Pendant sa carrière de journaliste à L’actualité et à l’émission Enquête à Radio-Canada, Luc Chartrand n’a jamais été du genre à donner des passe-droits à quiconque. Même pas aux chasseurs, confrérie (et de plus en plus sororité aussi) dont il fait lui-même partie. Certains de ses reportages dans les contrées sillonnées par ses pairs, à Parent, en Haute-Mauricie, en 1990 ou en Gaspésie plus récemment, avaient provoqué la colère de bien des disciples de Nemrod, ce chasseur mythique de la Genèse pour qui la liberté n’était pas négociable.
Il ne tire donc pas à l’aveugle quand il consacre de nombreuses pages de La grande expérience de la chasse (Québec Amérique), son mi-essai, mi-reportage paru en mai, aux débats qui ont cours à ce propos. Cette activité qui remonte aux aurores de l’humanité est-elle légitime, voire morale au XXIe siècle ? Toutefois, ce sont surtout les chasseurs qui discutent dans ce bouquin : la chasse à l’affût avec appâtage est-elle encore de la chasse ? À qui appartiennent les territoires ? À quoi rime la course aux trophées, ces animaux n’étant abattus que pour leurs attributs ? Comment honorer le gibier ? L’auteur décortique cette dernière question, plus spirituelle, notamment avec une jeune Huronne-Wendate.
« J’avais conscience que je pouvais intéresser les non-chasseurs, qui cherchent à comprendre ce qui se passe dans la tête de leur époux, ami, collègue ou voisin chasseur, dit Luc Chartrand. Mais je voulais surtout écrire aux chasseurs, pour qu’ils trouvent des éléments de compréhension de ce qu’ils font et de pourquoi ils le font. »
À une époque où le sort éthique réservé aux animaux préoccupe bien des gens — pensons aux cerfs de Longueuil —, Luc Chartrand se défend de tenter de rendre socialement acceptable une activité qui, aux yeux de certains, constitue pour l’humain le lien absolu avec l’environnement — « une pause de l’humanité », lance-t-il, paraphrasant le philosophe José Ortega y Gasset, auteur en 1942 d’un célèbre traité sur la chasse… bien que n’étant pas chasseur lui-même.
« Voir des animaux en randonnée est une chose ; les comprendre pour être en mesure de les traquer, c’est à un autre niveau. Tu n’es plus un spectateur de la nature, mais un acteur. »
Le portrait du chasseur de 2022 que brosse le journaliste et écrivain est loin de l’image qu’avait laissée le cinéaste Pierre Perrault en 1982 avec son documentaire La bête lumineuse, chronique de la saison de la chasse à l’orignal d’un groupe d’hommes marquée par de la violence, de l’intimidation, des beuveries et de la vomissure. Ça avait fait scandale à l’époque parmi les chasseurs, qui soutenaient que le tableau n’était pas représentatif. « Les chasseurs actuels sont le reflet de leur société, dit Luc Chartrand. Je rencontre des ouvriers, des chefs d’entreprise, des professionnels, des retraités, des étudiants… » De plus en plus de chasseuses aussi : environ 30 % des nouveaux certificats du chasseur délivrés en 2019 par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs étaient destinés à des femmes.
Les récits que l’auteur tire de ses conversations avec des chasseurs — des amis, des quidams des campagnes, de jeunes urbains, des Autochtones, des vedettes du milieu et des guides légendaires — présentent des dimensions de l’activité inconnues du profane. Ça jase d’environnement, de protection des territoires, de gastronomie (beaucoup même), mais également de démarches philosophiques, voire spirituelles.
Luc Chartrand souligne aussi l’arrivée d’une génération spontanée de chasseurs, pour qui le goût de la vie sauvage n’est pas venu par une tradition familiale, comme ç’a été le cas pour lui. « On voit débarquer une jeunesse urbaine, mue par des valeurs écologiques entourant l’alimentation bio et locale, avec des idéaux éthiques, qui cherche à réduire sa consommation de viande d’élevage. La chasse donne une bonne option à ces jeunes. » D’ailleurs, les dimanches matin, plusieurs chaînes télé sont peuplées de ces chasseurs nouveau genre (Hooké à la chasse sur TV5 et Unis TV, Québec à vol d’oiseau et Chassomaniak sur TVA Sports, pour ne nommer que ces émissions) pour qui l’art de vivre lié au bois prend le dessus sur la récolte de gibier.
