Odanak : le collège des Premières Nations

Après 10 ans d’efforts, le premier cégep adapté à la réalité autochtone vient d’ouvrir ses portes à Odanak, près de Trois-Rivières. Visite guidée.

Après 10 ans d’efforts, le premier cégep adapté à la réalité autochtone vient d’
Photo : Alexandre Chabot

Sur les murs de Kiuna (« à nous », en langue abénaquise), un long bâtiment tout neuf d’un étage, on ne trouve pas de mocassins suspendus ni de capteurs de rêves. Les dirigeants de l’Institution postsecondaire des Premières Nations (IPPN) – baptisée Kiuna pour favoriser le sentiment d’appartenance – les ont laissés volontairement libres de toute décoration, pour que les élèves s’approprient l’établissement.

C’est la première fois au Québec qu’un cégep offre un programme entièrement adapté à la réalité autochtone : « Sciences humaines – Premières Nations », une formation de deux ans offerte en anglais et en français et menant à l’obtention d’un DEC général. Un premier groupe, d’une trentaine d’élèves, a entrepris ses études à la fin août dans la petite réserve abénaquise d’Odanak, à une cinquantaine de kilomètres de Trois-Rivières. Mais l’idée, elle, mûrit déjà depuis une dizaine d’années dans la tête des responsables !

« Un peuple crée ses propres institutions en partie parce que le fait de se mettre ensemble et de prêter une attention particulière à sa culture, à sa propre identité, permet d’être mieux équipé pour faire partie du monde », explique Lise Bastien, directrice du Conseil en Éducation des Premières Nations et une des personnes à l’origine du concept. Ensemble, ajoute-t-elle, « on se sent bien moins minoritaire et misérable ».

Dans les années 1970, Lise Bastien a étudié au collège Manitou, dans les Laurentides, un établissement parrainé par le fédéral d’où ont émergé de nouveaux leaders autochtones – dont Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. La naissance de cette élite revendicatrice expliquerait d’ailleurs, selon certains, que les autorités publiques aient fermé le collège après deux ans, en 1976, officiellement à cause du manque de fonds.

À Kiuna, des Innus, des Attikameks, des Hurons, des Mohawks de partout au Québec – d’aussi loin qu’un village près de Blanc-Sablon – viennent en apprendre davantage sur leur héritage et les réalités autoch­tones. Les cours d’histoire mettent en valeur les événements marquants tels que vus par les Premières Nations, et non par des colons venus d’ailleurs. Des exemples concrets d’entreprises autochtones démontreront aux étudiants qu’être amérindien ne rime pas toujours avec dépendance, chômage, sous-emploi. Quant aux cours de littérature, ils nourriront l’imaginaire autoch­tone et transporteront les étudiants jusqu’aux grandes plaines parcourues par les Sioux.

« J’apprends beaucoup à leur contact », dit David Paulin, un Québécois pure souche. Il enseigne la littérature autochtone en anglais à un groupe de neuf étudiants. « En préparant ce cours, j’ai découvert le prix Pulitzer de 1969, Navarre Scott Momaday, le premier écrivain autochtone à recevoir cette distinction. » Un sourire en coin, David Paulin sou­ligne que le courant passe bien avec son groupe, venu en majorité de la communauté mohawk de Kahnawake. « On m’avait averti que c’est un peuple de guerriers, mais il faut croire que je suis un peu guerrier aussi et que j’ai embarqué dans le clan ! »

La plupart des étudiants inscrits dans cette première fournée ont déjà expérimenté le cégep, qui les a déçus. La timide Claudie Ottawa, 25 ans, une Attikamek originaire de Manawan, à l’ouest de La Tuque, assure avoir été ignorée par les autres étudiants à Trois-Rivières. « Ils ne me parlaient pas beaucoup. Ils ne savaient pas ce que c’était d’être autochtone, mais ils ne le demandaient pas non plus… » Lorsqu’un professeur a insinué que les autochtones mangeaient peut-être encore leurs chiens, la jeune femme a explosé intérieurement. Aujourd’hui, elle reprend le fil de ses études à Kiuna, en compagnie de sa sœur. Son but : se former pour retourner dans sa communauté accomplir de grandes choses et aider les siens.

Les étudiants, qui ont pris la décision de quitter leurs proches et parfois même leurs enfants pour deux ans, veulent en finir avec les tristes statistiques sur l’alcoolisme, la violence familiale, l’ennui, qui caractérisent la réalité autochtone. Les responsables du cégep, eux, les accompagnent en étant attentifs à leurs besoins, et ils misent sur l’exemple et la modernité. L’exemple, ce sont les témoignages que viendront présenter des personnalités autochtones qui ont percé, dans les arts, les affaires, les sciences. La modernité, c’est l’équipement technologique, très présent au cégep : ordinateurs, caméras, écrans de projection.

Dans certains cours, les étudiants préparent des courts métrages. Un vox pop sur l’éducation sera bientôt diffusé dans le site de Kiuna pour convaincre des élèves potentiels de rallier l’établissement. Peu à peu, les jeunes autochtones prennent conscience de la force que peuvent donner des liens, même virtuels, entre des communautés de même langue, parfois éloignées les unes des autres de plusieurs heures en 4 x 4. Et surtout, ils prennent confiance en eux.

: à Odanak, une réserve abénaquise près de Trois-Rivières.
Financement
: quatre millions de dollars, provenant surtout du ministère de l’Éducation du Québec.
Diplôme : programme « Sciences humaines – Premières Nations », supervisé par le collège Dawson et le cégep de l’Abitibi-Témiscamingue.
Hébergement
: dans les résidences tout juste construites, pouvant accueillir des familles (on offre un service de garde d’enfants).
Taux de décrochage scolaire postsecondaire chez les autochtones
: environ trois fois plus élevé que pour le reste des étudiants québécois.