«Pourquoi j’ai fondé L’actualité»

«L’actualité est un magazine très spécialisé: il est spécialisé en vulgarisation», dit Jean Paré, son premier rédacteur en chef. Retour sur la genèse du seul grand magazine d’affaires publiques au Québec.

(Photo: Jacques Nadeau)
Photo: Jacques Nadeau

Dans les années 1980, Jean Paré avait répondu ceci à un éditeur rival, qui lui prédisait la mort imminente des magazines généralistes, comme L’actualité. «Je lui ai dit: “Tu te trompes. L’actualité est le plus spécialisé des magazines. Il est spécialisé en vulgarisation”», raconte Paré, qui a tenu la barre de la publication pendant un quart de siècle, de sa fondation, en 1976, à l’an 2000.

Raconter le Québec «qui bouge», donner la parole à ceux qui le critiquent mais aussi, et surtout, à ceux qui le bâtissent, le façonnent, avec objectivité, sans tabou ni complexe. Voilà l’ambitieuse mission que s’étaient donnée Jean Paré et son éditeur de l’époque, Lloyd M. Hodgkinson, en lançant ce magazine, quelques années plus tôt, en 1976. Jean Paré, ancien journaliste et animateur de Radio-Canada, avait alors tout juste 40 ans. Il en a aujourd’hui le double, mais il n’a rien perdu de sa verve.

Pourquoi, en 1976, avez-vous senti le besoin de lancer un nouveau magazine?

J’étais devenu rédacteur en chef du magazine Le Maclean l’année d’avant. Ce mensuel allait bien sur le plan du contenu. Au cours des 15 années précédentes, il avait été un miroir de la Révolution tranquille au Québec. Mais il avait de très graves problèmes financiers. Ça ne pouvait pas continuer. Mon patron et moi, on a décidé de repartir à peu près à zéro. Nouveau personnel, nouveaux collaborateurs, nouveau nom. On a acheté un petit magazine fondé par un groupe catholique, Actualité. Et on a décidé de lancer L’actualité. On a commencé par un tirage de 240 000 exemplaires, près du double du Maclean. Ça a été un succès instantané.

Jean Paré citation lecteursÀ quoi l’attribuez-vous?

Le Québec avait historiquement toujours été un bon marché pour les magazines. Dans les années 1940, plusieurs avaient des tirages importants. Le Samedi Hebdo, par exemple, imprimait 130 000 exemplaires pour une population d’à peine 3,5 millions d’habitants. Tout ça avait été assassiné par l’arrivée en force de la télé, au Canada français comme anglais. Dans les années 1960, des gens ont créé des magazines pour combler le vide, mais ils n’ont jamais réussi à faire leurs frais. En 1976, les choses avaient changé. La télé ne jouait plus son rôle culturel. C’était devenu un grand média de divertissement, sous l’influence de la télé privée. Les boomers n’étaient plus à l’école, ils arrivaient dans la vie, ils voulaient de l’emploi. Ce n’étaient pas des fatalistes comme leurs parents, nés dans la grande crise économique, ce n’étaient pas des gens résignés. C’étaient des ambitieux. Le Québec était rendu ailleurs. L’actualité est arrivé au bon moment, au service d’une population complètement différente de celle des années 1950 et 1960.

Quelle était sa mission?

Avant de lancer L’actualité, j’ai lu, d’un bout à l’autre, la collection des 15 ans du Maclean. Pendant une bonne partie de son existence, ce magazine a dressé l’inventaire du retard colossal que le Québec avait pris sous plusieurs aspects. L’économie allait assez bien, les salaires augmentaient, mais qu’est-ce qu’on faisait? On coupait du bois, on creusait des mines. Et le niveau d’éducation moyen des Québécois, c’était une 7e année. L’actualité arrivait à un autre moment. Dès la première année, on s’est donné comme mission de se mettre à la recherche des gens qui créaient, qui inventaient, qui étaient prometteurs. On faisait la tournée des gens qui avaient des solutions, pas des problèmes. C’était le jeune Québec qui allait de l’avant. C’était la grande différence non seulement entre le magazine Maclean et L’actualité, mais aussi entre le Québec des années 1960 et celui de 1976.

