Chère Madame Marois,
Je m’appelle Josh, et j’ai l’impression de vous avoir rencontrée pour la première fois le soir de votre élection.
C’était pendant votre discours de la victoire, brutalement interrompu par l’attentat insensé d’un tireur qui a ouvert le feu sur d’innocentes victimes.
La cruelle ironie de cette situation, c’est que vous étiez justement en train de prononcer un discours rassembleur, votre premier depuis le début de la campagne. Ce fut pour moi une véritable révélation de vous entendre parler ce soir-là. Vous vous êtes exprimée avec humilité, ouverture et – ô surprise ! – dans ma propre langue, l’anglais, bien que je n’aie pas réussi à vous entendre.
En effet, les 15 anglophones avec qui je vous regardais à la télévision suivaient les élections sur le réseau français de Radio-Canada, où un interprète a instantanément traduit vos paroles en français, enterrant ce que vous disiez en anglais.
Nous avons été tellement surpris que nous n’avons pas été assez rapide à mettre la télé à une chaîne anglaise. Mais nous avons apprécié votre geste – il était à mille lieues des discours que vous aviez prononcés jusque là.
Je dois admettre qu’au cours de la dernière semaine de la campagne électorale, la communauté anglophone et non francophone s’est retrouvée dans un état d’angoisse, d’épuisement et de dépression que je n’avais pas vu depuis le référendum de 1995.
Ils étaient nombreux à parler de la possibilité de vendre leur maison ou de quitter la province si vous formiez un gouvernement majoritaire, Mme Marois, surtout si vous alliez de l’avant avec toutes vos nouvelles politiques identitaires.
Pire, plusieurs de ces personnes bouleversées étaient parfaitement bilingues et sympathisantes à la cause des francophones du Québec – elles sont restées malgré deux référendums et ont fait de leur mieux pour s’intégrer à ce « chez-nous », envoyant même leurs enfants aux écoles francophones.
Parmi eux, il y avait aussi des fédéralistes anglophones qui ont voté pour Françoise David parce qu’ils aiment ses idées, et ce, malgré sa position sur la souveraineté.
Mais, comme de nombreux anglophones et allophones, ils ont eu l’impression la semaine dernière que tout allait encore recommencer, qu’il leur faudrait revivre, comme dans les dernières années, toutes ces luttes épuisantes et ces divisions déchirantes en matière de langue.
Ce n’était pas vos rappels constants d’un possible référendum qui les inquiétaient, Mme Marois – nous avons déjà connu cela et savons que cette question fait partie de la vie politique au Québec –, mais plutôt les promesses grinçantes de votre parti de rouvrir une foule de dossiers sur la langue et l’identité, que ce soit d’étendre la portée de la Loi 101 aux petites entreprises, souvent familiales, de restreindre l’accès aux cégeps anglophones ou de faire passer des tests de français aux futurs conseillers municipaux et à d’autres élu.
Il y avait aussi vos projets de créer une nouvelle constitution pour le Québec et des lois qui banniraient le hidjab de la fonction publique, garantissant des années de querelles et de contestations devant les tribunaux et troublant la paix sociale.
Beaucoup parmi nous n’avaient tout simplement pas le cœur de vivre cela.
Mais le jour des élections, les Québécois ont voté encore une fois avec une remarquable sagesse collective, trouvant un compromis raisonnable, qui satisfait tout le monde sans rendre quiconque vraiment heureux. Et même s’il laisse tous les sondeurs perplexes.
Les Québécois ont choisi de remplacer le gouvernement libéral par le PQ et de vous élire au poste de première ministre, Mme Marois. Mais ils vous ont aussi élu un gouvernement minoritaire, rendant difficile l’adoption de lois controversées et quasi impossible la tenue rapide d’un référendum.
Ils ont accordé un vote important au Parti libéral, permettant à Jean Charest de quitter honorablement son poste. Mais ils lui ont bien fait sentir qu’il était resté une élection de trop en le congédiant.
Ils ont décidé que le novice François Legault n’était pas encore prêt à diriger la province, mais ils lui ont donné la chance de faire ses preuves comme chef de la CAQ, aux côtés de la porte-parole de Québec Solidaire, Françoise David, une excellente addition à l’Assemblée nationale.
La seule chose qui a viré au cauchemar a été l’attaque d’un autre de ces cavaliers seuls qui accumulent des armes à feu comme les gens collectionnent des livres.
Mon cœur a tressailli aux premières scènes de violence, et il a bondi de nouveau quand le suspect a commencé à parler au nom des anglophones. J’aurais préféré qu’il exprime son délire psychotique de façon plus classique, comme « Les Martiens arrivent. C’est la fin du monde ! »
Toutefois, ses gestes ont horrifié autant les anglophones que les francophones et nous ont tous unis dans le dégoût.
Mme Marois, je peux être en désaccord avec vos propositions sur l’identité, mais ce sont des idées légitimes dans une société démocratique. Et la seule façon de s’y opposer, c’est de manière légale et pacifique.
Au Québec, nous nous battons avec des mots et non des armes, avec des votes et non des coups de feu. Et il est essentiel que nous tentions d’écouter ce que chacun a à dire.
Quand vous nous avez parlé le soir de votre élection, j’ai constaté avec bonheur que vous aviez changé de ton. Pour la première fois depuis le début de la campagne électorale, j’ai senti que vous parliez à la fois à la communauté anglophone, ainsi que la communauté francophone.
Je suis donc prêt à vous laisser une chance d’exercer vos fonctions de première ministre avant de porter un jugement.
Je vous félicite pour le calme et le courage dont vous avez fait preuve pendant les événements de la soirée. Je vous félicite aussi d’être la première femme à occuper le poste de premier ministre au Québec.
Vous êtes maintenant la première ministre de tous les Québécois et nous attendons tous de voir comment vous allez gouverner. J’espère que vos actions seront à l’image des paroles d’unité que vous avez prononcées sur scène le soir des élections.
Si c’est le cas, je crois que, malgré nos différends sur la souveraineté, nous pourrons partager paix sociale et gouvernement péquiste pendant quelque temps encore.
Si ce n’est pas le cas, je crois que les Québécois de toutes langues maternelles confondues, s’uniront pour protester. Mais, pour l’instant, je m’attends au meilleur.
Le soir des élections, j’ai été très heureux de rencontrer cette Pauline Marois que je ne connaissais pas, et j’espère que ce ne sera pas la dernière fois.
Cordialement,
Votre concitoyen,
Josh