Pour en finir avec les archaïsmes

Le français du Québec est-il archaïque ? Plutôt de son temps, nous dit notre chroniqueur.

Spicy Truffel / Getty Images / montage : L’actualité

C’est pratiquement un lieu commun de définir le français utilisé en Amérique comme étant « archaïque », mais c’est une étiquette trop souvent réductrice et fausse, pour ne pas dire aliénante. Les principaux dictionnaires français, aussi bien le Robert que le Larousse, évitent depuis longtemps ce terme, pour préférer la désignation « vieilli », par exemple, voire « canadianisme » ou « québécisme » quand l’usage d’un terme est limité géographiquement. Mais voilà, l’étiquette « archaïque » colle au français québécois comme la misère sur le pauvre monde.

Oui, c’est vrai, les Québécois ont maintenu une foule d’usages considérés comme vieillis ou disparus en France — ou plus précisément dans les dictionnaires parisiens. La liste est longue. Voici quelques exemples en vrac :

  • Menterie (mensonge) ;
  • Être après (être en train de) ;
  • S’écarter (s’égarer) ;
  • Dispendieux (cher) ;
  • Peignure (coiffure) ;
  • Rapport à (à cause de) ;
  • Cantatrice (chanteuse d’opéra) ;
  • Couverte (couverture) ;
  • Linge (vêtement).

Je ne parle même pas des jurons religieux, qui ont disparu du vocabulaire en France à la faveur de la Révolution. Et que dire des vestiges de l’ancien système de poids et mesures, où les « livres » côtoient les « pieds » et les « verges » ?

Certains usages québécois sont l’expression de régionalismes anciens très marqués en France. De la Normandie, « carreauté » ; de l’Ouest, « jouquer » (jucher) ou « bardasser » ; du Sud, « trempe » ou « déparler » ; de l’Est, « zigonner ».

Dans la plupart des cas, ces exemples concernent le vernaculaire, c’est-à-dire la langue parlée, ou le français populaire — et beaucoup moins l’écrit.

Les innovations québécoises

Or, à trop mettre l’accent sur cet aspect « conservateur » du français québécois, on en oublie souvent que celui-ci ne se réduit pas au parler des aïeux. Le français du Québec est très innovateur tant en ce qui concerne la création de mots que celle de sens nouveaux, et n’est donc absolument pas archaïque.

C’est ce qui m’a frappé à la lecture du Dictionnaire historique du français québécois (DHFQ), dont j’ai parlé dans ma précédente chronique, mais aussi en lisant Le français au Québec et en Amérique du Nord (Éditions Ophrys, 2022), de France Martineau, Wim Remysen et André Thibault, qui le décrit par le menu.

Les innovations remontent à loin. Ce dernier ouvrage, par exemple, cite un missionnaire jésuite du XVIIIe siècle qui s’étonnait du mot « gratte », comme dans « passer la gratte », qui traduisait bien une réalité locale (la neige abondante) ; tout comme « poudrerie » ou plus récemment « sloche ». Forcément, nous avons créé des gradations qui nous sont propres, comme « frette », au sens de « plus froid que “froid” ». Et de nombreux vieux termes de marine — barque, caler, gréer, prélart, vadrouille, virer — ont connu une « explosion sémantique », ce qui signifie que leurs sens et leur usage se sont multipliés sur le Nouveau Continent. Au Québec, tout le monde (ou presque) « embarque » dans son auto et en « débarque », ce qui semble étrange aux oreilles des Français.

En fait, les innovations et les originalités québécoises se comptent par centaines et ne se réduisent pas au climat et aux particularismes de la faune et de la flore, ou encore aux technologies anciennes de la marine à voile ou de l’agriculture sous le Régime français. Le français au Québec et en Amérique du Nord ne consacre que 4 pages à la partie « héritage » du français d’ici, mais 20 aux innovations en tout genre.

Certes, les terminologues professionnels ont accouché de centaines de termes techniques, de « aluminerie » à « wok » en passant par « avionnerie », « baladodiffusion », « clavardage », « courriel », « égoportrait » et « motomarine ».

Mais le génie populaire en produit tout autant, par différents procédés stylistiques et rhétoriques. Robert Vézina, directeur du DHFQ, me cite le mot « beigne », qui a pris au Québec un sens très distinct (une pâtisserie) de celui en France (une taloche). Et par effet de métaphore ou d’analogie, il s’en rajoute constamment, comme l’« effet trou de beigne » (exode vers la banlieue), « avoir un beigne » autour de la taille (un bourrelet) ou dans le visage (coupe de barbe), ou encore « faire des beignes » (des traces de pneus) sur l’asphalte.

« Champlure » au sens de robinet n’est plus très usuel à Paris, même si le mot est parfaitement compris ici. On lui a toutefois donné un sens beaucoup plus moderne : « ouvrir la champlure », cela veut dire que l’on dépense sans compter.

Évidemment, une part des innovations proviennent des anglicismes, dont certains sont anciens, comme « drave » (flottage du bois), du verbe « to drive », alors que d’autres sont bien contemporains, comme « fun » ou le verbe « zipper » — lesquels ne sont d’ailleurs pas exclusifs au français québécois.

Bref, le français au Québec évolue par son génie propre, l’imaginaire de ses locuteurs, leurs erreurs, leur culture. Cela donne des mots comme « postréférendaire », « cégep », « péquiste » ou « magasinage », dont certains sont à consommation strictement locale, tandis que d’autres voyagent au point d’être compris ailleurs, voire repris, comme « motoneige », par exemple, ou « courriel ».

Les valeurs jouent un rôle considérable dans ces évolutions : dès la fin des années 1970, le Québec a féminisé plus de 5 000 titres et fonctions à l’instigation de Lise Payette, alors ministre de la Condition féminine, qui refusait d’être « madame le ministre ». Cela fait donc plus de 40 ans qu’au Québec et plus largement au Canada, madame l’ambassadrice, madame l’ingénieure ou madame la capitaine sont les personnes en titre et non pas les conjointes de ces messieurs.

Les Français s’en sont moqués un petit moment. Mais les Belges puis les Suisses ont adopté le système québécois en l’adaptant à leur réalité (une mairesse belge est une « bourgmestre » et une secouriste suisse est une « samaritaine »). L’Académie française a finalement baissé pavillon en 2019 : les Français et leurs académiciens ne rient plus.

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J’aime beaucoup parler un ancien français qui convient à notre Québec que d’emprunter à l’anglais. J’aime faire du magasinage mais pas du shopping. Pour nous une shop est un atelier.

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Pour un bon usage du français parlé au Québec, visité le site Usito.com que Monsieur Nadeau me semble pas connaitre alors que ce dictionnaire est utilisé dans toutes les écoles du Québec.

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Madame, je connais parfaitement USITO, j’en parle même souvent. J’ai été un des premiers journalistes à faire du reportage sur eux, même du temps où ils s’appelaient le Franqus, c’est vous dire.
Bien à vous,
JBN