L’auteur rejoint l’historien Yuval Noah Harari, qui, dans son bouquin Sapiens paru en 2011, fait valoir que les humains ont conclu le plus mauvais marché de l’histoire lorsqu’ils ont sacrifié leur liberté pour plus de sécurité en troquant la chasse contre l’élevage.
« J’ai de l’admiration pour les animaux sauvages, pour la liberté dont ils jouissent. Et quand tu chasses, tu participes à cette liberté. C’est le canal privilégié pour se mettre dans la tête de bêtes libres, pour être empathique envers elles et comprendre l’environnement par leur intermédiaire. » Ce qui en fait, jure Luc Chartrand, une démarche exigeante. « Voir des animaux en randonnée est une chose ; les comprendre pour être en mesure de les traquer, c’est à un autre niveau. Tu n’es plus un spectateur de la nature, mais un acteur. »
L’éthique fait intrinsèquement partie de la chasse, avance-t-il du coup : éviter la souffrance, donner une chance au gibier, honnir le gaspillage, préserver la nature et les écosystèmes, assurer la santé des populations chassées et d’autres espèces dont la survie y est liée. Les lois qui encadrent la chasse sont strictes, même si certaines règles morbides ont suscité plus d’incompréhension que d’adhésion par le passé. Comme l’époque sanglante des têtes d’orignal sur les capots, qui a dégoûté nombre de citoyens. « Il s’agissait d’une obligation légale ! Les autorités voulaient combattre le braconnage avec cette pratique en s’assurant que ce qui était chassé était vu. » Ce règlement n’existe plus.
Si les manifestations contre la chasse sont plutôt rares au Québec, elles sont légion en France. Aux États-Unis et au Canada anglais, les associations de défense des droits des animaux sont plus bruyantes. « Le clivage entre les chasseurs et les antichasses s’agrandit, même au Québec, avec la montée des mouvements animaliste et végane. Je n’ai pas de problème avec ceux qui n’aiment pas la chasse. Mais si ça se transforme en prosélytisme, c’est autre chose. »
Luc Chartrand portait pour l’entrevue une chemise à carreaux vert forêt de circonstance. Déboutonnée, elle laissait apparaître un t-shirt arborant les différentes pièces de boucherie non pas d’un bœuf, comme les images qu’on voit souvent chez le boucher, mais d’un orignal. Deux bêtes aux dimensions semblables, mais aux destins aux antipodes. « Le taux de succès d’une virée à l’épicerie pour obtenir de la protéine animale frise les 100 % », fait-il remarquer, tandis que les chances de revenir d’une partie de chasse à l’orignal avec une prise avoisinent plutôt les 10 %, selon les statistiques fournies annuellement par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
C’est d’ailleurs l’un des aspects qui ressortent de son essai : en 2022, la mise à mort n’est pas essentielle pour que la chasse soit réussie. « Un voyage de chasse qui n’a pas abouti reste une aventure extraordinaire. Mais ramener du gibier est la motivation qui guide toute la démarche. Elle constitue l’expérience de la chasse. »
Est-il un bon chasseur ? « Je suis très moyen. » Et comment se sent-on quand on tue une bête ? « Croire que les chasseurs en tirent un plaisir est une fausse interprétation », répond Luc Chartrand. Un mélange complexe d’émotions émerge après le coup fatal, ajoute-t-il, d’abord le sentiment d’un grand drame. « Puis il y a la satisfaction de l’accomplissement. Parce que ça exige de gros efforts, une longue et difficile quête. »
Dans son livre, son ami Marleu Vincent écrit : « C’est une question morale que tous les chasseurs doivent affronter. Tuer un animal, c’est un geste conséquent, mais c’est la loi de la nature. Tu l’assumes. » Ainsi, si l’homme peut être un loup pour l’homme, il peut l’être aussi pour l’orignal ou le cerf.
Cet article a été publié dans le numéro de septembre 2022 de L’actualité, sous le titre « Chasser le naturel ».
