Liberté d’expression : ce qu’on peut dire (ou pas) en public

Injure, diffamation, apologie du terrorisme : jusqu’où peut-on aller ?

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Illustrations : Éric Godin

« On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde », disait l’humoriste français Pierre Desproges. Vrai que la liberté d’expression est un principe démocratique fondamental. Les Français l’ont consacrée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les États-Unis en ont fait le premier amendement de leur Constitution. Au Canada, elle est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, et au Québec, par la Charte des droits et libertés de la personne.

Mais les États démocratiques imposent aussi des limites. Pour protéger les particuliers ou l’ordre public, ils estiment que certains propos ne devraient pas être tenus et votent des lois en conséquence. C’est ainsi qu’ils sanctionnent à divers degrés l’injure, la diffamation, la propagande haineuse ou l’apologie du terrorisme.

Trois spécialistes de la liberté d’expression — Louis-Philippe Lampron, professeur de droit à l’Université Laval ; Richard Moon, professeur de droit à l’Université de Windsor, en Ontario ; et Julien Fournier, avocat et associé au Cabinet Pierrat, à Paris — font un survol de ce qu’on ne peut pas dire en public.

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« Pauvre con ! »

En France, insulter quelqu’un sur Facebook pourrait vous coûter 12 000 euros. La Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit formellement la diffusion publique d’une injure, soit le fait d’adresser à une personne une parole offensante, dans le but délibéré de la blesser. Sans son immunité présidentielle, Nicolas Sarkozy aurait pu être sanctionné lorsque, en 2008, il a traité de « pauv’ con » un homme qui refusait de lui serrer la main. « Ces propos constituent de toute évidence une injure publique », estime Julien Fournier.

Ce type de délit n’existe pas au Québec. Certes, la Charte des droits et libertés de la personne stipule que tous ont droit à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation. « Mais la Charte, en garantissant la liberté d’expression, protège aussi le droit de critiquer les positions avec lesquelles on n’est pas d’accord, même si cette critique s’exprime de façon virulente, explique Louis-Philippe Lampron. Ainsi, je peux traiter de “gros con” quelqu’un qui tient des propos racistes, homophobes ou sexistes sans risquer de me faire poursuivre. Tout dépend du contexte et de l’intention qui se cache derrière l’injure. »

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« Sale nègre ! »

« Là, c’est plus grave », affirme d’emblée Louis-Philippe Lampron. La Charte des droits et libertés de la personne interdit la discrimination contre toute personne, que ce soit en raison de sa couleur, de sa religion, de son orientation sexuelle, etc. « Une injure discriminatoire n’a rien à voir avec la critique d’une idée ou d’une position », fait-il valoir.

« Voyou ! »

La diffamation consiste à dire ou à écrire des choses défavorables sur une personne (souvent à lui attribuer des comportements immoraux ou contraires à la loi) alors qu’elles sont fausses. Ou encore, à les dire ou les écrire sans motif valable, peu importe qu’elles soient vraies ou fausses.

Toutes les démocraties sanctionnent la diffamation. Au Québec, elle est interdite par le Code civil et le Code criminel. Pierre Karl Péladeau, lorsqu’il était président de Québecor, avait poursuivi Sylvain Lafrance, alors vice-président de Radio-Canada, en diffamation pour avoir dit de lui qu’il se comportait comme un « voyou ».

« Les homosexuels sont des pédophiles »

« Au Canada, l’incitation à la haine contre un groupe, autrement que dans une conversation privée, est un acte criminel passible de deux ans de prison », dit Richard Moon. En 2013, la Cour suprême du Canada a condamné pour propagande haineuse William Whatcott pour avoir distribué en Saskatchewan des dépliants affirmant que les homosexuels étaient trois fois plus susceptibles de faire subir des sévices sexuels à des enfants.

Les appels à la haine (« les musulmans sont des terroristes ») ou à la violence (« mort aux juifs ») sont pénalisés au Canada comme en Australie, en France comme en Afrique du Sud. « Aux États-Unis, il est plus difficile de sanctionner quelqu’un, indique Richard Moon. Il faut prouver qu’il y a une menace imminente contre une personne ou un groupe précis. » En 2010, le pasteur américain Terry Jones avait menacé de brûler des pages du Coran — et l’avait fait ! — sans qu’on puisse l’arrêter. « Les Américains ont fait de la liberté d’expression le droit le plus fondamental, auquel on ne peut pas toucher », commente Louis-Philippe Lampron.

« Je suis Coulibaly »

En France, héroïser les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly pourrait vous valoir cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende ; jusqu’à sept ans et 100 000 euros si vous le faites par Internet. L’humoriste français Dieudonné a été arrêté en janvier pour avoir écrit sur Facebook : « Je me sens Charlie Coulibaly. » L’affaire n’a pas encore été jugée.

