Il faut avoir été déconnecté depuis les derniers jours pour ne pas avoir vu passer la folie Pokémon Go. Le jeu fait les manchettes — ou suscite le désespoir, c’est selon — à peu près partout, étant donné le nombre d’anecdotes depuis son lancement vendredi.
C’est quoi, au juste? C’est un jeu de réalité augmentée, c’est-à-dire qui se superpose à votre environnement. Sur l’image captée par la caméra de votre téléphone, des personnages Pokémon apparaissent, et vous devez les capturer.
Des Pokémon se retrouvent donc virtuellement partout dans la ville, et les joueurs se promènent le nez dans leur application à essayer de les trouver à l’aide de leur GPS.
Sauf que le jeu est devenu une véritable épidémie. De l’histoire de cette femme qui a trouvé un cadavre en cherchant un Pokémon, jusqu’à la demande pressante du Musée de l’Holocauste de Washington de cesser de chasser des Pokémon en son sein.
Sans compter les histoires de guet-apens pour détrousser des joueurs, ou encore les failles dans la sécurité des données personnelles.
Pokemon GO is just insane right now. This is in Central Park. It’s basically been HQ for Pokemon GO. pic.twitter.com/3v2VfEHzNA
— Jonathan Perez (@IGIhosT) 11 juillet 2016
Mais de façon générale, c’est la sécurité de certains lieux qui pose problème. Même l’Agence métropolitaine de transport a cru bon demander de ne pas partir à la chasse aux Pokémon près des voies ferroviaires.
La fin de semaine dernière, en plein barbecue, j’ai vu un ami sortir dans la ruelle pour aller capturer un Pokémon. Officiellement, le jeu n’est pas offert au Canada, mais dans les faits, quiconque possède un compte iTunes ou Google américain peut le télécharger aisément.
Aux États-Unis, en quelques jours, Pokémon Go a dépassé l’application de rencontres Tinder en nombre de téléchargements. Les joueurs y passent plus de temps que sur Instagram, Snapchat ou Facebook Messenger.
C’est ce qu’on appelle un phénomène. Voilà pourquoi la couverture médiatique du jeu est justifiée.
Et voilà aussi pourquoi Nintendo a engrangé les profits en Bourse, la valeur de son action grimpant de 59 % en quatre jours. D’ailleurs, même si le jeu est gratuit, des extras payants devraient garnir les coffres de l’entreprise nippone.
Mais au-delà des anecdotes, il faut comprendre que les jeux en réalité augmentée vont se multiplier. En fait, il s’agit plutôt d’une technologie dont les applications vont se multiplier.
Lors de ma couverture de l’Electronic Entertainment Expo (E3), le mois dernier à Los Angeles, on évoquait déjà cette rivalité entre les jeux de réalité virtuelle, comme les casques Oculus Rift, et ceux de réalité augmentée, où le jeu se superpose à votre environnement.
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Rivalité, même si les deux peuvent cohabiter. La société Digi-Capital estime d’ailleurs que leur marché grimpera à 120 milliards de dollars d’ici quatre ans.
Le rêve du virtuel est tenace. Quand j’étais adolescent, l’une des premières scènes de la très mauvaise superproduction Le flic du temps (1994) m’avait marqué. Un homme portant un casque de réalité virtuelle se préparait à avoir une relation sexuelle avec une femme nue superposée à son environnement.
Vingt ans plus tard, la pornographie en réalité virtuelle est bien réelle, et le premier festival du genre a dû être annulé pour cause d’affluence record… et par crainte d’émeutes.
La réalité augmentée est pourtant une technologie célébrée. En médecine, c’est une avenue de formation pour simuler des plaies et pratiquer des opérations délicates. En architecture, on pourra vraiment mesurer l’implantation d’un immeuble dans son environnement.
Mais en matière de divertissement, le journaliste politique Ezra Klein, fondateur de Vox, craint que la réalité augmentée nous happe comme une nouvelle drogue.
«Ça se présente comme un jouet, mais ça ne le restera pas. La réalité augmentée deviendra une industrie, une constante, un mécanisme d’adaptation, un mode de vie. Elle va changer la façon dont nous passons notre temps, dont nous cherchons un statut, dont nous interagissons. Elle va changer les comportements que nous considérons comme normaux.»
Fuir la réalité pour s’en inventer une nouvelle? Voilà un potentiel de profit très prometteur…
Tout pour ne plus avoir de vie à soi, et même si on donne le nom de « réalité » à ces duperies, il n’y a rien de plus faux. « Get a life » comme disait le capitaine de Star Treck, ce n’est qu’un jeu. La réalité est beaucoup plus palpitante qu’un écran de 2X2 qui vous coupe du reste du monde. Communications ? une vraie farce…