Magnotta fera d’autres victimes

Le procès du présumé « dépeceur » de Montréal entraînera dans l’horreur le juge et les avocats, mais aussi les 12 jurés, pas du tout préparés à cette déferlante d’images morbides. Le professeur de psychiatrie Alain Brunet explique les risques.

Photo © MHP / La Presse Canadienne
Photo © MHP / La Presse Canadienne

Ils seront exposés aux détails scabreux, aux pièces à conviction, à la vidéo du meurtre, aux témoignages poignants… « Ils », ce sont les jurés, le juge et les avocats, mais aussi les policiers et les psychiatres, qui risqueront leur santé au procès de Luka Rocco Magnotta, accusé d’avoir tué et démembré l’étudiant chinois Jun Lin en mai 2012, à Montréal. Procès qui débute lundi à Montréal.

Côtoyer l’horreur a parfois un prix. Un des premiers policiers à monter dans l’autocar Greyhound, au Manitoba, après qu’un passager en eut décapité un autre, a payé de sa vie : il s’est suicidé en juillet dernier. Il avait souffert pendant six ans de ce que la médecine appelle l’état de stress post-traumatique (ESPT).

C’est aussi après avoir visionné les vidéos des viols et des meurtres sordides commis par l’ancien colonel Russell Williams que le psychiatre appelé comme expert à son procès, le Dr John Bradford, a souffert de cette maladie en 2010. Il a admis être tombé dans l’alcool et avoir eu des pensées suicidaires. Le Dr Bradford a refusé de témoigner comme expert au procès Magnotta par mesure de prévention.

Quant au jury, les candidats les plus vulnérables seraient susceptibles de souffrir d’un traumatisme grave après un procès, comme l’ont révélé en 2009 des chercheurs de l’Université de Leicester, en Grande-Bretagne, qui ont étudié une soixantaine de cas.

Alain Brunet« L’événement traumatique peut venir se planter dans notre psyché comme un dard », dit Alain Brunet, professeur agrégé au Département de psychiatrie de l’Université McGill, qui a consacré sa carrière à étudier et à traiter l’ESPT.

Comme de nombreux spécialistes, ce psychologue clinicien et chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas explique que ce ne sont pas seulement les victimes de violence qui peuvent souffrir de stress post-traumatique, mais également les personnes qui interagissent avec les criminels. Mathilde Roy s’est entretenue avec lui.

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Pourquoi le stress post-traumatique touche-t-il les membres du système judiciaire ?

Les policiers, les psychiatres ou les jurés sont en contact avec le mal, avec la face la plus noire de l’humanité, avec le sadisme… Cela les transforme forcément. Certes, les professionnels appren­nent à prendre une certaine distance par rapport à leur travail. Ils sont donc mieux protégés, mais aussi plus exposés que le reste de la population. Et, mathématiquement, chaque fois qu’on est exposé, on court un risque d’être atteint de ce trouble.

Si les policiers et psychiatres ont fait le choix de leur profession, les jurés, eux, n’ont pas cherché à être témoins de l’horreur. Cela accentue-t-il les risques de traumatisme ?

Il y a un risque lié au fait d’être forcé d’écouter des histoires sordides, d’entendre dans le menu détail comment Magnotta pourrait s’y être pris, ses motifs, etc. Les jurés seront obligés de voir des choses qu’ils n’ont pas envie de voir et qu’ils ne sont pas nécessairement préparés à affronter. Ils courent le risque de souffrir d’un traumatisme, surtout s’ils peuvent faire un lien avec leur propre vie. Si l’accusé leur fait penser à un voisin bizarre, par exemple. Ce qui est pervers, c’est qu’on ne sait jamais quand un événement va venir nous chercher. On est donc constamment à risque.

Comment se manifeste ce trou­ble anxieux grave ?

38 %
des membres de la Gendarmerie royale du Canada en congé de maladie à long terme à l’été 2014 ont dit l’être en raison de problèmes de santé mentale, selon la GRC.

C’est comme si on était mort et qu’on revenait ensuite dans le royaume des vivants. On revient avec des contenus particulièrement morbides, comme des scènes de mutilation ou de détresse extrême, auxquels on n’aurait normalement pas eu accès. Ces contenus restent en nous comme des corps étrangers qui nous obsèdent et nous hantent. Les cauchemars reproduisant le traumatisme sont le symptôme le plus suggestif. La peur peut ensuite se manifester par la dépression, la toxicomanie, l’alcoolisme, les phobies, l’anxiété, l’anorexie et les idées suicidaires.

