stockage avec l’Ontario, signé en 2016, en est un autre exemple. Éric Martel souhaite offrir ce service à une plus large échelle.

« Actuellement, la Californie, très engagée dans les nouvelles énergies, cherche à établir des liens avec des producteurs d’hydroélectricité très éloignés, comme BC Hydro ou d’autres dans le Midwest, afin de régler ses problèmes d’équilibrage, note Gary Sutherland. Le même problème va se poser dans le Nord-Est. »

Créer ce service comporte plusieurs défis. Outre les interconnexions à bâtir, on ne sait pas encore comment évaluer la valeur de ce service. « Il faudra aussi pouvoir convaincre les gestionnaires des réseaux voisins de se fier à un réseau externe, alors qu’ils ont l’habitude de régler ce problème à l’interne », dit Gary Sutherland.

 

Se réconcilier avec Terre-Neuve

Dans l’imaginaire populaire, Hydro-Québec est une grande exportatrice d’électricité. Mais en réalité, elle est aussi une très grande importatrice, qui achète 31 térawattheures à Terre-Neuve. Cette électricité, produite à la centrale de Churchill Falls, au Labrador, représente 20 % de la consommation annuelle des Québécois.

Hydro-Québec Production achète cette énergie à un prix très modique : 0,2 ¢ le kilowattheure, soit 7 % de son coût moyen de production, et la vend aux abonnés québécois 14 fois plus cher. (En fait, Hydro-Québec Production achète l’électricité à Terre-Neuve et la revend à Hydro-Québec Distribution au prix du bloc patrimonial de 2,9 ¢ le kWh — voire beaucoup plus cher si cette électricité est exportée.) Ce faible prix payé par Hydro correspond au prix courant des années 1960, à l’époque de la négociation du contrat — avant le choc pétrolier et les années d’inflation à gogo ! Depuis, les Terre-Neuviens ont l’impression de s’être fait « enfirouaper ». Terre-Neuve a contesté la validité du contrat devant 17 tribunaux au fil des ans. Par trois fois (en 1984, 1988 et 2018), la Cour suprême lui a dit que le contrat était non seulement valide, mais qu’il avait été négocié honnêtement et qu’il était plus solide que le barrage.

Ce contrat mirifique prendra fin le 31 août 2041. À Hydro-Québec, on commence à parler de la suite. La possibilité d’un retrait pur et simple des Terre-Neuviens paraît peu probable. Terre-Neuve n’a ni la capacité de consommer toute cette énergie ni les moyens de la transporter par un chemin détourné vers d’autres provinces ou États. Et de toute façon, Hydro-Québec aurait son mot à dire, puisqu’elle est copropriétaire à 34 % de la Churchill Falls (Labrador) Corporation (CFLCo), la coentreprise qui exploite le barrage.

Le plus probable est que Terre-Neuve demandera beaucoup plus cher pour son électricité. Hydro-Québec devra donc compenser par des contrats d’exportation bien plus payants. « Je ne m’attends pas à ce que Terre-Neuve nous fasse de cadeau », convient François Legault.

Malgré les litiges, les discussions n’ont jamais cessé, assure Éric Martel, « mais elles seront plus fertiles maintenant que les Terre-Neuviens sont allés au fond des choses, juridiquement ».

Au lendemain de la décision de la Cour suprême, en novembre 2018, François Legault s’est empressé de contacter son homologue Dwight Ball, et les deux hommes ont mangé en tête à tête le mois suivant. « Dans tout le Nord-Est, le projet hydroélectrique le plus prometteur, c’est Gull Island, au Labrador », affirme François Legault. Dès 1998, ce projet de 2 200 mégawatts avait fait l’objet d’une annonce commune des premiers ministres Lucien Bouchard et Brian Tobin, avant sa mise au rancart, en 2000, en raison des protestations des Innus, qui n’avaient pas été consultés. « Québec et Terre-Neuve peuvent être, ensemble, la batterie du Nord-Est », dit le premier ministre.

Changer les habitudes des Québécois

Ce ne sera peut-être pas sur l’une des lointaines rivières du Labrador, de la Côte-Nord ou du Nunavik qu’Hydro-Québec trouvera des surplus à vendre, mais dans les maisons de Val-d’Or, de Montréal-Nord et d’Alma. « Il y a beaucoup à faire en matière d’efficacité énergétique. Et c’est ce qu’il y a de moins coûteux », dit François Legault.

