On ne sait pas débattre

On invite trop souvent des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent pour se prononcer sur des sujets qu’ils ne comprennent pas, dit Olivier Niquet. 

Paul Ducharme / montage : L’actualité

Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.

On a souvent entendu dans l’espace public des gens se plaindre qu’au Québec, on ne sait pas — ou on ne peut pas — débattre. Il semblerait qu’on n’aime pas la chicane, contrairement aux Français, entre autres. En matière de débats, les Français, ils l’ont l’affaire. Malheureusement, je ne consomme pas suffisamment de culture française pour juger de la qualité des discussions outre-Atlantique. Par contre, je connais bien les débats de chez nous pour en voir et en entendre beaucoup (trop).

Si vous me dites que les débats en France sont menés par des gens informés qui maîtrisent leurs dossiers, qui sont de bonne foi et qui ont le temps d’expliquer leur point de vue, alors oui, il faut envier la France. Il y a peut-être de ces échanges éclairés là-bas, mais je présume que la plupart sont comme les nôtres : obscurcissants.

Mon aversion pour les débats vient nécessairement de mes traumatismes de jeunesse. De nature introvertie, il m’est très difficile de verbaliser mes réflexions en même temps que je les développe. Cela implique que dans les petits débats que les enseignants organisaient autour d’enjeux anodins comme le choix d’une activité parascolaire, je peinais à placer plus de deux phrases. Pourtant, si on m’avait donné quelques heures pour réfléchir à une question, faire quelques recherches et prendre quelques notes, j’aurais sans doute pu emberlificoter mes adversaires idéologiques (en supposant que les activités parascolaires soient une idéologie).

Les débats dans nos médias ressemblent malheureusement à ceux de ma deuxième année du secondaire (à part pour les sujets). On invite trop souvent des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent à se prononcer sur des sujets qu’ils ne comprennent pas. À la base, je n’ai pas de problème avec le fait qu’on reçoive un propriétaire de cinémas ou un entrepreneur acériculteur pour débattre de la piétonnisation des rues ou de l’utilité d’installer des caméras dans les classes pour surveiller les professeurs. Mais j’ai un problème lorsqu’on les invite principalement parce qu’ils sont bons pour étaler avec grandiloquence l’étendue de leurs préjugés racoleurs.

Pire, on les met sur un pied d’égalité avec ceux qui s’y connaissent, qui ont pris la peine de se préparer et qui se soucient de ne pas dire n’importe quoi. Le fait de vouloir toujours montrer les deux côtés d’une médaille, avec des participants qui sont pour et d’autres qui sont contre, a des effets pernicieux. Ce n’est pas vrai que les deux côtés sont toujours valables. Si 99 % des scientifiques estiment que la Terre se réchauffe, pourquoi devrait-on allouer 50 % du temps au 1 % qui n’y croit pas ? Même chose avec une pandémie ou la couleur de la margarine. On accorde autant d’espace à une personne qui donne son opinion basée sur des faits qu’à une personne qui donne son opinion basée sur des impressions. L’avantage de ne pas s’informer avant de débattre, c’est qu’on n’a pas le sentiment d’avoir dupé les gens. 

Les intuitions défaillantes de l’humain causent tellement de biais inconscients qu’il est essentiel de réfléchir plus de 18 secondes avant de formuler une opinion. Les mauvaises intuitions des débatteurs confirment les mauvaises intuitions des auditeurs ou des téléspectateurs et influencent leur pensée sur la question du débat. Réfléchir vite et se prononcer vite ne fait pas honneur aux capacités de nos cerveaux. Il ne vaut pas mieux mal débattre que ne pas débattre pantoute.

Le problème, c’est que le débat prend souvent la forme d’un spectacle. Même les sujets doivent être spectaculaires, sinon personne ne sera à l’écoute. Ce n’est pas parce qu’un politicien marginal s’inquiète du fait que, dans une classe, une enseignante a décidé de remplacer une fois la fête des Mères par la « fête des Parents » que ça doit devenir une question nationale. 