Les personnes atteintes ont le sentiment d’avoir été endom­magées et de ne plus pouvoir revenir en arrière. Elles vivaient dans un monde relativement sûr, prévisible et juste. Puis, tout à coup, elles découvrent que le monde est dangereux, imprévisible et injuste.

Les contrecoups sont-ils proportionnels à la gravité du crime auquel les témoins sont exposés ?

Mesurer l’horreur est très difficile. Est-ce qu’un viol qui dure une minute est moins grave qu’un viol qui dure une heure ? Ce n’est pas si clair. Il n’y a aucun événement qui touche tout le monde de la même façon ou qui atteint 100 % des gens.

Des études montrent qu’à exposition égale, les policiers contractent moins d’ESPT. En fait, ceux d’entre eux qui souf­frent d’un stress post-traumatique font état d’une accumulation d’expositions traumatisantes. Tout à coup, un évé­nement de plus survient. Et c’est l’événement de trop.

Le policier monté dans l’autocar après la décapitation d’un passager avait été exposé à des crimes horribles dans sa carrière, a-t-on appris après son suicide, en juillet dernier. Ce fut l’événement de trop pour lui, même après qu’il eut pris sa retraite ?

7,6 %
des policiers de la Ville de Montréal (SPVM) ont souffert d’un ESPT clinique, selon une étude de 2010 menée par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

Oui. En psychiatrie, le stress post-traumatique fait partie des troubles où le taux de suicide est le plus élevé. Dans des cas comme celui-là, les policiers ont de la difficulté à expliquer leur souffrance et à exprimer leur vulnérabilité. On dirait qu’il n’y a pas de place pour ça. Des doubles messages sont sou­vent envoyés dans ces corps de métier. Il faut un peu se déshumaniser, devenir une machine. Ce n’est pas facile de concilier une image de dur à cuire et celle d’une personne blessée psychologiquement.

La prévention et les suivis psychologiques sont-ils adéquats pour ceux qui interagissent avec les criminels ?

Il y a eu beaucoup d’amélioration au cours des 20 dernières années. Chaque milieu a évolué à sa vitesse et à sa façon, que ce soit la Gendarmerie royale du Canada, le Directeur de la protection de la jeunesse ou l’armée. Est-ce suffi­sant ? Non. On sait que la psycho­thérapie est un traitement efficace. Or, il y a un retard dans la formation des professionnels, qui sont, de surcroît, trop peu nombreux. Beaucoup de gens finis­sent par consulter quelqu’un qui n’est pas nécessairement formé pour traiter ce genre de trouble. Et ça, c’est un réel problème.

DE L’AIDE POUR LES JURÉS

Une fois le procès terminé, de l’aide est parfois offerte aux membres du jury, comme ce fut le cas dans l’affaire du violeur et meurtrier Paul Bernardo, en 1995. Au Québec, un juge peut autoriser les jurés à se faire rembourser cinq séances de « traitement psychologique ».

Les chercheurs britanniques de l’Université de Leicester qui ont étudié le stress post-traumatique chez les jurés, eux, recommandent davantage de préparation et la possibilité de faire appel à des personnes pouvant leur fournir du soutien pendant le procès.

À lire aussi : «Juré au procès Magnotta ?»

Les commentaires sont fermés.

Il me semble que la vidéo pourrait être laissée de côté et être admise de facto. Nul besoin d’exposer d’honnêtes citoyens et citoyennes à de telles inepties commises par une personne elle-même dérangée mentalement…Pis pourquoi un procès de toute façon??? Les preuves sont là,,,il y a des limites aux droits et libertés…

Je suis aussi tout à fait d’accord avec ce commentaire. Pourquoi un procès, ces détraqués ne le méritent même pas.
Perte de temps et d’argent! La pendaison, un point c’est tout !!!