« Faire l’apologie des crimes et délits était déjà sanctionné en France par le droit civil, précise Julien Fournier. Depuis novembre 2014, glorifier un acte terroriste est entré dans le Code pénal. Les peines sont plus sévères. » La Grande-Bretagne avait déjà légiféré en ce sens en 2006.

Le crime d’apologie du terrorisme n’existe pas au Canada. Seule l’incitation à commettre un acte terroriste est pénalisée. Depuis les attentats commis à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa, en octobre, le gouvernement conservateur songe à emboîter le pas à la France et à la Grande-Bretagne.

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« Les chambres à gaz n’ont jamais existé »

Plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni, interdisent la tenue de propos qui relativisent l’importance de l’Holocauste ou nient son existence, ou, de façon plus générale, les crimes contre l’humanité. « Cette interdiction n’existe pas au Canada, mais nier l’Holocauste pourrait être interprété comme une forme de propagande haineuse », signale Louis-Philippe Lampron. C’est ainsi qu’en 2005 Ernst Zündel, Allemand d’origine connu pour son obstination à nier la Shoah, a été expulsé du Canada.

Super Jésus Poulet BBQ

« Ceci est mon poulet, livré pour vous. » Théoriquement, les membres du groupe humoristique Rock et Belles Oreilles auraient pu écoper, à la fin des années 1980, d’une peine de prison de deux ans pour leurs sketchs mettant en vedette le personnage de Super Jésus, dans lesquels on se moque allégrement des miracles et de la morale catholique. Au Canada, le Code criminel pénalise toujours le libelle blasphématoire — le fait de tenir des propos offensants contre la religion ou les sentiments des croyants. « En réalité, personne n’a été poursuivi depuis 1936 », fait valoir Louis-Philippe Lampron.

« Si une cause était portée devant les tribunaux, cet article du Code criminel serait probablement jugé anticonstitutionnel, estime Richard Moon. Le droit de critiquer les dogmes d’une religion est au cœur même de la liberté d’expression, qui doit s’exercer dans une société démocratique. »

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Pour ma part, je ne vois AUCUNE liberté d’expression dans le fait de salir la personne, ses origines, ses croyances, ses attirances, ses choix, ses opinions. Que cette liberté d’expression se traduise en texte, dessin, graffiti, parole, geste, BD, caricature… Seul, au plus profond de moi-même, LE PLUS GRAND RESPECT DE L’AUTRE DANS SON ENTITÉ est MA LOI et MA LIBERTÉ D’EXPRESSION.
Personne ne peut m’imposer où et jusqu’où commence et s’arrête ma liberté d’expression. Aucune loi française, américaine, canadienne, québécoise n’ont de conséquence et de poids sur mes choix de ce que je peux dire et comment les dire. Car JE SUIS LIBRE DE L’INTÉRIEUR. Et cette liberté d’expression prend ses racines dans des valeurs hautement humanitaires et de respect. Jamais pour moi il sera question de démolir l’autre en me basant sur ma petite personne, mes choix, le poids de l’opinion d’une société se disant moderne et évoluée ou le bagage de ma culture tellement étriquée par rapport aux vécus des humanités de l’univers -si tant est qu’on réfléchit à ce que nous représentons dans cet UNIVERS d’humains.- .
Quand on sait que ce que nous sommes n’est même pas le fruit de notre liberté au départ, car qui a CHOISI de naître ici au Québec plutôt qu’en Afrique, en Asie, au États-Unis, en Iraq ou tout autre destination terrestre!!! Qui de nous a choisi ses parents, son éducation, l’environnement dans lequel
il a grandi, joué, mangé, dormi, appris à parler et même … à prier ou à sacrer! La liberté d’expression garanti dans La Charte et Les Chartes de tout acabit, pour quiconque prend cette garanti comme une occasion confortable de se libérer et de se venger de ce ou de ceux qu’il n’accepte pas ou haï, de
ce qui le fruste ou lui fait peur, cette LIBERTÉ ENCHASSÉE est bien plus souvent un leurre qu’une VRAIE LIBERTÉ.
Quant à moi, la liberté d’expression de la manière dont plusieurs s’en servent, ce n’est pas une LIBERTÉ mais un moyen, oui, permis par des lois , pour
des individus, d’arriver à leurs fins, de se défouler et de changer les lubies de certains pour leurs lubies à travers mots, dessins, gestes méprisants et
haineux. Rien à voir avec la critique d’une idée ou d’une position, le droit de critiquer les dogmes d’une religion ou d’une idéologie sociale ou politique.