Logos sportifs autochtones : ni flatteurs, ni anodins

Les mascottes et logos sportifs d’inspiration autochtone rendent hommage aux premiers peuples, affirment leurs partisans. Mais de récentes études sur les effets psychologiques de ces symboles racontent une autre histoire.

Photo : Daphné Caron

En apprenant que l’équipe de football d’Edmonton avait décidé d’abandonner le nom controversé d’Eskimos, emboîtant le pas à celle de Washington, dans la NFL, qui a finalement renoncé à s’appeler Redskins, je me suis prêtée à un jeu d’imagination.

J’ai imaginé qu’il existait, quelque part au Canada anglais, une équipe sportive appelée « Patriotes », qui aurait pour mascotte un rebelle canadien-français prêt pour la bataille, paré d’une ceinture fléchée, d’une tuque, d’une pipe et d’un fusil. Emblème de l’insurrection de 1837 et 1838 contre le régime britannique, cette image suscite encore, chez bon nombre de Québécois, de la fierté, de la nostalgie, et un pincement au cœur.

Le club en question aurait choisi cette figure du combattant « canayen » pour l’endurance qu’il incarne. Alors, qu’est-ce que ça ferait de voir son profil recopié sur les uniformes et les casques des joueurs, les bannières et les produits dérivés, dans une ville qui ne sait rien de sa charge émotive ? Et de voir, dans les gradins, les partisans costumés en patriotes avec des simulacres de ceintures fléchées « made in China », scandant des cris de ralliement grossièrement dérivés du folklore canadien-français ?

Je soupçonne que je jugerais d’abord la chose incongrue. Puis, en y réfléchissant, je trouverais d’un goût douteux qu’on utilise aussi cavalièrement cette icône d’un épisode douloureux de l’histoire du Québec, détachée de ses ramifications sociales et politiques, transformée en objet de marketing reproductible à l’infini.

Pour mieux comprendre les répercussions des mascottes, logos et noms d’équipes sportives inspirés des Inuits et des Premières Nations, je me suis tournée vers la psychologie. En juin, la revue universitaire Race Ethnicity and Education a recensé une vingtaine d’études qui ont été produites sur le sujet au cours des deux dernières décennies. On y apprend que ces symboles ont des conséquences psychologiques tout à fait concrètes, tant sur la conception d’eux-mêmes que les Autochtones en retirent, que sur l’image des premiers peuples que les non-Autochtones en retiennent.

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L’une des études les plus intéressantes a été menée par Stephanie Fryberg, une professeure de psychologie de la tribu Tulalip, dans le nord-ouest des États-Unis. Les volontaires, de jeunes Amérindiens étudiant à l’université, ont rempli un questionnaire qui consistait à se projeter dans l’avenir et à décrire les différentes versions d’eux-mêmes qu’ils espéraient concrétiser d’ici un an. Si, avant de répondre, ils avaient regardé l’image d’une mascotte autochtone, ils avaient moins tendance à inclure les études ou le travail dans leurs plans, par rapport à ceux qui venaient plutôt de voir une publicité pour un programme de bourses ou à ceux qui n’avaient pas vu d’image du tout.

La chercheuse a aussi observé, chez des élèves amérindiens du secondaire cette fois, que la lecture d’un texte illustré d’un logo sportif autochtone avait pour effet d’amoindrir leur respect pour leur communauté et de diminuer leur estime de soi. Leur estime était même « plus » amochée après un bref contact avec ce genre d’emblème qu’après la lecture de statistiques sur les problèmes sociaux qui affectent leurs collectivités, comme le décrochage, le suicide ou l’alcoolisme.

C’est d’autant plus troublant de constater que les mascottes autochtones peuvent refroidir les aspirations des jeunes quand on saisit à quel point ces symboles sont imbriqués dans leur quotidien, et notamment dans leur environnement scolaire. Il existe au Canada et aux États-Unis plus de 2 000 équipes dont l’appellation fait référence aux premiers peuples. De ce nombre, 92 % appartiennent à des écoles secondaires, selon une recension effectuée à partir d’une base de données qui répertorie près de 50 000 équipes de tous les niveaux. Dans cet échantillon, c’est près d’un établissement d’enseignement secondaire sur dix dont l’équipe sportive porte un nom autochtone.

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Des logos qui font allusion aux premiers peuples, il y en a des plus péjoratifs que d’autres. Plusieurs équipes sont baptisées du nom d’une nation en particulier, comme les Apaches ou les Sioux. Certains noms sont ni plus ni moins des injures, comme les Savages (11 équipes sont ainsi désignées), les Squaws (trois équipes s’appellent encore comme ça) et les Redskins (Peaux-Rouges, en français, nom porté par une cinquantaine de clubs). D’autres ont des connotations plus ambiguës, comme les Warriors et les Indians (respectivement au sixième et au huitième rangs des noms les plus populaires, toutes catégories confondues).

