J’aime les essais, qui nous en apprennent sur le monde de façon surprenante, parfois savante, souvent de manière très personnelle. Les essayistes nous donnent les clés pour entrebâiller la porte d’un monde de plus en plus complexe. Les auteurs d’ici sont mes préférés, eux qui saisissent le Québec à bras le corps et tentent de lui trouver un sens, qu’ils parlent de militantisme, de culture ou de multiculturalisme. J’aime l’amour du Québec dont ils témoignent. Voici une société qui se pose des questions, nous disent-ils. Tâchons de l’accompagner, d’éclairer sa complexité. Ils me touchent parce qu’ils affirment que nous sommes encore vivants et dignes d’intérêt.
Trois essais me narguaient depuis des semaines, traînant dans la maison. Un jour de rangement, ils ont abouti sur mon bureau, juxtaposés. C’est là que j’ai pris conscience qu’ils parlaient du même sujet et qu’ils faisaient écho à quelque chose qui me taraudait depuis un bout. Qu’adviendra-t-il de notre histoire collective ? Avec quels mythes la nation québécoise pourra-t-elle se projeter vers l’avenir, admettant qu’une telle chose puisse toujours être possible ?
Je regarde le Canada qui se dessine et dont les contours se renforcent sous Justin Trudeau ; un Canada où le Québec est perçu comme une culture parmi les autres, une communauté culturelle gossante et présomptueuse, parce qu’elle se souvient qu’elle fut une nation fondatrice et qu’elle exprime encore des revendications sur cette base. Ce Canada où l’histoire est reconfigurée pour servir un dessein idéologique multiculturel m’amène à me questionner, moi, fille d’immigrant, car l’histoire y est non seulement instrumentalisée, mais effacée et reconstruite de façon commode.
Je vois comment l’histoire s’enseigne : avec un tel souci de rectitude politique que le récit de la Nouvelle-France en devient suspect parce que « colonisateur et irrespectueux » des Premières Nations. Certes, il faut redonner à celles-ci la place qui leur revient. Oui, il faut parler des mouvements migratoires qui ont enrichi le Québec. Mais pas au prix d’un effacement contrit du Régime français. Notre histoire n’est pas celle des conquistadors qui pillèrent l’Amérique australe. C’en est une faite d’alliances, de collaborations, même si elle n’est pas sans tache. C’est l’histoire de Blancs et de leurs alliés autochtones, d’expéditions audacieuses à travers le continent. Après sont venus le mépris, les errances honteuses, mais nous sommes oublieux de ce que furent les courtes décennies du Régime français.
De la même manière, nous sommes durs envers le Canada français du milieu du XXe siècle. Il fait bon « mononquiser » aujourd’hui cette majorité minoritaire, ce peuple à l’identité fragile. C’était pourtant aussi une société habile, modeste et ingénieuse, aux mythes collectifs forts. Nous voulons oublier nos origines. Nous dépeignons nos ancêtres en racistes, en oppresseurs, en ti-counes…
L’essai L’Amérique fantôme, de Gilles Havard, raconte ces métissages, ces aventures communes entre Blancs et « Indiens », aux quatre coins de l’Amérique. Ça sent le vent et l’épinette, ça remet en perspective bien des préjugés sur les liens entre Canadiens français et Premières Nations, et sur la dynamique de la société de la Nouvelle-France elle-même. Ça vient repositionner dans la lumière son histoire, si suspecte et explosive dans une ère d’idéologie multiculturelle canadian.
Serge Bouchard, avec L’allume-cigarette de la Chrysler noire, décrit quant à lui le Québec blanc et modeste des années 1950 et 1960, généreux et ouvert sur l’Amérique, que certains tentent aujourd’hui de faire passer pour arriéré et borné. C’est beau et émouvant. Comme le livre de Havard, mais dans un autre registre, ça parle d’un monde quasiment disparu. Un passé évanoui, qui a bel et bien existé, où un devenir était possible, mais ne sera finalement pas.
Hélas, la réunion du mythe et de la nation, qui a mû la société canadienne-française, puis québécoise, se délite sous nos yeux, car « toute configuration historique ou symbolique est appelée non seulement à se transformer mais peut-être même à disparaître à long terme », écrit Gérard Bouchard dans un autre essai, Les nations savent-elles encore rêver ?
Mais les images, les lieux, les hommes, les femmes, les Canayens, les Innus dépeints par Havard et Serge Bouchard, leurs patenteux, leurs aventuriers, resteront dans la mémoire de leurs lecteurs. De nouveaux mythes s’érigent actuellement sur les ruines des précédents. Ayons au moins la curiosité et la décence de savoir ce qui venait avant la jovialiste nouvelle histoire…
Cette chronique a été publiée dans le numéro de février 2020 de L’actualité.