Plutôt d’accord avec la première partie de votre commentaire mais là où ça se gâte c’est quand vous suggérez qu’on pourrait condamner une personne à l’emprisonnement à perpétuité sans procès… Dans une société libre et démocratique où la règle de droit prévaut, on ne peut priver une personne de sa liberté, aussi graves soient ses crimes, sans un procès devant un tribunal libre, indépendant et équitable. Si on prive une personne de ce droit, on risque de glisser sur une pente savonneuse et aboutir dans une dictature où chacun d’entre nous peut se voir privé de sa liberté au bon vouloir du prince…

Dans un pays libre et démocratique, on envoie en prison (son procès n`a pas trainé des années) une femme qui arrête son auto sur une autoroute pour éviter la mort de petits canards et occasionne ainsi sans préméditation la mort de deux personnes, erreur de jugement. Dans un autre cas on a un personnage qui charcute un humain devant une caméra-vidéo et qui est macabre jusqu`à la moelle des os, son procès traine des années, on lui fait une publicité du tonner sur tous les réseaux de tété et les journeaux pendant des mois au risque que tout ce tintamarre fait la culture d`autres gibier de son espèces et indispose psycologiquement des centaines d`individus, beau jugement, j`aimerais que des gens m`expliquent…

Vous dites grosso modo qu’on devrait faire du cas par cas. Quand on prend un système dans son ensemble, il est préférable de ne pas faire d’exceptions, de cas par cas, surtout si cet hypothétique pouvoir revient à un seul individu, ou un groupe homogène d’individus.

Ce n’est pas différent si c’est un pouvoir exceptionel, même si ce pouvoir est balisé il peut relativement être modifié facilement par l’entité qui créé cette balise (le législateur, composé de gens qui ont parfois des intérêts/ambitions personnels et qui sont prêtes à utiliser leur pouvoir pour les combler).

Évidemment, dans notre société actuelle, il est pratiquement inimaginable que ce genre de pouvoir soit abusé, mais quand on établit un système ou que l’on tente de le modifier, il faut faire preuve de vision à long terme et voir comment ce changement va impacter la société future. Dans le cas présent, mettre fin au droit d’un procès juste et équitable créerait plus de tord que de bien.

Je suis tout a fait d’accord avec ce commentaire. Que veut-on prouver? Cet individu a lui-même publie son crime. Cessons de dépenser argent, energie et peut-être même la santé de certains jurés

On veut prouver que le système judiciaire est au-dessus des briques et fanaux populaires, comme il se doit.

Il a reconnu sa culpabilité, le procès a pour but d’évaluer s’il ira en prison ou en institut psychiatrique, voilà.

pourquoi faire un procès sur ll’evidence même avec preuve à l’appui,mettant en danger l,équilibre mental des juris qui deviendront d’autres victimes potentielles .
Coupable c,est clair.
Responsable ou non ,seul les psychiatres peuvent le déterminer,grâce à leur formation académique .
C’est si simple.
Là avec la médiation ,on en fait une vedette et c’est nous les citoyens qui allons payer pour défrayer un procès où l’évidence est très très clair..
Il a commis un crime sous jactent a une maladie mentale c,est clair.
La prison,oui avec des soins .
Personne ne nait avec des envies de tuer

Votre réponse est la logique même. Il faut surtout protéger les jurés qui ne méritent pas un tel traumatisme et tous ceux qui doivent assister au visionnement de ces actes d’un sadique dérangé mentalement. C’est ce dont rêve Magnota. Enfin pour lui il se croit une grande vedette internationale.

Dans le fond vous dites que Magnotta n’a pas le droit de contre-interroger (via son avocat, bien entendu) les experts qui vont émettre une opinion potentiellement défavorable?

Comme j’ai été aussi victime de l’ESPT, je préfère demeurer anonyme. Mais ce que j’aimerais partager c’est ma propre expérience en tant que procureur du ministère public (procureur de la couronne): on semble parler de policiers, juges, jurés mais on oublie un peu trop facilement les avocats au dossier et en particulier ceux qui agissent en droit criminel. Nous aussi sommes exposés à ces drames car on doit rencontrer les victimes (quand elles sont encore en vie) et on doit regarder toute la preuve que la police a accumulé pour décider laquelle sera présentée au juge et aux jurés le cas échéant. Après plus de 20 ans de procès avec des crimes horribles, il n’a s’agit que d’une affaire mineure pour que ce soit la goutte qui fait déborder le vase – ensuite on est pris avec ça pour le reste de notre vie – au moindre incident traumatisant, ça revient au galop.

