Quand il est devenu commissaire à la déontologie policière, il y a six ans, Me Marc-André Dowd est demeuré perplexe en voyant l’accusé de réception que son organisme envoyait aux personnes qui portaient plainte contre un policier. La lettre, bourrée de termes juridiques, faisait six pages. « Beaucoup de citoyens nous appelaient en disant : “J’ai relu la lettre deux fois, mais je ne comprends pas.” Alors on passait du temps à leur réexpliquer au téléphone ce qu’on avait écrit », raconte Me Dowd.
La lettre a été simplifiée, grâce aux bons soins du cabinet de vulgarisation juridique montréalais En Clair, et fait maintenant une page et demie. Les appels téléphoniques pour des explications ont chuté de 16 %. Sur un an, cela représente 650 appels en moins, et des centaines d’heures que la petite équipe du commissaire peut désormais consacrer à l’avancement des dossiers d’enquête.
Aujourd’hui protecteur du citoyen, sorte d’ombudsman indépendant du gouvernement, Me Marc-André Dowd a le pouvoir de demander à tous les organismes et ministères québécois de faire la même chose : communiquer de façon claire avec la population. Car dans la flopée de plaintes qu’il reçoit au sujet des services publics, c’est parfois la qualité des communications qui est en cause. « Il arrive que la décision d’un ministère soit conforme, mais vraiment pas claire », explique Me Dowd. Lorsqu’il s’agit d’une décision administrative à l’endroit d’un citoyen — qui doit être communiquée en termes « clairs et concis », selon la loi —, le protecteur du citoyen dispose même d’un levier légal pour envoyer le ministère ou l’organisme refaire ses devoirs.
Un peu partout dans l’administration publique, d’autres font aussi la chasse au jargon depuis quelques années. De grands chantiers de simplification sont en cours à Revenu Québec, à Retraite Québec, à la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), pour ne nommer que ceux-là.
La Loi sur l’administration publique, adoptée en 2000, exigeait déjà des ministères de « simplifier » les services aux citoyens et d’en expliquer la nature en publiant une « Déclaration de services aux citoyens ». Mais pas de mention du langage clair dans leurs communications avec eux, cependant, et pas vraiment de punition pour les récalcitrants.
Des gestionnaires québécois se sont néanmoins attaqués au problème, inspirés par de nouvelles pratiques de simplification. D’autres États ont en effet pris le virage de la clarté, comme la Nouvelle-Zélande, qui a voté, en octobre dernier, une loi obligeant ses fonctionnaires à utiliser un langage accessible dans toutes les communications avec les citoyens. Aux États-Unis, c’est déjà la norme dans les agences fédérales depuis 2010, et plusieurs États ont emboîté le pas. Alléger les documents et les sites Web rend service non seulement aux clientèles vulnérables, comme les analphabètes fonctionnels ou les immigrants, mais aussi aux professionnels débordés et aux parents pressés.
« Le langage clair est une préoccupation qui est partagée assez largement maintenant parmi les dirigeants d’organismes ou des responsables dans les ministères au Québec. On sent cette sensibilité quand on discute avec eux », témoigne Marc-André Dowd. Comme si le vœu de bien servir la population, inscrit dans la Loi sur l’administration publique, se réalisait enfin, deux décennies plus tard.
À la SAAQ, le travail a commencé en coulisse en 2018. L’organisme avait 2 500 modèles de lettres différents pour générer les 20 millions d’envois effectués chaque année. Ce nombre a d’abord été réduit à 1 200 par une petite équipe d’employés de la SAAQ, assistés de rédacteurs-chercheurs du Groupe Rédiger, un groupe de recherche en rédactologie de l’Université Laval. Après ce débroussaillage, il fallait réécrire celles qui restaient.