On n’aurait pas besoin de chercher un sens à notre identité si ce n’était de la québécoiserie insignifiante qui rejette notre héritage multiséculaire en crachant sur le nom de nos ancêtres et sur celui de la patrie que ceux-là ont fondée.
Excellent…
L’histoire est toujours vue dans l’œil du vainqueur et les Canayens ont perdu la guerre lors de la cession de la Nouvelle-France à l’Angleterre le 10 février 1763. Même les Canadiens-Français ont perdu le sens de l’histoire sauf en ce qui concernait le « religieux » et où on mettait l’emphase sur les saints martyrs canadiens et Dollard des Ormeaux.
Or, vous avez raison, l’histoire de la Nouvelle-France puis du Canada qui a suivi est très différente. Mais là où le bât blesse, c’est la « démonisation » puis l’oblitération de l’autochtone dans NOTRE histoire. On oublie trop facilement que la Nouvelle-France a duré 150 ans alors que la confédération vient à peine de franchir le cap des 150 ans en 2017.
L’histoire de la Nouvelle-France est riche et mérite qu’on l’étudie et qu’on s’en souvienne. Elle est riche des contacts entre les nouveaux arrivants, des colons, et les Premiers Peuples qui vivaient ici et qui sont rapidement devenus nos alliés. Sans eux la Nouvelle-France n’aurait jamais duré 150 ans, on l’oublie trop rapidement. D’ailleurs les Anglais de Nouvelle-Angleterre appellent la guerre de sept ans, la « French and Indian War » car ils avaient une crainte sans borne des troupes mixtes des nations autochtones avec les Français.
On parle souvent du massacre de Lachine du 5 août 1689 mais on oublie aussi les raids franco-autochtones sur la Nouvelle-Angleterre. Incidemment, en faisant mon arbre généalogique, j’ai découvert qu’une de mes ancêtres s’appelait Elisabeth Price et elle a été capturée lors d’un raid en février 1704 à Deerfield au Massachusetts. Il s’agissait d’un raid d’environ 300 combattants avec environ 250 autochtones des nations alliées aux Français et d’environ 50 soldats français. Il ont attaqué ce village au petit matin en franchissant la palissade du village grâce à des bancs de neige et ont tué la plupart des hommes et ont pris une centaine de prisonniers, surtout des femmes et des enfants. Elisabeth s’était mariée à l’automne 1703 mais son époux a été tué lors du raid. Les prisonniers ont marché de Deerfield à Montréal en plein hiver et plusieurs sont morts en route. Rendue à Montréal Elisabeth est devenue Élizabeth et a été placée dans un couvent de religieuses où elle a appris le français et s’est convertie au catholicisme puis a marié un Canadien et ils eurent plusieurs enfants.
Il y a aussi plein d’histoires de Canadiens qui sont partis vers les « pays d’en haut » (l’ouest de l’Amérique du Nord) pour aller commercer avec les nations autochtones et qui y ont pris femme et sont restés là-bas y menant une bien meilleure vie que sous le contrôle colonial (français puis anglais) de la vallée du Saint-Laurent. Ce sont de grands oubliés de notre peuple et la devise « Je me souviens » fait plutôt partie du mythe que de la réalité.
C’est agréable de connaître différents pans de notre histoire. J’ai mon gendre qui est historien, et c’est toujours un vrai plaisir quand il me raconte des faits que je ne connaissais pas. Il n’y a qu’un inconvénient, c’est que quand j’en ai le plus besoin pour redresser une situation fautive, comme quand on traite les québécois d’esclavagistes, je ne parviens pas à me rappeler ces choses. Je n’ai pas la bosse de l’histoire. Bravo à vous qui semblez l’avoir. Comme on dit en bon français, ¨ c’est l’fun ¨ !
La jovialiste nouvelle histoire?? Vraiment?? Nous, les boomers de l’après guerre, avons eu tout le loisir d’entretenir nos propres mythes historiques ayant eu la chance d’évoluer dans un environnement pacifique. Qu’en sera-t-il des jeunes générations? La résurgence des nationalismes identitaires partout en Occident n’augure rien de bon! Ce qui se passe en ce moment aux USA, au Royaume-Uni, en Hongrie devrait nous faire réfléchir. La convention de Genève semble devenue lettre morte.. L’humanité, une fois de plus, n’aura jamais aussi près de la barbarie. Il serait plus que temps que les boomers placent leurs priorités à non pas souffler sur les braises de l’intolérance mais à se montrer solidaires aux enjeux des jeunes générations inquiets avec raison de ce que l’avenir leur réserve. Faut être déconnectée pour qualifier de jovialiste la nouvelle histoire!!!
