Comme bien des gens forcés de bosser à domicile, Dave Saint-Amour, professeur au Département de psychologie de l’UQAM, n’est pas loin de la panne sèche quand ses journées de travail se terminent. Donner des cours, accompagner les étudiants et participer à des réunions lui demandent bien plus de carburant depuis que tout se déroule en ligne. Le phénomène, que des médias ont baptisé la « fatigue Zoom », est encore trop nouveau pour être scientifiquement expliqué, dit-il. Mais ce spécialiste de la psychologie de la perception, qui s’intéresse entre autres aux malaises physiques ressentis lors d’immersions en réalité virtuelle, a tout de même quelques hypothèses.
D’abord, le cerveau de l’Homo sapiens n’a pas du tout l’habitude des interactions avec les autres par écran interposé. Et bien qu’il ait une formidable capacité d’adaptation, on ne défait pas des centaines de milliers d’années de conditionnement en quelques mois. « Dans 100 ans, il est possible que la communication par vidéoconférence soit naturelle pour les humains, de la même façon que les nouvelles générations sont davantage à l’aise avec la technologie numérique que leurs aînés, soutient le neuropsychologue. Mais pour l’instant, la transmission et l’intégration de l’information dans un environnement artificiel sont très exigeantes pour le cerveau. »
Afin d’interpréter les données sans trop dépenser d’énergie, nos neurones s’appuient beaucoup sur les connaissances accumulées, si bien qu’il ne leur suffit que de quelques indications subtiles pour saisir rapidement ce qui se passe. « Lors d’un échange en personne, un paquet d’éléments liés au langage corporel, par exemple un hochement de tête ou un changement du rythme de la respiration, nous signalent que l’autre veut prendre la parole ou qu’il est d’accord avec ce qu’on vient de dire, illustre Dave Saint-Amour. Nous le décodons automatiquement, sans faire effort, ce qui rend la conversation fluide. »
Or, comme il est difficile, voire impossible, de percevoir ces précieux détails par vidéoconférence, la matière grise est forcée de se concentrer essentiellement sur le discours pour assimiler les messages. « Sur le plan cognitif, c’est très prenant d’avoir à soupeser et interpréter chaque mot. Sans compter qu’il arrive souvent que l’image gèle et que le son coupe en raison de problèmes de connexion Internet, rendant la communication encore plus ardue. »
La caméra braquée généralement sur le visage contribue sans doute aussi à la fatigue, selon l’expert de l’UQAM. C’est que le cerveau est irrésistiblement attiré par les yeux, en raison de la charge d’informations utiles à la survie qu’ils véhiculent — on peut y lire toutes les émotions de base, comme la peur, la colère, la tristesse, le dégoût, la surprise. « Dans la vraie vie, on ne fixe jamais quelqu’un longtemps, car c’est trop exigeant sur le plan de l’attention. On l’écoute en regardant ailleurs pour se donner des pauses, on pivote de côté. Mais en vidéoconférence, on a moins tendance à détacher ses yeux de l’autre, de crainte de paraître désintéressé. Ça devient très lourd. »
C’est pire encore lors de réunions de groupe, alors que les méninges s’activent à décoder les expressions de chacun sur la mosaïque de visages à l’écran, en plus d’être distraites par vingt décors de maison différents en arrière-plan. Et puis, il y a ce petit carré au coin de l’écran, où on s’aperçoit en train de parler. « C’est difficile de résister à la pulsion de jeter un coup d’œil à sa propre image, dit le neuropsychologue. Mais ça perturbe beaucoup la concentration. Ce n’est absolument pas naturel comme situation. »
Enfin, le professeur estime que, pour celui qui prend la parole en ligne devant de multiples participants, l’absence de rétroaction peut être anxiogène, et donc concourir à un épuisement inhabituel. Il l’a lui-même vécu au printemps, quand il enseignait à distance. « C’est stressant de savoir que beaucoup de regards sont braqués sur nous, sans avoir vraiment de signaux que notre message passe bien. On a un peu l’impression de parler dans le vide. »
Pour le physiothérapeute Denis Fortier, qui a notamment publié Lève-toi et marche (Trécarré), l’un des grands coupables de la « fatigue Zoom » est l’immobilité presque totale dans laquelle nous plongent les écrans. « C’est plus que de la sédentarité, car même assis à son poste, on change souvent de position. Parfois, on se lève pour aller à la machine à café, ou pour se rendre dans une salle de réunion. Mais en vidéoconférence, on est hyper-statique pendant des heures, le cou et la tête souvent inclinés vers l’écran, comme si on voulait se rapprocher de l’autre. Ça change complètement notre rapport à l’espace. »
Or, le corps n’est pas fait pour être immobile. Les muscles posturaux toujours contractés de la même façon finissent vite par s’esquinter — en particulier ceux du cou, qui soutiennent la tête, qui pèse en moyenne de quatre à cinq kilos. Il compare cela à tenir une lourde planche de bois sans bouger. « C’est bien plus inconfortable que de la trimballer ! Les tensions ne tardent pas à apparaître, on respire moins bien, la concentration diminue. »
Pour cette raison, plusieurs spécialistes proposent de troquer la vidéoconférence contre le bon vieux téléphone dès que c’est possible, puisqu’on peut marcher pendant la discussion. Cela donne aussi l’occasion de prendre congé des stimulus visuels. Quand la réunion virtuelle s’impose, il est alors recommandé de fermer toutes les autres applications de son ordinateur, afin d’éviter le bombardement de courriels, de textos et de messages sur la plateforme de communication interne. Ces multiples sollicitations accablent encore plus le cerveau, qui ne sait plus à quel saint se vouer.
Pour favoriser la concentration, Dave Saint-Amour n’hésite pas à fermer sa caméra de temps en temps pendant la vidéoconférence, tout en restant à l’écoute de ses interlocuteurs. La pandémie est déjà assez pénible en soi — mieux vaut saisir toutes les occasions de ménager sa monture. « On l’évoque plus rarement, mais j’ai l’impression qu’une partie de la “fatigue Zoom” est aussi attribuable à la crise comme telle, dit-il. On vit beaucoup de stress depuis plusieurs mois, certains ont des enfants à temps plein à la maison. Ce ne sont pas des conditions normales de télétravail. Les rencontres virtuelles seront peut-être plus faciles lorsque ces perturbations se seront calmées. »
Pourquoi les réunions vidéos sont-elles si épuisantes ?
Merci pour les propos intéressants et les suggestions pour alléger ces situations nouvelles…
Bonjour,
Existe-t-il un moyen d’enlever l’affichage des messages publicitaires qui « poppent » lors de la lecture des articles en en ligne que je trouve passionnants. Malheureusement, je suis sans cesse distraite pas ces publicités qui sont une distraction indésirée à ma lecture. Pouvez-vous m’aiguillonner pour trouver pour trouver une solution ? Je vous en remercie d’avance.