Ni meilleur ni pire

Peut-être que notre monde post-COVID sera un peu différent en apparence. Mais sur le fond, les indices laissent croire qu’il aura très peu changé.

Photo : Daphné Caron

La Bourse s’est affaissée pour mieux rebondir. On prévoit un recul des prix dans l’immobilier, mais, sauf pour les villes liées à l’industrie pétrolière, les choses devraient avoir renoué avec la normale d’ici 2022.

Les élèves en difficulté le sont toujours, peut-être même davantage. Les gouvernements plastronnent à propos de leur gestion de la crise en prévision de la prochaine campagne électorale. Les gens travaillent. Ils achètent des choses. Ils s’aiment ou ne s’aiment plus.

Le monde n’a pas tellement changé, finalement. Il y a des masques. Des distributeurs de gel désinfectant un peu partout. Des terrasses volontairement clairsemées. Mais, avec ou sans deuxième vague, tout cela s’évanouira comme un mauvais souvenir. Et nos bonnes intentions aussi.

Dès avril, comme pour nous consoler de notre isolement, nous nous sommes mis à imaginer le monde meilleur d’après la pandémie. La famille, le travail, la consommation, la politique : rien ne serait plus jamais comme avant.

Or, qu’avons-nous fait tandis que le signal d’alarme économique retentissait, que des gens perdaient leur boulot et que nous découvrions la possibilité que nos existences n’aient pas toujours leur constance plus ou moins linéaire ?

Si on se fie aux records de ventes dans les magasins de piscines, les Québécois qui n’avaient pas perdu leur emploi ont pris l’argent de leurs vacances et, plutôt que de le mettre à l’abri en constatant la précarité de l’économie, l’ont mis dans leur cour arrière. Ils ont aussi acheté des bébelles en ligne. Beaucoup, énormément. Nous n’avons pas encore trouvé meilleur moyen de nous désennuyer que de consommer.

Au début du confinement, des milliers de personnes roucoulaient de bonheur : leurs patrons découvraient enfin que le télétravail n’est pas synonyme de flânerie. Mieux encore, on confirmait ce que les allergiques aux rencontres interminables savaient déjà : souvent, les réunions pourraient se résumer à un échange de deux ou trois courriels.

Quelques semaines plus tard ? Les réunions Zoom s’enchaînaient. Tandis que j’écris ce billet, une collègue pigiste me dit qu’elle a passé six heures par jour en rencontre virtuelle… les 10 derniers jours. Une amie, dans la pub, fait le décompte : six ou sept réunions en ligne par jour.

Le monde du travail a changé pour toujours, affirmait The Economist. Le privilège de ne pas aller au bureau viendra néanmoins avec l’abolition de la semaine de travail telle qu’on la connaissait. Nous ferons des courses le mardi avant-midi. Mais les fins de semaine seront progressivement éradiquées en même temps que les frontières entre le travail et la vie privée. Simple accélération d’un processus entamé avec nos ordis et nos cellulaires, qui nous attachent au boulot.

« Nous aurons tiré quelques leçons de la situation, mais chaque réjouissante nouveauté paraît traîner le poids de nos habitudes. »

Les personnes âgées continueront d’être invisibles, ou d’être des statistiques. Nous ne les avons pas vues mourir en masse. Nous n’avons eu droit qu’à des chiffres, la mort et la misère comme des abstractions.

Les pauvres ? Ils le seront plus encore. Une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques soulignait à la mi-juin que l’inflation des produits essentiels se fait bien plus cruellement sentir chez les personnes à faible revenu et que l’augmentation du prix de la nourriture, par exemple, ne fera qu’accentuer ce phénomène.

N’avons-nous donc rien appris de cette crise ?

Dans une de ses chroniques, Pierre Foglia racontait l’histoire d’un ami qui redécouvrait le goût des mangues alors que sa vie était menacée par la maladie. Tout était soudainement plus vif, plus grave, plus beau. Une fois guéri, il avait rapidement oublié cet éclat et les choses avaient repris leur habituelle fadeur.

Nous sommes comme le malade de Foglia. Pendant un bref moment, nous avons contemplé la finitude de notre mode de vie et nous sommes pris à espérer un monde plus vivable.

Le déprimant pari que je fais ici, c’est que nous lui préférerons toujours celui que nous connaissons déjà.

Nous aimons tous détester Michel Houellebecq, sauf qu’il a rarement tort en ce qui concerne nos dérives sociales. Dans une lettre, lue à la radio française au printemps, il professait que le monde sera pareil, voire légèrement pire, après la pandémie.

Je ne le suis pas jusque-là. Le monde s’améliore sans cesse, mais il le fait le plus souvent par mouvements incrémentaux. De minuscules pourcentages, imperceptibles sur une année ou deux, qui s’accumulent cependant au fil du temps.

Nous aurons tiré quelques leçons de la situation, mais chaque réjouissante nouveauté paraît traîner le poids de nos habitudes. Donc, oui, peut-être notre monde sera-t-il un peu différent en apparence. Mais sur le fond, les indices laissent croire qu’il aura très peu changé. Une fois que la crise sera derrière nous, il ne sera pas pire, comme le prétend Houellebecq. Mais il ne sera pas meilleur non plus.

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Dans votre article sur les Équerres, vous répétez à au moins deux reprises le chemin « Richmond », alors que c’est le chemin « Redmond ». Vous devirez valider toute information avant de publier. Merci.

Merci pour votre papier. Je vais y réfléchir car j’ai le temps. C’est un côté positif de cette pandémie, nous avons du temps, à nous de bien s’en servir.

Pour avoir travaillé pendant des années à la maison, je suis convaincu que très peu de travailleurs possèdent les qualités requises pour s‘y astreindre très longtemps.