Notre mission première était de dire aux Québécois: voici où le monde s’en va. Non pas couvrir ce qui s’était passé la veille, mais voir plus longtemps en avance. Certains appellent ça de la futurologie, de la perspective, mais les prophéties, ça ne fonctionne pas. Je pourrais faire un article humoristique sur tous les grands savants qui ont annoncé des choses impossibles. Les journalistes voient beaucoup mieux, parce qu’ils vont interviewer les gens dans la vraie vie, non pas les chaires de réflexion. Le Québec a essayé pendant une certaine période de voir loin en avant. Maintenant, il a le nez collé sur le parebrise à regarder ses essuie-glaces. Il est temps d’ouvrir les phares un peu. Avec L’actualité, c’est ce qu’on a essayé de faire: être un phare pour éclairer dans la distance.

Un chroniqueur a déjà écrit que L’actualité était la Suisse des médias. Êtes-vous d’accord?

L’actualité n’est pas neutre comme la Suisse, mais il est vrai que le magazine a toujours été non partisan. Depuis le tout premier numéro, il est ouvert à n’importe qui, dans la société, à condition d’avoir quelque chose d’important à dire et de le dire bien. Les lecteurs ont le droit de ne pas s’ennuyer! En politique, on a ouvert nos pages autant à René Lévesque et Gérald Godin qu’à Pierre Trudeau et Robert Bourassa. On a publié un texte dévastateur de Pierre Trudeau sur l’accord du lac Meech [à propos d’un projet de réforme de la Constitution pour intégrer le Québec]. Plus tard, à la veille du référendum sur l’accord de Charlottetown, Jean-François Lisée a révélé dans nos pages toutes les conversations secrètes des fonctionnaires du Québec qui s’opposaient à l’accord.Jean Paré citation médias

On est en démocratie. Ça veut dire quoi? Aucun sujet n’est trop difficile pour les lecteurs. Certains sont seulement parfois mal expliqués. La vulgarisation est essentielle. L’actualité est un magazine très spécialisé: il est spécialisé en vulgarisation! L’actualité était, et est encore, spécialisé dans la façon de dire, d’expliquer, de faire connaître tout ce qu’un électeur doit savoir pour jouer son rôle démocratique. Ça veut dire qu’il faut être ouvert à toutes les idées.

Le monde des médias subit des bouleversements majeurs. La presse écrite a-t-elle encore un avenir, selon vous?

Si vous regardiez à quoi ressemblaient les journaux en 1825, vous verriez que le bouleversement est une condi­tion constante de la vie des médias! Les médias vivent sur une faille entre deux plaques tectoniques. Ils sont touchés par les crises politiques et économiques, les catastrophes majeures, les changements technolo­giques. Depuis 25 ans, les grands changements sont d’ailleurs surtout technologiques. La mutation de la pub en ligne prive les médias d’une partie des ressources qui les font vivre, mais l’industrie de la pub elle-même a aussi changé. On dépense beaucoup plus d’argent en marketing direct, en magasin, auprès des gens. Si L’actualité est encore là alors que d’autres ont disparu, c’est grâce aux lecteurs. Ce sont eux, les vrais propriétaires d’une publication. Si ces lecteurs «propriétaires» acceptent de payer pour accéder au contenu, ces médias ont de l’avenir. Si les vrais propriétaires sont les publicitaires, ces médias auront de l’avenir tant que ces publicitaires n’auront pas été se promener ailleurs à la recherche d’un nouveau gadget.

Restez-vous optimiste?

Oui. Ça fait 5 000 ans que les humains écrivent. On a gravé la pierre, écrit sur les murs des cavernes, sur du papyrus, du vélin, du papier. Ce n’est pas parce que les supports changent que l’écriture est moins importante. La démocratie est née avec l’écriture, puis les médias écrits. Elle a survécu grâce aux périodiques d’information. Si ces médias devaient disparaître, la démocratie n’y survivrait pas. Mais je reste optimiste surtout pour une raison. Il y a 50 ans, le niveau moyen d’éducation était une 7e année. Aujourd’hui, la population est beaucoup plus éduquée, exigeante. Ça me donne confiance.

Jean Paré filet

Jean Paré sur…

«Faire de la télé avec des mots»

J’ai souvent dit qu’à L’actualité, on fait de la télé avec des mots. On écrit avec ses cinq sens. Il faut écouter, voir, sentir les gens qu’on interviewe. Être aussi efficace qu’une caméra, sinon plus: une caméra ne peut pas faire ce qu’un reporter peut faire avec une plume. Une image vaut mille mots, mais le bon mot vaut mille images.

