Pour plus de bonté sur les réseaux sociaux

Le grand défouloir que sont ces plateformes nous permet de nous exprimer librement, de récolter des appuis et une petite dose de dopamine. Mais comme elles ne se dépêchent pas trop de combattre l’indignité, autant commencer par soi-même.

Photo : Daphné Caron

Ça fait un moment que la violence de nos débats en ligne m’obsède. Mais depuis le début de la pandémie, le phénomène a pris une ampleur ahurissante. Ma vie sur Internet consiste donc principalement à observer le tissu social s’y déliter, en grinçant des dents.

On connaît le phénomène : le grand défouloir que sont les réseaux sociaux nous permet de nous exprimer librement, de récolter des appuis et une petite dose de dopamine. Ces plateformes ont été conçues pour nous rendre accros.

Je suis d’ailleurs convaincu que la violence des rapports humains qui y sévit sera un jour considérée avec la même aversion que celle provoquée par la cigarette. Comme une dépendance qui ne sert qu’à tromper l’ennui et à nous donner une raison d’être en nous permettant de rejoindre une meute.

Il faut donc traiter ce poison comme les autres : un problème de santé publique. Un enjeu de santé démocratique aussi, vu la prolifération de « faits alternatifs ».

Mais comme les plateformes sociales ne se dépêchent pas trop de combattre l’indignité, autant faire comme avec l’environnement : commencer par soi-même. Par de petits gestes.

En premier lieu, je me suis libéré de la dépendance à la foire d’empoigne, à la publication de mèmes sarcastiques, aux traits d’esprit acerbes envers des gens que je considère comme des idiots finis. C’est loin d’être facile. Il y a quelque chose de particulièrement grisant dans la possibilité d’injurier son prochain. Puis de recueillir des appuis, de démolir les répliques de ses opposants. On guette la notification de réponse comme l’heure de la pause-cigarette.

Dans The Craving Mind, le psychiatre américain Judson Brewer propose d’ailleurs l’idée que la plupart des dépendances (c’est sa spécialité) relèvent d’une faim, d’un désir de quelque chose, et que l’une des plus efficaces manières de l’assouvir est la pleine conscience.

En gros, il s’agit de prendre acte de notre envie (de fumer ou de pondre un message imbibé de sarcasme sur Twitter), d’accueillir ce désir et d’observer sans jugement le sentiment qui nous y pousse, jusqu’à ce que l’envie nous quitte.

Je me surprends, depuis quelques mois, à effacer des messages avant même d’avoir fini de les écrire. Un petit statut baveux mais plein d’esprit sur Twitter. Une réplique sous une publication Facebook. Un GIF caustique. Puis j’interromps mon geste et me demande : « Pourquoi je fais ça ? » Chaque fois, sauf en de très rares occasions, je sélectionne le texte et l’envoie de l’autre côté du Styx numérique.

J’ai beau capoter ma vie quand un manifestant anti-passeport vaccinal publie une photo de l’étoile de David ou quand un militant quelconque réclame l’« annulation » d’une personne, je sais que l’absolutisme qui habite ces gens ne permet aucune réplique recevable. Réagir à ça, c’est comme se promener dans la rue en cherchant la bagarre.

Mon autre problème vient du mépris. Le mien. Je conserve bien au chaud celui voué aux profiteurs de la polarisation qui sévissent dans les médias ou en politique. Mais j’ai de plus en plus de difficulté à passer mes journées à décréter que « les gens sont des imbéciles » en les voyant faire et dire toutes sortes de conneries en ligne. Qui suis-je pour lancer l’anathème à tout vent ?

« Nous, les humains, sommes des machines pensantes très évoluées, superbement équipées et en même temps totalement défectueuses », exposait l’auteur américain George Saunders au micro du journaliste Ezra Klein l’an dernier. Méconnu ici, il a écrit quantité de nouvelles et remporté le Man Booker Prize avec son premier roman. Ses propos sont empreints de sagesse.

L’idée de Saunders, dont les récits témoignent d’une profonde compréhension des mécanismes humains, c’est que, bien que nous soyons une coche au-dessus des autres espèces, grâce à notre intelligence et à nos sens très développés, d’immenses pans de la réalité nous échappent encore. L’information dont nous disposons est presque toujours biaisée. « La moindre des choses, poursuit-il, c’est qu’en rencontrant une autre machine défectueuse comme soi, on fasse preuve d’humilité. » Parce que nous aussi, nous sommes criblés de défauts, de biais. Nous sommes hypocrites et faisons toutes sortes de contorsions intellectuelles et morales.