Or, même des emblèmes en apparence inoffensifs ou flatteurs sont ancrés dans une vision passéiste, avec leurs motifs guerriers (la pointe de flèche des Chiefs de Kansas City ou le tomahawk des Braves d’Atlanta) et leurs accents folkloriques (la tête d’Amérindien à plumes des Blackhawks de Chicago). Ce sont des personnages de bédé, façon Lucky Luke, figés dans une époque coloniale dont, faut-il le rappeler, les peuples autochtones ne sont pas sortis victorieux, mais déplacés, affaiblis. C’est tout de même curieux. Qu’est-ce que cette imagerie est censée célébrer, au juste ? La bravoure des Autochtones dans les conflits sanglants d’autrefois, dont on espère qu’elle rejaillira sur nos athlètes favoris ? Ou la domination des Euro-Américains sur cet ennemi dont on exhibe à présent l’effigie comme on aurait jadis brandi un trophée de guerre ?

Des chercheurs ont justement voulu savoir si, dans l’esprit de la majorité non-autochtone, ce type de logo a pour effet d’honorer les premiers peuples — comme l’affirment les partisans du maintien de ces insignes — ou, à l’inverse, de les dénigrer. Pour le découvrir, ils ont eu recours à un outil bien connu en psychologie, le test d’association implicite, qui mesure les préjugés qu’on entretient inconsciemment à l’égard d’un groupe.

Ils ont trouvé qu’après avoir regardé un emblème sportif d’inspiration amérindienne pendant 30 secondes, les gens associent « plus » facilement les Autochtones au bellicisme (à des mots comme « vicieux », « barbare », « guerrier », « sauvage ») et « moins » étroitement à la noblesse (à des qualités comme la dignité, la grâce, l’honorabilité), par rapport à ceux qui ont plutôt vu un logo qui représente un animal. Fait intéressant dans cette étude, seules les personnes qui se disaient politiquement progressistes ont présenté cet effet ; les conservateurs n’y ont pas été sensibles.

Les chercheurs ont aussi constaté que, de façon générale, les habitants de Cleveland — dont l’équipe de baseball, les Indians, a longtemps eu pour mascotte le caricatural Chef Wahoo — nourrissent des préjugés inconscients plus prononcés à l’égard des Autochtones que les résidants de Détroit, dont l’équipe de balle, les Tigers, a plutôt un félin comme insigne.

Loin de dissoudre les stéréotypes toxiques qui imprègnent notre tissu social, donc, les mascottes autochtones peuvent au contraire les amplifier. Une autre expérience de psychologie a montré de quelle façon ces symboles peuvent réveiller, chez certaines personnes, des penchants racistes préexistants. À la manière d’une substance qui fait apparaître sur une feuille les mots qui y étaient écrits à l’encre invisible, ils agiraient comme des révélateurs des antagonismes qui dorment sous la surface.

Dans le cadre de cette étude, des volontaires majoritairement blancs ont été recrutés sur un campus universitaire : certains éprouvaient de la sympathie pour les Autochtones, d’autres plutôt de l’hostilité. Tous ont lu un extrait du journal intime d’un jeune Amérindien, où il racontait s’être engueulé avec un garagiste, avoir mangé seul à la cafétéria, et d’autres incidents dont la formulation était suffisamment ambiguë pour qu’il puisse passer ou non pour quelqu’un de violent. Puis, les cobayes ont évalué différentes facettes de la personnalité du garçon, notamment s’ils le jugeaient agressif, sociable, coopératif, amical ou poli.

Comme prévu, les sujets déjà hostiles aux Autochtones, laissant libre cours à leurs idées préconçues, ont trouvé le jeune homme démesurément agressif… mais seulement s’ils avaient d’abord été exposés à des emblèmes sportifs amérindiens (comme ceux des Redskins, des Indians, des Braves ou des Blackhawks). Si, avant de lire le journal intime, ils avaient plutôt vu des mascottes non-autochtones (comme celles des Celtics de Boston, des Pirates de Pittsburgh ou des Vikings du Minnesota) ou des dessins neutres de nourriture, alors ils n’ont pas perçu le garçon de manière particulièrement négative.

Autrement dit, c’est la présence des logos amérindiens qui a révélé au grand jour leur antipathie latente, héritage d’une société où, trop souvent, les Autochtones sont par défaut considérés comme menaçants, ou en tout cas moins dignes de bienveillance.

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Faut-il à ce point les prendre au sérieux, ces images de marque du monde du sport, leur accorder un tel poids dans notre psyché collective ?

Quand on appartient à la culture majoritaire, on tient souvent pour acquises l’abondance et la variété de représentations dans lesquelles on peut puiser pour rêver de ce qu’on pourrait devenir ou tracer les contours de notre identité. Mais les Premières Nations et les Inuits sont pratiquement absents de la culture populaire — ils ne comptent que pour 0,1 % des personnages de la télé américaine, par exemple. Dans cette mer d’invisibilité, tout portrait acquiert une importance démesurée.