Tretiak a failli « tuer » la une!

«C’était une question de survie»

Pierre Péladeau était venu me voir deux fois pour me demander, comme il disait, de laisser tomber les maudits Anglais à Toronto pour aller travailler pour lui et fonder un hebdomadaire. Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas de place, au Québec, pour un Time, un Newsweek, un L’Express. Qu’il fallait une population d’au moins 15 millions d’habitants afin d’avoir les ressources financières pour se lancer. Il est revenu à la charge, et d’autres concurrents menaçaient aussi de fonder un hebdo concurrent. On n’avait pas d’autre choix que de bouger. Si on n’était pas devenu bimensuel, il y aurait eu un surplus de magazines dans un petit marché, tout le monde aurait perdu de l’argent, ça aurait été le début de la fin.

Les commentaires sont fermés.

J’ai lu l’actualité depuis le début et j’ai toujours été impressionné de la qualité de ce que j’y ai lu. Cet article me rappelle l’importance que l’Actualité a eu pour former ma pensée et m’informer. Je me sens coupable de ma négligence à renouveler mon abonnement me contentant de le lire sur internet. Pour avoir une information de cette qualité il faut être prêt à payer.

Longue vie à L’actualité est merci à Jean Paré de l’avoir de l’avoir lancé et d’avoir « tenu la barre » si habilement!

Je suis abonné a l`Actualité depuis plusieurs et ses mon pères Clermont qui ma vendu l`idée sans trop de misère. Il est maintenant décédé et je l`en
remercie vivement. Je suis d`accord avec M. Jean Paré que la vulgarisation est le fer de lance de l`Actualité. Je dois vous dire que pour moi nous devons
avoir un magazine francophone de cette qualité et que nous devons nous identifier a ce magazine c`est très important. Vous avez de très bonne articles.

Je me souviens du premier numéro. J’étais éblouie de ce que je lisais; le texte était intéressant, positif, et décrivait les québécois comme un peuple intelligent, qui avait des projets et allait de l’avant.

Saluts Jean,,
Toujours agréable de te lire ou de te revoir même sur vidéo. ..
Tu as été un prolongement des Filion, Laurendeau et Ryan….qui, avec l’élégance du verbe (surtout toi) ont éclairé nos années post-universitaire. ..
Amical souvenir,
Guy Meunier. ..optométrie 1960

L’Actualité n’existerait pas qu’il faudrait l’inventer ! Abonnée depuis le début, je lis avec grand intérêt la majorité des articles toujours à la fine pointe de l’information.
Félicitations à Jean Paré d’avoir eu cette merveilleuse idée !
Joanne Sarrasin

À chaque fois que je trouve le dernier numéro de L’Actualité dans ma boîte aux lettres, j’ai l’impression de recevoir un cadeau. Je m’empresse de le lire et ensuite il me fait plaisir de le transmettre à d’autres afin de leur faire aussi découvrir la qualité et la diversité des sujets traités. Merci à Jean Paré d’avoir eu l’idée de tout faire démarrer et aux suivants pour avoir entretenu l’idée de vulgariser autant que possible l’ensemble des sujets traités.

Je suis une abonnée de L’Actualité depuis son début et je lis avec plaisir tous les articles avec un grand intérêt ainsi que mon conjoint et mes deux filles…. une chance que nous avons la copie-papier et la copie électronique….. nous partons en voyage et c’est L’Actualité que nous apportons avec nous pour les relire… Longue vie au magazine!!!

Je suis abonné à L’Actualité depuis le tout début… et je le lis avec plaisir tant sur format papier que sur mon écran. Longue vie au magazine et à monsieur Paré!

je partage la majorité des commentaires précédents, j’étais déjà un lecteur du temps du McLean, c’est vous dire, je m’ennuie de la plume acérée de monsieur Paré, et pour avoir une telle plume, il faut avoir toute une pensée à l’arrière…félicitations et longue vie…voilà

Vacuité et publicité envahissante sont les 2 ingrédients de la recette du « succès » de cette publication qui se contente d’être le miroir d’une classe moyenne qui prend ses vessies pour des lanternes. Pas un seul numéro sans qu’on nous assome avec les termes « richesse », « prospérité », « progrès économique ».

Étrangement, il y a plus de contenu dans les chroniques que dans les articles « de fond »…