Toutes les nations occidentales sont en train de disparaître à petit feu par les migrations et immigrations massives. Ici au Québec, le français est en train de fondre comme beurre au soleil. Notre cher P.M. (Trudeau junior) se fout totalement du Québec français qu’il aimerait (comme son père avant) voir disparaître . Trouvez-vous ça ¨jovialiste¨ ?
Dans les années 60-70, on était prêts à faire n’importe quoi pour se trouver du travail, plongeur, pelleteur, ramasseur de vidanges (avec des diplômes en main), etc. , alors qu’aujourd’hui, les employeurs courent après la main-d’œuvre, même celle qui n’est pas diplômée! Et vous dites que les jeunes sont inquiets pour leur avenir ? Inquiets de quoi ? De manquer d’ouvrage ? de ne pas arriver ?
Tout comme vous, je suis un ¨boomer¨ et l’avenir n’a jamais été aussi prometteur, quand on arrête d’avoir peur de tout et de rien, qu’on arrête de croire tous les prophètes de malheur qui prédisent la fin du monde pour demain. Nous avons eu la bombe atomique sur nos têtes depuis notre enfance, mais elle n’a jamais éclaté… pourquoi ? Parce que je crois que l’Homme (comprendre ici ¨l’humanité¨) a pris la mesure de sa propre capacité destructrice, et je crois qu’il ne veut pas en arriver là. L’humain peut s’adapter à toutes les situations quand sa vie est en jeu. Alors, il faut faire confiance et arrêter de paniquer pour rien.
Je vous invite à découvrir, pour une lecture détendue, notre 1er tome qui illustre la principale route fluviale des cageux (42 P. avec ses 26 illustrations) : https://issuu.com/abcstrategies/docs/collection_edurama Ce filon d’or portant sur notre imaginaire collectif, est un gisement qui est loin d’être entièrement explorer ! Nous souhaitons que ce trésor national tombe dans l’espace public québécois afin de faire vibrer les mémoires, récolter d’autres données historiques et partager cette source d’audace hors du commun…
« Le camp qui possède la supériorité en ce qui concerne un moyen de destruction aura-t-il jamais la sagesse d’en restreindre l’emploi, alors qu’il joue son existence? » (Raymond Aron)
« Sans retenir les prophéties d’apocalypse de certains savants, il est de fait qu’au cours d’une troisième guerre, les pertes humaines dépasseraient peut-être la capacité de récupération des nations. » (Raymond Aron)
Je pense que d’exploiter la résurgence des nationalismes ethniques identitaires en Occident en un moment aussi instable, voilà qui relève d’une mémoire évanouie.. Ce n’est pas parce que notre continent a été épargné qu’on est à l’abri des dérives nationalistes.
Quand le pouvoir de destruction se retrouve entre les mains d’un individu dont l’âge mental se compare à celui d’un enfant de 7 ans, l’heure n’est pas au jovialisme .
@ Hélène Beaulieu :
Vous écrivez: ¨ Ce n’est pas parce que notre continent a été épargné qu’on est à l’abri des dérives nationalistes. ¨.
Pourquoi faut-il automatiquement que le mot ¨nationalisme¨ selon vous soit synonyme de ¨nazisme¨ (vous ne l’avez pas écrit, mais c’est cela que ça signifie). Si je me fie à ce que je vois, il n’y a pas vraiment eu de partis politiques ¨nazis¨ ici au pays depuis des décennies, mais ce ne sont pas les dérives qui ont manqué malgré tout. Pour moi, le mot ¨nationalisme¨ signifie nation, patrie, pays. Il n’est pas vide de sens, et est encore moins synonyme de fascisme et nazisme dans son sens péjoratif.
Sans doute faites-vous allusion à Trump avec votre enfant de 7 ans. Je n’ai aucune sympathie pour Trump, mais il ne vaut pas moins que son prédécesseur Barack Obama qui a commandé des assassinats par drones en quantité industrielle mais dont on n’a jamais entendu parler pendant son règne. Et qui plus est s’est fait construire un château de plusieurs million$$$ à peine 10 pieds au dessus du niveau de la mer alors qu’il prêche pour combattre le réchauffement climatique et de la fonte des glaces qui, supposément, devraient s’élever des dizaines de mètres au dessus du niveau des mers, tout en exhortant tout le monde à se serrer la ceinture et combattre les GES (CO2 vital à l’humanité) en payant des surtaxes sur le pétrole.