Un débat sur l’immigration avec des experts en immigration ? Bof. Un débat sur le chemin Roxham avec un ancien participant de téléréalité ? Voilà qui est mieux. C’est peut-être là que le Québec diffère de la France, où des intellectuels peuvent encore captiver un auditoire amateur d’intelligence. Mais encore là, un vocabulaire riche n’est pas garant d’une opinion riche. Il faut se méfier des amphigouris, comme dirait Geneviève Guilbault pendant un concours de mots compliqués.

Ces débats spectaculaires ne me paraissent acceptables que dans un cas : le sport. Dans le bon vieux temps de 110 %, ça se chicanait de façon désinformée à qui mieux mieux et de façon divertissante, sans aucune conséquence. La belle époque.

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Je suis 100% en accord avec vous. Le Québec est TRÈS loin de débats sains comme ceux que j’ai appris à faire dans mon cours de philosophie 301 au Cégep, « dans le temps ». Argumenter, répliquer, contre-argumenter, en ce basant sur des faits et, surtout, en dirigeant la critique sur les arguments du côté opposé. Du moment où une personne qui veut « débattre » tombe dans le dénigrement de la personne et/ou de ses idées (bref, 99.9% des débats sur les médias sociaux), ce n’est plus débattre. Et pour moi, celui ou celle qui tombe dans ce dénigrement est la personne qui a perdu le débat. Quand tu en es rendu là, c’est que tu n’as plus d’arguments à donner…

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Je constate que l’on confond continuellement ce qui est une vérité ou un fait démontré, une opinion ou une croyance. Je veux bien qu’on débatte de sujets qui s’y prêtent afin de s’éclairer mutuellement (ex. pour ou contre la légalisation du canabis) mais, qu’on débatte de faits avérées (ex. l’efficacité des vaccins à nous protéger de certaines maladies) ne fait que semer le doute et laisser croire qu’on peut réduire une réalité à une simple opinion.

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Bravo. Il faut diversifier nos lectures pour ne pas tomber dans une boucle d’autosatisfaction. Mais là, vous me conforté. C’est exactement ce que je pense.
De plus, il y a les fameux cas d’exception qui sont toujours cités comme preuve qu’un système est défaillant.

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Oui oui oui mais qui dècide qui doit parler et qui doit se taire?

Évidemment, si on ne permet jamais une opinion marginale d’un expert ou pas, la terre serait encore le centre de l’univers et la possibilité que le Sars-CoV-2 ait fuit le laboratoire de Wuhan serait considéré sans fondement.

Et peut-être que la terre serait encore plate. Je veux bien croire que les opinions ne se valent pas tous mais plusieurs d’entre eux ont débuté dans la marginalité.

Vous reprenez ce que je constate depuis de très nombreuses années.
Les jours s’écoulent à grande vitesse et pour combler le vide des journées mornes, sans attrait, on occupe le temps mort par des épiphénomènes.
Mieux vaudrait demander à un pur quidam ce qu’il pense d’une journée ordinaire que de voir trôner des têtes à qui on demande d’être des hyperspécialistes en tout et rien.
C’est ainsi qu’on se crée des nouvelles basées sur les gaffes de l’un et la volonté d’un autre de faire grimper ses espoirs.
Regarder et écouter les nouvelles est devenu assommant. Certains politiciens ne radotent que des cassettes et certains journalistes sont devenus de farouches représentants de la morale ou de la justice selon le sujet.
Merci pour cet article.

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Je lis tous les articles signés Olivier Niquet car je sais qu’il analyse la question avant d’écrire. Je suis totalement d’accord avec lui sur la qualité ou la « non qualité » du débat au Québec. Un débat devrait nous éclairer, nous amener plus loin dans notre réflexion. Trop souvent, nos débats confondent opinions, croyances, anecdotes, rumeurs sans égard aux faits vérifiés à diverses sources et aux recherches des « vrais » experts. Ça devrait s’enseigner à l’école sur des bases solides et, pourquoi pas? sur les principes de la philosophie. Frédéric Lenoir ne l’a-t-il pas démontré avec des enfants de l’école primaire?

