Marie-Ève Lévesque : À la rescousse des parents

Ses vidéos éducatives quotidiennes ont été une véritable bouée de sauvetage pour des milliers de parents désemparés.

Photo : Rodolphe Beaulieu

Chère madame Marie-Ève,

Je sais que votre nom est Marie-Ève Lévesque, mais permettez-moi de m’adresser à vous telle que vous êtes apparue dans la vie des familles québécoises le 31 mars dernier.

À ce moment-là, il faisait encore froid et gris. Les enfants tournaient en rond dans les maisons. Nous, parents, étions soit en train de nous adapter au télétravail, soit pris d’angoisse après avoir perdu notre boulot, soit anxieux de devoir sortir faire un travail jugé essentiel, composant tant bien que mal avec le casse-tête que représentait la perte soudaine des garderies et écoles.

Après deux semaines chaotiques remplies de bien plus de temps d’écran que d’activités éducatives, bon nombre d’entre nous avons commencé à nous inquiéter du retard scolaire que prenaient nos enfants. Il était évident que les cours ne reprendraient pas de sitôt ; mais que faire ?

Dans le réseau scolaire, tout était à l’arrêt. Il n’y avait pas moyen de récupérer les manuels laissés à l’école. Le ministre Jean-François Roberge a promis de l’aide pour que nous fassions nous-mêmes de la « consolidation d’apprentissages » à la maison. Quand cette aide s’est révélée prendre la forme d’un répertoire hétéroclite de sites Web, mon découragement a été grand : comment étais-je censée savoir quelles notions faire réviser ? Le ministère de l’Éducation pensait-il que j’avais le temps d’assimiler le programme pédagogique de deux niveaux scolaires, d’évaluer où se situait la progression de mes enfants, puis d’éplucher des dizaines de sites pour bâtir des exercices maison ?

J’ai bien tenté de me transformer en maîtresse d’école chaque midi ; ce fut un échec ponctué de crises de nerfs et de chicanes. Je me suis ensuite jetée sur une trousse pédagogique envoyée par le Ministère. Elle contenait des activités comme regarder une vidéo sur le python royal et faire des exercices dans le salon. J’ai commencé à redouter que mes enfants ne finissent jamais leurs 2e et 5e années.

Et c’est à ce moment, madame Marie-Ève, que j’ai appris votre existence. Tous les jours, vous donnez un cours gratuit de 30 minutes pour chaque année du primaire. Suffit de cliquer sur la vidéo de la journée et bingo ! chaque enfant reçoit un cours de mathématiques ou de français. Matière pertinente, explications claires, exercices à la portée des élèves. Exactement ce dont nous avions besoin.

Mais le plus beau est la façon dont vous enseignez. Dans notre quotidien maussade, vous êtes un rayon de soleil. Vous expliquez multiplications et accord du participe passé avec un enthousiasme contagieux. Vous racontez des histoires. Vous épatez votre public lorsque vous écrivez sur du plexiglas de façon à ce que les lettres et chiffres apparaissent dans le bon sens à l’écran (subterfuge en postproduction, dévoile votre producteur ; mais chut ! ne le dites pas aux enfants, qui pensent que vous êtes capable d’écrire à l’envers). En mai, vous interviewez même des vedettes en direct ! Ça peut sembler banal, mais en ces journées interminables de confinement total, dîner avec David Saint-Jacques ou Luc Langevin prend des allures de fête dans ma maison.

Les liens vers cette Classe en ligne que vous animez se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. En avril, 35 000 enfants en moyenne suivent chaque jour vos cours. L’ensemble de vos vidéos accumule à ce jour 1,75 million de vues sur YouTube !

Vous deviez à l’origine vous arrêter après un mois, mais à la demande générale, l’entreprise qui produit La classe en ligne (Succès scolaire, qui offre des services de tutorat) vous propose de continuer jusqu’à la mi-juin. Vous travaillez de longues heures à préparer les cours du lendemain, après avoir passé cinq heures en matinée dans le studio d’enregistrement. Ça vaut la peine d’être souligné, parce qu’à la mi-mai, vous recommencez (comme la plupart des enseignants du Québec) à enseigner à distance à vos élèves de l’école primaire Sainte-Claire de Longueuil.

Madame Marie-Ève, vous êtes l’une des figures phares de l’année 2020 parce que votre travail a été une véritable bouée de sauvetage pour des milliers de parents désemparés. Votre classe virtuelle, produite par une petite équipe privée, a éclipsé la grosse machine du ministère de l’Éducation. Votre personnalité rayonnante a fait le reste.

Il serait toutefois injuste de vous rendre hommage sans parler de vos consœurs et confrères qui, sans devenir des vedettes, se sont aussi démenés pour venir en aide à leurs élèves à distance. L’année n’a pas été très propice à l’apprentissage scolaire, c’est le moins qu’on puisse dire, mais aux quatre coins du Québec, il s’est quand même produit des miracles.

Et c’est pour cette raison que je vous adresse à vous, madame Marie-Ève, ainsi qu’aux enseignants qui ont poussé à l’extrême cette année leur amour du métier, un énorme merci de la part des enfants et des parents du Québec.