On a beaucoup parlé du français cet automne à Québec. Vous ne vous en êtes pas rendu compte ? Neuf jours de commission parlementaire ont pourtant été consacrés au projet de loi 96, qui révise la loi 101, vieille de 44 ans.
Il faut dire qu’en 1977, les débats précédant l’adoption de la Charte de la langue française avaient été si houleux qu’ils ont marqué l’histoire. La commission parlementaire qui s’était penchée sur la question « était beaucoup plus agitée que celle-ci », a sobrement rappelé le sociologue Guy Rocher, qui a contribué à la rédaction de la loi 101, lorsqu’il a présenté son mémoire sur le projet de loi 96 à l’Assemblée nationale, fin septembre.
M. Rocher a ensuite précisé que le ministre Camille Laurin, qui portait la loi contre vents et marées, avait « dû essuyer un grand nombre d’injures pendant [la] commission parlementaire » de 1977. Un reflet des invectives dont on l’accablait dans certains milieux.
Il subsiste une exaspération parfois féroce par rapport à la protection du français au Québec. Mais cela porte peu, car, après des décennies d’application de la Charte, les prédictions de dictature linguistique apparaissent pour ce qu’elles sont : des bêtises.
Le principe du français comme langue commune fait consensus, comme l’ont dit d’entrée de jeu quasiment tous les participants à la commission parlementaire, et le premier ministre François Legault y tient.
Les débats de l’automne ont donc porté sur des détails à corriger tout en abordant poliment un sujet qui divise : étendre les dispositions de la loi 101 aux cégeps — ce que le gouvernement refuse, alors que ce serait une nécessité, à mes yeux comme à ceux des observateurs les plus sérieux de la situation linguistique au Québec.
Tout cela était finalement bien tranquille. Suffisamment pour que je craigne que l’on se satisfasse des apparences en oubliant le cœur de l’enjeu : que le français d’ici se réduise peu à peu à un code de communication, détaché du mode de vie.
Le « bonjour-hi » devient redondant comme exemple, mais il m’apparaît tellement révélateur de la dynamique à l’œuvre. Elle va comme suit : « D’accord, on est au Québec, je vais vous le donner, votre “bonjour”, même vous servir en français s’il le faut, ou plutôt si vous l’exigez ! Mais dès que je parlerai à mes collègues, je retournerai à l’anglais. Oui, sous vos yeux à vous qui tenez tant à votre langage folklorique, qui est peut-être aussi ma langue maternelle, mais franchement, je m’en fiche pas mal… »
Dans des grands magasins, des petites boutiques, des restos de toute taille, et sans doute dans beaucoup d’entreprises, cette scène-là se joue quotidiennement à Montréal et aux alentours. Or, elle se décline de bien d’autres manières dans l’ensemble du Québec.
Sur Twitter, des noms typiques de « Québécois de souche » mènent à des profils rédigés uniquement en anglais, même quand leurs titulaires tweetent en français. Sur Instagram, bon nombre de jeunes Québécois ne publient qu’en anglais, comme si le monde entier attendait de leurs nouvelles.
Dans les romans québécois, peu importe la longueur d’un passage en anglais, qu’il s’agisse d’une phrase, d’un paragraphe ou de pages complètes, il ne sera pas traduit. Et les écrivains qui « bilinguisent » leurs textes sont de plus en plus nombreux. Le milieu de l’édition s’appuie pourtant sur les subventions : Québec n’impose donc aucune exigence à cet égard ?
Si on demande à quelqu’un, vedette ou quidam, de nommer spontanément ses chansons préférées, ce sera un miracle d’entendre un titre en français… Dans les écoles, on chante en anglais dans les spectacles de fin d’année ; dans les cours de danse, les airs en français ont depuis longtemps disparu.
Côté télé, plus on est intello, plus il est chic d’exprimer son engouement pour une série américaine sur Netflix plutôt que pour une série québécoise, même de haut calibre.
À Montréal, pas une manif ne se déroule sans son lot imposant de pancartes en anglais. Et il n’est jamais garanti de pouvoir être soigné en français dans les hôpitaux anglophones.
Dois-je insister sur le vocabulaire qui s’appauvrit ? Des messages illisibles sur Facebook aux travaux universitaires à la grammaire fantaisiste, en passant par l’expression « vous partager » et autres erreurs du même acabit, on le constate partout.
C’est au fond de culture et d’histoire que je parle ici. Alors, au-delà de la loi, je me demande ce qui ravivera le français comme langue de plaisir, de loisir, de repère, de précision, d’affection, de filiation, d’affirmation.
Et je reste dans le camp des inquiets.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de décembre 2021 de L’actualité.
Madame,
Vous concluez votre article en écrivant »Et je reste dans le camp des inquiets » et je vous trouve bien optimiste car le français n’a pas besoin de telle ou telle béquille, il n’a besoin que d’une chose: la volonté et la fierté de vouloir le bien parler et bien l’écrire. Ce que je ne perçois que très rarement chez des gens dont le français est pourtant la langue maternelle, et c’est sans compter ceux et celles qui baragouinent une sorte de français et qui en sont fiers.
Ceci me ramène aux années 60 où cet anglophone de Montréal me dit: tu parles trois langues et qui précise: tu parles français, quebecker et anglais.
Comme dit monsieur Pasquier ci-haut, c’est comme si nous vivions un retour aux années 60 sauf que la situation est différente. En ce temps là, les québécois ¨maganaient¨ leur français par pure ignorance. Aujourd’hui, ils le magane par pur désintérêt pour ne pas dire par mépris . À trop vouloir faciliter son apprentissage, on cherche à modifier la texture du français avec la nouvelle mode du ¨non genré¨ et autres dégénérescences dites ¨inclusives¨ (mais qui ne le sont pas).
L’amour d’une langue, ça s’apprend en la pratiquant et en y mettant l’effort. La preuve, c’est que les jeunes font mille efforts pour apprendre l’anglais avec les chansons, les jeux vidéo, les séries américaines. La question : ¨Pourquoi ne le font-ils pas pour le français ¨ ? Et j’avancerais la réponse: c’est que Les Autorités ont démissionné.
Nous revenons donc à l’époque des ¨québécois porteurs d’eau¨ illettrés, sans passé et sans avenir, ceux que l’écrivain Vallière avait très justement baptisés les ¨Nègres blancs d’Amérique¨.