Très bien écrit, sensible aussi > Se défendre lors de l’attaque d’un animal, oui > Lui ôter la vie, non > De quel droit le faire ? > Sinon pour satisfaire un besoin sadique de cruauté qui réside en nous, depuis le début des temps ? > Il suffit de voir l’e regard de l’animal blessé – certains pleurer même – et qui sait qu’il va trépasser, pour comprendre que c’est un acte lâche > Tous les arguments exposés ci-avant sont une tricherie, un leurre pour apaiser une conscience, en fait cacher de bas instincts, cruels, primaires > Certains créent, sauvent, construisent pour améliorer l’état du monde, d’autres détruisent, tuent > Deux mondes s’affrontent, : celui de demain, celui du passé > C’est écoeurant ..
Ce commentaire à l’instar de celui de Patrick Daganaud illustre bien le fossé qui existe entre la théorie et la pratique. Offrir des fusils aux animaux ? Ils n’en ont pas besoin car ils sont d’abord très bien équipés pour fuir et éviter le chasseur d’une part et d’autre part, le chasseur assume lui aussi le risque, surtout dans certains milieux comme ceux où règne l’ours brun ou noir qui peut facilement tuer un homme d’un coup de patte et qui est peu vulnérable face aux armes de chasse ordinaires.
Ceci dit, «le besoin sadique de cruauté qui réside en nous» est vraiment un chef d’œuvre de manipulation car l’homme a toujours eu besoin de manger et la chasse a été pendant des millénaires le seul moyen de survivre; ce fut encore le cas chez les Inuits jusqu’au milieu du siècle dernier. Le chasseur, contrairement au commun des mortels qui achète sa viande à l’épicerie et qui n’est pas impliqué dans la mise à mort ni l’équarrissage, est loin d’être un lâche car lui au moins prend tous les risques associés à la chasse en plus des difficultés énormes quand vient le temps de transporter l’animal abattu et l’équarrir. Je connais plusieurs chasseurs et aucun d’entre eux ne chasse le trophée mais ça fait partie du rituel qui nous fournit la nourriture la plus saine qui soit. En fait, je suis contre la chasse pour le trophée que je trouve dégoûtante, comme la chasse à l’éléphant et autres animaux qu’on ne mange pas et on devrait l’interdire.
Les rares fois où on abat un animal, c’est vrai qu’on doit faire face au regard d’un animal blessé quand le coup n’est pas fatal et qu’il faille l’achever pour que se termine ses souffrances mais c’est loin d’être lâche – c’est un des actes les plus difficiles dans une vie et ça laisse des traces. Il faut être vraiment déconnecté de la nature et de l’environnement pour accuser les chasseurs de lâches, d’avoir de bas instincts et d’être cruels car la chasse est probablement la plus étroite connexion qu’un humain peut avoir avec la nature et son environnement.
Les uns tuent par personnes interposées et n’assument pas leurs choix quand ils achètent de la viande, les autres retroussent leurs manches, investissent temps et argent pour se rendre dans des lieux éloignés et doivent se soumettre aux diktats de la nature s’ils veulent espérer le moindre succès à la chasse car, contrairement au bœuf qu’on élève et abat sans arrière-pensée, l’animal sauvage est dans son milieu, il connaît son environnement et ses sens sont mille fois supérieurs à ceux des humains qui se retrouvent dans un milieu qu’ils comprennent souvent bien mal.
Oui, j’ai chassé pendant plusieurs années et ça me fendait le cœur d’abattre un animal mais en retour cette nourriture était sans pareil, saine et savoureuse. Mais, avec l’âge c’est devenu trop difficile pour moi et je fais comme tous les urbains, je vais à l’épicerie pour acheter une nourriture dont je ne connais pas grand chose. Toutefois, si je ne chasse pas, je retourne quand même dans la nature car pour moi c’est essentiel en tant que terrien.
Il y a un peu d’hypocrisie dans la façon de penser, quand on va à l’épicerie acheter une pièce de viande qui provient d’un animal qui n’a jamais connu la liberté et de chasser un animal qui a développé un sens de protection contre les prédateurs et vie en totale liberté . C’est un gros défi pour le chasseur de réussir à le déjouer sur son terrain. Après plus de 60 ans de chasse, je suis revenu souvent sans gibier, mais tellement heureux de mon séjour en forêt, une belle façon de se ressourcer de la vie quotidienne.