Pour la plupart des Nord-Américains, ce sont les logos sportifs — avec leur registre cartoonesque, rétrograde et va-t-en-guerre — qui, tragiquement, constituent l’image des Autochtones qui leur est la plus familière.

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Logos sportifs autochtones : ni flatteurs, ni anodins
Merci d’attirer notre attention sur une réalité qui, autrement, m’aurait complètement échappé.

Je conviens que certains noms sont inappropriés (ex. les squaws, etc.) mais j’ai un malaise devant les dérives de la rectitude politique à laquelle on fait dire bien des choses, comme l’étude citée dans l’article. Je suis loin d’être un conservateur mais en même temps je crois que ces changements de surface sont cosmétiques et ne changent pas l’attitude en profondeur des personnes qui ont des préjugés tenaces. Les Américains ont plein de modèles afro-américains, incluant un Président, mais on se rend compte que cela n’a rien changé dans la tête de plusieurs. Le mouvement Black Lives Matter nous le rappelle. Combattre le racisme, le sexisme et ses dérives implique la rencontre de l’autre, son acceptation et un changement d’attitude. Les quotas, les lois, les changements de noms y contribuent mais si peu car ils ne font que donner bonne conscience.

Si j’approuve l’empathie éprouvée par Noémi Mercier pour les peuples et la culture autochtone, je relève que ce que ses propos illustrent, c’est le pouvoir exercé par la suggestion. Le caractère suggestif des images a été découvert depuis longtemps. Les mots aussi ont un caractère suggestif, une même image associée à divers mots engendrera un sentiment différent. Même une étude universitaire qui usuellement cherche à faire une démonstration, ne peut être parfaitement neutre.

— Faut-il en effet prendre toutes ces choses au sérieux ? Pour moi, la réponse est : non. Et voici pourquoi :

Pour reprendre l’imaginaire de Noémi Mercier, supposons que les Canadiens de Montréal décident de s’appeler tout simplement les Québécois de Montréal ; il est possible que cela plairait à quelques nationalistes, mais en final ce qui transporte la foule, ce qui produit l’identification, ce n’est pas le nom. C’est l’équipe, les joueurs, le coach et plus encore les résultats, les victoires et bien sûr la Coupe Stanley.

Ce qu’il y a dans la tête des populations autochtones, incluant la jeunesse, c’est quelques 400 années de colonisation parfois brutale, ces multiples tentatives d’assimilations qui ont contribué à engendrer divers sentiments qui ne sont pas prêts de se résorber. Un sentiment, un vécu, un mal de vivre transmis par les parents.

Qu’une équipe sportive s’appelle les Redskins, les Esquimos ou encore les Mohawks ne change rien à la structure mentale, ce qui altère la structure mentale ce sont les agressions faites à l’esprit.

C’est donner au logos ou mascottes ou aux noms un pouvoir totémique qu’ils n’ont pas. Ceci consiste à accorder aux images un pouvoir emblématique qu’ils n’ont pas. Il n’y a pas de totems sans tabous. Hors à l’origine, comme l’ont montré les anthropologues, puis comme l’a éclairé au début du 20ième siècle Sigmund Freud, il y a : l’inceste.

Nous vivons une époque de retour au totémisme (infantilisme sociale érigé en modus vivendi) ; parce que nous n’avons plus de sens, ni de dieux. C’est plutôt de ce côté-là qu’il faudrait selon moi chercher les pertes de l’estime de soi. Pertes d’ailleurs qui ne touche pas que les personnes racisées ou encore autochtones, lesquelles affectent toutes les sociétés en principe avancées.

Ces études ne font que donner du relief à cette perte de sens généralisée.

Sous prétexte de nous émanciper, nous découvrons de nouveaux moyens de nous priver de toutes sortes de libertés que nous sacrifions sur l’autel d’une « bien pensée » unique qui forcera toujours plus de conformisme, plus d’uniformisation et toujours moins de diversité. C’est tout le contraire de la biodiversité et des effets bénéfiques recherchés.

Pour faire suite à votre chronique, à mon humble avis, la solution à cet épineux problème se trouve non pas dans les changements de dénomination des équipes mais plutôt dans l’éclosion de vedettes sportives issues des Premières Nations. Voilà vers quoi il convient de canaliser les « efforts de réparation ». Ces vedettes seraient assurément source de fierté identitaire pour les Autochtones, tout comme un certain Maurice Richard l’aura été de 1942 à 1960 aux yeux des Québécois (jadis appelés Canadiens français) qui, jusque là, comptaient trop peu de véritables héros. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, j’en conviens, mais j’estime qu’il s’agit là d’une démarche qui en vaut la peine.