Montréal: la tentation anglaise

Si les villes avaient un psy, celui de Montréal ne s’ennuierait pas. Surprenante ville que celle-là, où la langue dans laquelle un hôpital commande son contreplaqué peut faire la manchette des journaux et où la présence d’un vice-président de banque unilingue anglais menace de rallumer un volcan linguistique…

Montréal: la tentation anglaise
Sugar Sammy – Photo: Denis Beaumont/PC

Au cours des derniers mois, les signes de l’anglicisation de Montréal se sont multipliés sur les chantiers comme dans les universités, les grandes entreprises et les artères commer­ciales. La faute à qui ?

L’été dernier, sur une plage du Lac-Saint-Jean, entre deux guimauves grillées, une vieille connaissance m’a dit que les Qué­bécois de langue française « avaient abandonné Montréal », las de tenter, en vain, de la franciser.

À Montréal, les francophones – les jeunes, surtout – passent à l’anglais dès qu’une per­sonne maîtrise mal leur langue, rechignent à subir une énième réunion en traduction simul­tanée et préfèrent écouter le patron venu de Toronto parler anglais. Par ailleurs, ils sont plus nombreux que les Anglos à démé­nager hors de l’île. Et pour eux, la capitale francophone, c’est Québec.

De jeunes collègues de Québec admettent se sentir « dans une ville étrangère » lorsqu’ils viennent à Montréal. Pour eux, la ville est anglaise. Ils adoptent machinalement la langue du lieu.

Montréal est-elle déjà anglaise ? Interface économique nécessaire entre le Québec français et le reste du continent, où l’anglais règne en maître, langue par laquelle passent les routes du commerce mondial ?

Les anglophones que nous avons sondés en janvier nous disent-ils tout haut ce que le reste du Québec sait déjà ? Comme un randonneur prêt à couper son bras coincé entre deux roches pour éviter de mourir, l’inconscient francophone aurait-il sacrifié la grande ville située au bord du Saint-Laurent ?

Des mois plus tard, à la lec­ture de leurs réponses, le verdict de mon voisin de plage semble prophétique.

Dans ce sondage mené auprès des anglophones, l’opinion des jeunes est la plus troublante. Une véritable fracture générationnelle semble ouverte entre ceux qui ont choisi de vivre au Québec au lendemain de l’adoption de la loi 101, en 1977, et ceux des générations suivantes.

Une majorité de jeunes pensent qu’à plus ou moins long terme toute l’activité économique de Montréal se fera en anglais.

J’habite un quartier de Mont­réal où descendants d’Irlandais et d’Écossais côtoient depuis les origines de la ville des fils et des filles d’ouvriers canadiens-français. Depuis les années 1970, l’ambiance y a beaucoup changé, en raison de la francisation croissante des anglophones.

Un de mes voisins – de langue maternelle anglaise – a inscrit ses enfants à l’école publique française du quartier et ne peut imaginer vivre ailleurs qu’à Montréal. Chacune de ses visites dans le reste du pays lui rappelle combien il est Montréalais avant tout. Et il se sent chez lui au Québec.

À bien des égards, les anglophones de Montréal se sentent de plus en plus québécois. Un sur deux est en couple avec un francophone. Ils savent parler le français. Pourtant, l’avenir français de Montréal semble toujours ne tenir qu’à un fil. Que faut-il faire ? Commençons par en parler…