Bravo pour votre article qui ose dire les vraies choses et qui fait fi de l’hypocrite bien-pensance actuelle. Pour les intellos qui ne quittent jamais le Plateau , la forêt est une fiction de l’esprit. Ils peuvent bien se revendiquer défenseurs de l’environnement mais leur discours demeure théorique et souvent déconnecté de la réalité. C’est encore plus vrai des végétaliens.
D’accord pour concéder à la chasse une légitimité de l’ordre de la communion meurtrière avec la nature….
Alors, de grâce, que l’on offre des fusils aux animaux traqués!
Pour les cœurs sensibles, il s’est tué presque autant d’humains aux USA en 2019 (19,350 âmes) que d’orignaux au Québec en 2021 (25,000 bêtes) sur 180,000 permis. Si en plus il fallait donner des armes aux animaux, le coût des cours de tir seraient inimaginables(ça c’est un sarcasme pour ceux qui ne comprennent pas le 2e degré, car il y en a). C’est un pensez-y bien.
La chasse? Non si ce n’est que pour le trophée, oui si la viande est consommée et si la peau de l’animal est valorisée de même que tout autres restes de l’animal. Quant au trophées, bof…
La chasse criminelle (ou le braconnage), quant à elle, devrait continuer d’être punie sévèrement comme elle l’est actuellement et peut-être même de manière encore plus coercitive.
Bon… on va remettre quelques pendules à l’heure pour répondre aux arguments mentionnés et biaisés précédemment! Commençons par l’article lui-même: l’auteur parle de valeurs éthiques et écologiques. Si on veut être éthique… laissons vivre les animaux! L’humain tient à sa vie; l’animal aussi. De plus, la science nous apprend continuellement de nouvelles découvertes sur la complexité du cerveau animal et de ses capacités sensorielles. L’humain n’a plus besoin de tuer pour se nourrir. Le régime végétalien est supérieur pour la santé; c’est maintenant reconnu (ex: Un Coeur Pour La Vie, auteur: Dr. Martin Juneau, cardiologue clinicien, chercheur et directeur du Centre ÉPIC de l’institut de Cardiologie de Montréal). Si on regarde d’un point de vue écologique, la viande est la « pire » cause du réchauffement climatique mais là, je fais référence à l’élevage. Alors aussi bien de faire la transition dans le végétal de toute façon parce que le chasseur ne mange pas seulement que la viande de gibier… mais d’élevage aussi.
Dans les commentaires des lecteurs… dire que les animaux sont bien équipés pour fuir, il n’y a rien de plus faux! Le chasseur est vraiment équipé!… 4 roues, caméra infra-rouge, saline, cache, vêtement de camouflage, sans compter ceux qui les nourrissent toute la saison… Oui, je sais, tous les chasseurs ne vont pas jusque là mais ne venez pas me dire que c’est égal à égal…
Ceux qui pensent que les végétaliens ou résidents urbains sont déconnectés de la réalité… on repassera pour les commentaires gratuits! J’ai un chalet en plein bois, je suis « végétalienne » et justement pour avoir connu la chasse dans mon enfance, je suis capable de dire les vraies choses… que c’est cruel, alors imaginez l’arbalète?!! Ça devrait être tout simplement interdit.
Ensuite, il y a le commentaire d’un certain C. d’Anjou qui fait référence à une compréhension au 2eme degré… C’est parce qu’il n’y a pas de 2eme, ni de 3eme degré… Commentaire complètement inutile… on n’a jamais parlé d’humains tués, c’est une comparaison hors contexte. J’ajouterais aussi que l’utilisation du mot « âme » pour désigner les humains et « bête » pour les orignaux, dénote un sens marqué de la domination de l’humain dont il fait trop souvent preuve… Qui a prouvé que les « êtres non-humains » n’avaient pas d’âme ?!!
« J’ai de l’admiration pour les animaux sauvages, pour la liberté dont ils jouissent. Et quand tu chasses, tu participes à cette liberté. »
Oh boy ! Si les animaux sauvages avaient les mêmes droits que les humains, je serais curieux de voir la face du juge à qui l’avocat de la défense présenterait un tel argument dans un procès pour meurtre.