Et c’est là que le chantier a pris de l’ampleur. Pas moins de 75 paires d’yeux d’experts en tout genre ont relu les lettres, réécrites en lots selon les grands domaines d’intervention de la SAAQ (alcool au volant, accidents, permis et immatriculation). Analystes, experts en contenu, rédacteurs, informaticiens, juristes, chacun devait juger de la pertinence des textes, soupesant chaque mot, ce qui a donné lieu à des discussions épiques.
Simplifier, parfois, c’est compliqué. Car cela dépasse largement le cadre linguistique, souligne la directrice du Groupe Rédiger, Isabelle Clerc, également professeure au Département d’information et de communication de l’Université Laval. « Il y a des contraintes juridiques et politiques, alors forcément, il y a de la négociation », dit-elle. Certains tiennent à citer les articles du Code de la sécurité routière, d’autres non. Certains insistent pour mentionner une somme précise, d’autres suggèrent d’opter pour une formulation plus floue, afin de ne pas avoir à réécrire ce passage chaque fois que la somme est indexée. Et ainsi de suite. « Notre rôle de groupe universitaire, c’était d’arbitrer ces négos, dans l’intérêt du citoyen », affirme Isabelle Clerc.
Au passage, des choses toutes simples ont pu être améliorées. Lors de l’évaluation des lettres par un groupe Web de clients de la SAAQ, l’équipe s’est aperçue que la mention « p. j. » était énigmatique pour plusieurs d’entre eux. « Pièce jointe » a donc été écrit au long.
Le processus s’est achevé en décembre 2022 (après quatre ans d’efforts) et les citoyens auraient pu en apprécier les résultats au début de 2023, si ce n’avait été les problèmes entourant le déploiement de la nouvelle infrastructure informatique de la SAAQ.
Isabelle Clerc et ses collègues du Groupe Rédiger mènent maintenant un travail de longue haleine auprès de la CNESST. Le mandat : épauler les enquêteurs pour que leurs rapports, sur lesquels repose en partie le sort des travailleurs, soient ultra-limpides. « Dans ce cas, bien souvent, il ne s’agit pas de simplifier, mais de clarifier. On allonge les textes plutôt que de les raccourcir, parce qu’on contextualise davantage », explique la professeure.
Son équipe a par ailleurs mis au point un guide d’écriture et des gabarits pour les enquêteurs. Elle a aussi donné des ateliers de formation, en plus d’offrir une assistance personnalisée pendant plusieurs semaines. Sans oublier la réflexion avec les gestionnaires, pour que tous s’entendent sur les critères de qualité des rapports. « Les chiffres, on les présente sous forme de tableaux ou on les insère dans le texte ? Qui doit approuver quoi, à quelle étape ? » illustre Isabelle Clerc. Un processus de clarification de documents s’accompagne presque toujours d’une remise en question des mécanismes de gestion.
L’aspect visuel de l’information est également capital. Me Clément Camion, associé au cabinet de vulgarisation juridique En Clair, utilise souvent le terme « design d’information » pour parler de son travail. Au-delà des mots, l’écrin dans lequel ils sont présentés change tout : si l’information est bien découpée, que l’accent est mis sur les messages clés et que la page ou le site est agréable à l’œil, la compréhension sera facilitée. « C’est tout à fait comparable au design d’expérience utilisateur, qui demande d’aller à la rencontre des utilisateurs, de se documenter sur leurs besoins et de leur faire tester les produits », dit Me Camion. Bref, on cherche à répondre aux besoins du client.
La transition numérique des organisations gouvernementales, qui a lieu en ce moment, est l’occasion idéale d’appliquer tous ces principes, estime le protecteur du citoyen, Me Marc-André Dowd. « Il y a de plus en plus de services en ligne. C’est l’occasion de simplifier les processus, de revoir les formulaires. On a un super-contexte dans les prochains mois. Il ne faut pas manquer le bateau. »
Cet article a été publié dans le numéro de juin 2023 de L’actualité, sous le titre « Lueurs de clarté ».