Si les Québécois modifiaient leurs habitudes de consommation, la société d’État pourrait aisément dégager 17 térawattheures de surplus, soit 10 % de la demande actuelle, estime le PDG d’Hydro-Québec. Cela pourrait même être le double, selon Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal. « On pourrait revendre cette énergie à gros prix — plutôt que de chauffer des piscines. »

La technologie, et notamment la domotique, permet maintenant des options inimaginables il y a 10 ans pour réduire la consommation, fait remarquer Éric Martel. Il cite les compteurs intelligents et une nouvelle génération de thermostats « communicants », qui peuvent être commandés à distance. Diverses expériences conduites dans des maisons expérimentales au Laboratoire des technologies de l’électricité, à Shawinigan, ont permis de montrer qu’il est même possible de réduire la consommation tout en améliorant le confort.

Pourquoi lancer des mesures d’efficacité énergétique alors qu’Hydro-Québec enregistre des surplus records ? D’abord parce que les surplus actuels ne sont pas éternels, et qu’il faudra bien une génération pour modifier des habitudes de gaspillage qui remontent à deux, voire trois générations — les Québécois se classent parmi les plus grands consommateurs d’électricité au monde. Et aussi parce que les clients résidentiels coûtent cher à servir, entre autres parce qu’ils paient un prix moyen de 7,13 ¢, soit 85 % de ce qu’il en coûte, le reste étant financé par les clients industriels, commerciaux et institutionnels, qui, eux, paient plus cher que ce qu’il en coûte (en d’autres termes, le client subventionné n’est pas celui qu’on croit généralement). Il est donc plus payant de vendre cette énergie au prix fort sur des marchés qui sont prêts à payer le double, et même le triple.

« Si on envoie cette énergie sur le marché américain, dit le PDG, Éric Martel, on gagne sur le plan environnemental et les Québécois y gagnent sur le plan économique. »

 

Signer une paix des braves avec les Innus

Si Hydro-Québec doit inaugurer un nouveau grand barrage en 2040, elle n’a que trois ans pour décider de son emplacement, soit d’ici 2022. Il y aurait trois ou quatre rivières à l’étude, selon François Legault. Les deux projets les plus rentables s’appellent Gull Island, au Labrador, et Petit Mécatina, une rivière à 200 km à l’est du complexe La Romaine.

Ces deux projets sont en plein territoire des Innus, avec qui Hydro-Québec et le gouvernement devront composer. Or, même si le tiers de la production totale d’Hydro-Québec provient déjà de la Côte-Nord, les Innus n’ont jamais profité des mêmes avantages que ceux accordés aux Cris et aux Inuits dans le cadre de grands traités, comme la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, et surtout La paix des braves, en 2002.

Les choses risquent cependant de changer avec la saga du parc éolien Apuiat — 57 éoliennes d’une capacité de 200 mégawatts, près de Port-Cartier. Le gouvernement Legault a rejeté le plan de création du parc en décembre 2018, mais les Innus ont quelques atouts dans leur jeu. Pour la première fois, les neuf communautés innues sont réunies dans un même projet. De quoi donner à cette nation suffisamment de poids pour exiger une entente territoriale globale, comme les Cris et les Inuits avant eux.

« Pour Apuiat, nous avons formé une manière de conseil de nation informel », explique Martin Dufour, chef du Conseil de la Première Nation des Innus Essipit, près des Escoumins, et porte-parole dans le dossier d’Apuiat. « Nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas traités de la même façon que les Cris et les Inuits. Ça fait longtemps qu’on aurait dû se parler. Là, on se parle. »

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Le chapitre 6 ne me plaît pas particulièrement en ce sens qu’on fait encore une fois sentir au citoyen que ¨ les Québécois se classent parmi les plus grands consommateurs d’électricité au monde¨. En omettant volontairement de dire que ce sont eux qui se sont serré la ceinture pendant des décennies afin de se munir de ces installations de production électrique et qu’il est tout-à-fait normal qu’ils en profitent un peu. Si maintenant on veut leur couper les piscines chauffées avec des tarifs plus élevés afin de vendre plus d’électricité aux américains qui climatisent leurs maisons afin d’être plus confortables, on fait juste déplacer le confort de l’un vers un autre. Et c’est encore nous qui en faisons les frais.
« Si on envoie cette énergie sur le marché américain, dit le PDG, Éric Martel, on gagne sur le plan environnemental et les Québécois y gagnent sur le plan économique. » À cette fumeuse théorie, on pourrait rétorquer ceci : Sur le plan économique, les québécois en profitent déjà grâce aux tarifs plus bas. Pourquoi alors les pénaliser en augmentant le prix de leur électricité en prétextant qu’ils en seront bénéficiaires avec des revenus économiques étrangers, chose qui est loin d’être certaine.