La seule réaction qui ne soit pas totalement déconnectée dans ces circonstances, croit Saunders, est la gentillesse, la bienveillance. La bonté.

Vous riez ? Pas moi. Non seulement je suis convaincu qu’on affirmera un jour que la perfidie qu’on cultive sur les réseaux sociaux est une drogue nocive, mais j’ai aussi la conviction qu’on analysera l’époque en se disant que témoigner de la bonté aura été l’un des gestes les plus subversifs de notre temps.

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Ah, ce que vous dites vrai et profond, tout à la fois, en vos tout derniers mots ! :
« la bienveillance. La bonté.
Vous riez ? Pas moi. Non seulement je suis convaincu qu’on affirmera un jour que la perfidie qu’on cultive sur les réseaux sociaux est une drogue nocive, mais j’ai aussi la conviction qu’on analysera l’époque en se disant que témoigner de la bonté aura été l’un des gestes les plus subversifs de notre temps. »

L’an passé, en effet, une Mélissa Généreux — (portant bien son nom) — sera venue dire à TLMEP que LA Chose à oser daigner faire preuve (de) et à manifester, plus que jamais, plus que quoi que ce soit d’autre et à l’égard de qui que ce soit (presque); bien, ce serait « de la bienveillance » [sic].

Côté bonté maintenant, l’une des personnes les plus géniales à avoir existé en ce monde humain terrestre qu’est le nôtre, Beethoven, a dit que « la bonté est la seule marque (possible) de supériorité de l’être humain »…

Alors, comme vous voyez, vous pourriez avoir visé et frappé dans le mille.

On peut toujours rêver…

La méchanceté a existé de tout temps : elle n’était limitée que par l’impossibilité de l’exprimer à grande échelle. Les potins malveillants entre les voisins ou sur le parvis de l’église, des dénonciations anonymes des écarts réels ou imaginés aux codes moraux, religieux ou politiques de la société, rien de nouveau sous le soleil.
Les médias sociaux (ou plutôt asociaux) ont permis d’étendre la portée de la méchanceté, d’autant plus que tout se fait sous le couvert de l’anonymat.

Les gens raisonnables que je connais se tiennent loin des médias sociaux. Peut-être faudrait-il que justement les gens de bonne volonté y participent pour y imprimer un peu de bonté. Mais c’est beaucoup demander aux gens bienveillants de planter quelques roses dans un grand terrain envahi par les ronces.

Les réseaux sociaux rassemblent une masse dispersée, 1er stade de développement de l’évolution des groupes. On l’observe, la masse dispersée réagit de façon animale (mordre ou jeter son venin), peu intelligente (impulsivité, instinct de tueur) propageant des relations gagnantes-perdantes.
Aux suggestions de l’auteur, j’ajouterais le développement de ses habiletés sociales: réflexion, sens critique, tourner sa langue 7 x 77 fois avant de parler, recul stratégique, prendre le temps, étudier, se connaître, s’aimer soi-même d’abord et exercer son pouvoir de choix: participer ou éviter de propager les virus sociaux, de faire de l’euthanasie sociale, etc.

Intéressant. Moi aussi je m’interroge beaucoup en ce moment sur mon rapport aux réseaux sociaux. J’essaie de me tenir loin des polémiques. D’autant, comme le dit fort bien David Desjardins, que réagir à des propos absolutistes, «c’est comme se promener dans la rue en cherchant la bagarre». J’ai beau être plus doué pour les joutes verbales que pour les coups de poing, il reste préférable d’éviter tout genre de querelle. Et s’il m’arrive encore de me lancer dans la défense de mes convictions, j’essaie de le faire sans me montrer cinglant et insolent. Mais ce n’est pas facile, car je suis d’un naturel, car je suis d’un naturel moqueur, voire sarcastique. C’est pourquoi j’ai abandonné presque complètement Twitter et je m’aventure avec parcimonie et prudence dans Facebook.

J’adore. La bonté. 🙂
Comprendre cet engrenage dans lequel nous nous sommes tous faits prendre et faire preuve de bienveillance pour l’être humain confus que nous sommes devenus.