Mais ce qui est aussi important c’est que comme procureur on ne m’a jamais préparé à vivre ces événements traumatisants – pas de soutien psychologique et je me souviens d’un confrère qui est tombé pendant un procès et fut invalide (incapable de marcher, en fauteuil roulant) pendant plus d’un an. Depuis une quinzaine d’années il y a eu le programme d’aide aux employés fédéral qui aide les procureurs à faire face à l’ESPT et c’est une bonne amélioration mais cela fonctionne si les gestionnaires ont une bonne connaissance de ce type de travail sur le terrain car ce n’est pas évident pour quelqu’un qui n’a pas eu à faire face à ce genre de causes devant le tribunal.

Ce qui m’amène au système des jurés. S’il est vrai qu’il s’agit d’un droit constitutionnel, sa valeur a décru avec les années et plusieurs sociétés ont utilisé d’autres mécanismes pour garantir la présomption d’innocence comme, par exemple, les assises avec 3 juges au lieu des 12 jurés. Ce procès illustre le genre de difficultés auxquelles font face les jurés dans TOUS les cas en matière criminelle où la violence est présente. Ces gens ne sont pas préparés à faire face à ce genre de situation et ils sont souvent très perturbés et leurs décisions peuvent facilement être entachées par leurs réactions viscérales – c’est la raison pour laquelle on exige 12 jurés unanimes pour limiter les dommages causés par la preuve souvent horrible.

On traite souvent les jurés comme des quidam dont on peut disposer après le procès et peu est fait pour leur apporter le soutien nécessaire dans ce genre de causes. De plus, est-ce si important de soumettre des citoyens non préparés à ce genre de preuve? En d’autres mots, est-ce que la présomption d’innocence exige qu’on emploie cette méthode de procès? La réponse c’est non. Comme mentionné ci-haut, on peut facilement remplacer les jurés par un panel de juges. D’ailleurs en appel, c’est ce qu’on fait et un appel d’un verdict de jury se fait devant un panel de 3 juges de la Cour d’appel ou plus loin, devant un panel de 5 à 9 juges de la Cour suprême du Canada.

Donc deux choses: on devrait aussi se pencher sur la situation au moins des procureurs du ministère public qui sont des employés du secteur public et qui sont exposés journellement à ce genre d’horreur qui peut éventuellement s’accumuler et causer des risques sérieux pour leur santé. Deuxièmement, on devrait réviser la notion de jury et considérer sérieusement remplacer cette institution par celle de 3 (ou +) juges siégeant en panel en matière criminelle, pour éviter de soumettre des citoyens non préparés à un genre de violence qui est bien différente de celle qu’on peut voir à la télé ou dans les romans policiers – la réalité dépasse souvent la fiction, croyez-moi!

Je me demande pourquoi on expose tant de personnes à ces photos morbides puisque l’on sait que c’est lui l’auteur de ce meurtre crapuleux. On lui donne toute la visibilité qu’il voulait avoir. La médiatisation de ce procès pourrait donner l’idée à d’autres cinglés de faire comme lui. Aucune personne saine d’esprit n’accomplirait une telle besogne.i Pourquoi ne l’enferme-t-on pas tout simplement au lieu de refaire une autre histoire Turcotte, sort, rentre, etc..

Mais alors pourquoi en parler après la sélection des jurés plutôt qu’avant? Je pense que personne ne devrait être tenu d’assister à des scènes d’horreur qui pourraient rendre malade. Les jurés pourraient-ils poursuivre la Cour pour séquelles? On devrait pouvoir remettre en cause le droit à Magnotta d’avoir un procès avec jury, puisque ce procès comporte des risques pour les jurés. J’aurais esquivé cette responsabilité à la place des jurés, car on ne peut imposer cela à personne, selon moi. Je repose ma première question: pourquoi vous en parlez après la sélection des jurés? C’était avant qu’il fallait le faire.

Qu’en dites vous des images et des objets du Halloween affreux qu’on expose devant les enfants? Je suis tout a fait d’accord avec le journaliste e cet aricle, mais c’est vrai qu’onexpose surtout les gens faible mentalement en exposant les criminels leurs photos et en rendant tres publiques ce qu’ils ont fait.