«Nous ne voulons pas que nos fils deviennent les agresseurs»

Un entretien avec la présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada sur la violence sexuelle et physique contre les femmes et les filles autochtones.

Photo : Michelle Siu/La Presse Canadienne
Photo : Michelle Siu/La Presse Canadienne

Michèle Audette est présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), dont le siège est à Montréal. Cette organisation œuvre au niveau des politiques pour combattre la violence sexuelle et physique contre les femmes et les filles autochtones, en mettant en évidence les lacunes dans les services essentiels et en commandant des études sur la question.

« Le dossier le plus tragique, et notre priorité absolue, ce sont les femmes autochtones disparues et tuées. C’est en 1989 que nous avons dénoncé pour la première fois les sévices et agressions sexuels. À cette époque, nous n’avions pas l’appui des dirigeants masculins de la communauté autochtone, de notre propre peuple. C’était tabou.

« Peu à peu, nous avons obtenu du soutien. Après une vingtaine d’années, avec toutes les campagnes et les activités, nous pensions que les choses s’amélioraient. Mais non, c’est encore un énorme problème. C’est presque normalisé dans la culture. Les femmes se disent : même si je parle de ce qui m’est arrivé, rien ne sera vraiment fait, parce qu’il n’y a pas de programmes ni de services pour nous soutenir, moi et ma famille, au sein de ma propre communauté.

« Ce problème me touche personnellement. La semaine passée, une de mes meilleures amies a reçu un appel sur son cellulaire pendant que j’étais avec elle. Elle s’est précipitée hors de la pièce. Je lui ai demandé ce qui se passait. C’était l’école de sa fille qui venait de téléphoner. Celle-ci s’était fait violer. Sa fille de 12 ans. C’était arrivé après l’école, chez un copain, et d’autres amis étaient présents. Dès qu’ils l’ont appris, les membres de sa famille l’ont emmenée aux urgences, et les services sociaux sont intervenus, évidemment. Mais cet incident était survenu un mois plus tôt. Il lui a fallu un mois pour en parler à sa mère. Elle avait tellement honte et peur. Et elle ne veut pas perdre l’amitié des proches de ce garçon. J’aimerais penser qu’à Montréal, en 2014, nous aurions touché les jeunes filles autochtones — grâce aux campagnes dans les écoles, à la télé ou au mouvement féministe. Qu’elles sauraient que ces choses ne sont pas acceptables, que l’agression sexuelle est un crime et qu’on est en droit de recevoir du soutien et de l’aide.

« Le travail que nous accomplissons à l’AFAC peut être accablant. Le territoire que nous desservons est immense ; le pays est immense ; la demande est énorme. On peut facilement s’épuiser. Le changement doit commencer à la maison. Voici notre objectif : nous ne voulons pas que nos fils deviennent les agresseurs — ceux qui vont violer ou battre. Nous devons les instruire à ce sujet à la maison et au moyen de l’éducation sexuelle dans les écoles.

« Oui, il nous faut dire aux filles et aux femmes : “Le viol est inacceptable, et vous devez le dénoncer.” Mais il nous faut aussi parler aux personnes qui font ces choses, ou risquent de les faire. Nous pouvons leur apporter de l’aide avant que quelque chose se produise.

« J’ai entendu des témoignages d’hommes qui, auparavant, étaient violents avec les femmes. Aujourd’hui, ils sont en cours de guérison et de réconciliation avec leur passé. Ils disent : “Nous n’avons jamais eu ce genre de prévention quand nous étions jeunes.” C’était tellement normal pour eux de voir leur père battre leur mère, leurs frères battre leurs copines, et ainsi de suite. Ils ont continué le cycle. Et maintenant qu’il y a un mouvement visant à mettre fin à la violence contre les femmes, certains de ces hommes — pas tous — sont en mesure de parler par expérience à d’autres hommes et à leur dire : “N’empruntez pas cette voie. Vous allez briser une vie pour toujours, ou plusieurs vies.” »

— Propos recueillis par Genna Buck et originalement publiés par Chatelaine. Cette interview a été révisée et condensée.

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Je connais quelqu’un qui enseigne sur une réserve. Les histoires qu’il me raconte me font dresser les cheveux sur la tête.
On est vraiment pas sorti du bois…..

C’est un problème qui sera très difficile à résoudre. Ces sont les autochtones eux-mêmes qui devront le faire. L’aide extérieure sera vue comme une ingérence et ne sera pas bienvenue. Cependant, l’éducation dans les écoles pourrait aider, à plus ou moins long terme.

Pour la disparition de femmes autochtones, la société québécoise ne peut rien faire. Nos policiers et nos enquêteurs ne sont pas bienvenus sur les réserves. Tout ce qu’on peut tenter de faire, c’est de former des policiers autochtones et de les envoyer sur des réserves où ils n’ont aucun lien de parenté (pour éviter un certain esprit tribaliste).