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Il faut faire attention à ce que vous dites: (recherches des « vrais » experts.) , car il y a moulte ¨pseudo experts¨ qui ne font que répéter ce qu’ils ont gobé sans aller voir s’il y avait des versions plus solides et contradictoires à leurs ¨conception ¨ de ce qu’est LA vraie situation.
N’oubliez pas que même la fameuse théorie de la relativité d’Einstein est remise sur la table par les découvertes récentes du fameux télescope James Webb. Alors, tout est réellement ¨relatif¨ en science. Rien n’est définitif.
Alors, dite vous que ce qu’on vous dit ¨vérité¨ aujourd’hui avec conviction ne sera peut-être pas vrai demain.
Et je cite : ¨ »Je suis sidéré qu’être sceptique soit une insulte » dit Didier Raoult¨

Bravo pour cet article qui me rejoint complètement! Tous ce chroniqueurs qui chroniquent et qui se plaignent de ne pouvoir rien dire ont eu raison de mon intérêt pour l’information.. Que ce soit à TVA ou encore à Radio Canada cette fausse impartialité de mélange des genres (experts/incultes activistes) est une insulte à l’intelligence des Québécois qui méritent mieux que d’être exposés à ces démagogues qui carburent à la malhonnêteté intellectuelle empruntée à notre voisin américain mais aussi à l’extrême droite française.
« Et c’était déjà vrai dans ce monde oû les manipulations n’étaient pas du « deep fake » . La communication exerçait déjà sa tyrannie. Vingt cinq ans plus tard, une grande partie de la population partout démissionne et écoute de la musique.. s’informer épuise. » (Marie France Bazzo)

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Monsieur Niquet: je vous invite à lire l’article de Nathalie Elgrably suivant : ¨ https://www.journaldequebec.com/2023/04/21/radio-canada-information-ou-propagande¨ Elle vous fera vous poser des questions primordiales. J’y ai émis mon commentaire.
Quand vous écrivez : ¨Si 99 % des scientifiques estiment que la Terre se réchauffe, pourquoi devrait-on allouer 50 % du temps au 1 % qui n’y croit pas ? ¨, vous participez à ce que j’appelle ¨La censure¨.
De plus, il est totalement faux de dire que 99% des scientifiques estiment que la terre se réchauffe. C’est peut-être 97% des scientifiques QUI PARTICIPENT aux rapports du GIEC qui font consensus, mais ce n’est pas 97% de tous les scientifiques, car il y a des centaines de scientifiques qui n’arrivent pas aux conclusions très alarmistes du GIEC avec les données mêmes de celui-ci. Je vous cite deux scientifiques seulement, mais il y en a d’autres.
François Gervais (https://www.youtube.com/watch?v=PCFwkeq3atA ) et Richard Siegmund Lindzen (https://www.youtube.com/watch?v=tXGWeO0KXlU ).
Ne venez pas me dire que ces personnes sont des ¨coucous¨ vendus au pétrole. Vous me démontreriez qu’on ne peut pas débattre quand on ne pense pas comme vous.

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Correction: Pour accéder au site de Nathalie Elgrably, il faut retirer le tréma ( ¨ ) à la fin du mot ¨propagande¨… excusez mon erreur de frappe.

Au modérateur:
Monsieur, madame; j’ai émis un commentaire hier, et il n’est pas encore paru. Y a-t-il une raison particulière qui empêche la parution ?

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Bonjour Monsieur D’Anjou,
Le commentaire auquel vous faites référence a été soumis au pupitre pour une vérification de sa conformité avec notre Netiquette, c’est pourquoi il y a eu un délai plus long avant sa validation.
Merci,
Julie Gobeil, chef du pupitre éditorial.

Merci de me préciser. Je comprends que sur des points sensibles, il faut être prévoyant. Je m’efforce, comme vous dites, de respecter la ¨Netiquette¨ comme il est convenu.