Cela dit, il y a longtemps que le cannabis est omniprésent au Canada. Des voisins qui fument dans leur condo, ce n’est pas nouveau. Des conducteurs qui prennent le volant « gelés » non plus.
L’espoir de la légalisation est justement d’atténuer les conséquences négatives de cette drogue. D’en écarter le crime organisé. D’encadrer rigoureusement sa vente, comme pour le tabac. Et d’utiliser les revenus qu’elle génère pour financer la prévention.
Au cours des derniers mois, municipalités, forces policières, agences gouvernementales, établissements scolaires et producteurs de marijuana se sont donc préparés à cette grande transformation. Sans oublier la toute nouvelle Société québécoise du cannabis. Vous le constaterez en lisant ce dossier, aucun n’est tout à fait prêt. Mais aucun, non plus, ne devrait être pris au dépourvu.
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La santé publique aux aguets
« Ouf ! » Le médecin Réal Morin, de l’Institut national de santé publique du Québec, a poussé un soupir de soulagement en apprenant que la vente de cannabis était confiée à une société d’État, qui priorisera la santé plutôt que les profits. L’expert craint cependant que la légalisation n’entraîne une banalisation de la marijuana dans la population.

Pensez-vous que la consommation va augmenter ?
Dans un monde idéal, 100 % des consommateurs actuels se tourneraient vers le marché licite, et personne ne serait tenté d’essayer le cannabis maintenant que c’est légal. Évidemment, ce n’est pas ce qui va se passer. Mais on ne voit pas venir une croissance phénoménale de la consommation, contrairement à ce que disent les entreprises privées, qui pensent faire des millions de dollars de profits.
Le discours des producteurs de marijuana vous agace ?
Leur discours m’inquiète. Les producteurs laissent entendre que le cannabis sera partout, que c’est le nouveau mode de vie qui s’en vient. Ils promettent des retombées économiques. Mais est-ce que ce sera suffisant pour compenser les coûts sociaux ? Si on regarde l’alcool et le tabac, l’État est loin de faire ses frais. On verra ce qu’il en sera pour le cannabis.
Quels sont les risques pour la santé ?
On possède encore peu d’informations sur le cannabis. De ce qu’on en sait, ses conséquences sont moindres que celles de l’alcool et du tabac, mais il ne faut pas le banaliser pour autant. La consommation régulière de cannabis est associée à des problèmes de mémoire et même à des troubles psychotiques chez certains. Il y a aussi toute la question de la conduite avec les facultés affaiblies. Et au Colorado, les hospitalisations liées au cannabis [dont les cas d’ingestion accidentelle par des enfants] ont augmenté après la légalisation. C’est une des choses qu’on va surveiller au Québec.
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« Ça et le bogue de l’an 2000, c’est pas mal la même affaire. »
Le cannabis au volant ne posera pas de problème pour la Sûreté du Québec (SQ), assure le porte-parole Hugo Fournier. Plus de 90 % des patrouilleurs du corps policier sont déjà aptes à repérer les conducteurs ayant les facultés affaiblies par la marijuana, et l’organisation aura formé plus de 50 agents évaluateurs d’ici le 17 octobre. Ces derniers effectuent des tests supplémentaires auprès des conducteurs amenés au poste de police afin de compléter la preuve.
Le véritable défi de la SQ sera le cannabis de contrebande. Celui qui pousse dans les champs, certes, mais aussi celui qui est vendu en ligne. Une foule de sites illégaux, tel potcargo.com, proposent du pot, des huiles et des aliments au THC, qui sont expédiés par la poste. Lutter contre ces acteurs sera essentiel afin que la légalisation puisse remplir ses promesses.
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Où sera-t-il possible de fumer ?
De façon générale, il sera interdit de fumer du cannabis là où il est interdit de fumer du tabac. Par ailleurs, les propriétaires de logements pourront modifier leurs baux en cours pour proscrire la consommation de marijuana, à condition de le faire dans les 90 jours suivant la légalisation. Ces restrictions ne s’appliquent toutefois pas aux produits non fumés, telles les huiles comestibles.
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Le pusher du Québec
La Société des alcools du Québec a eu moins d’un an pour mettre sur pied une nouvelle société d’État, afin de fournir du pot aux Québécois, où qu’ils soient dans la province.
La direction de la SAQ ne l’a vraiment, mais vraiment pas vue venir. En novembre dernier, quelques jours avant d’en faire l’annonce publique, Québec l’a prévenue qu’en plus de vendre de l’alcool elle devrait mettre sur pied une filiale pour offrir du pot : la Société québécoise du cannabis.
« Ça ne faisait pas partie de nos plans. On ne s’était même pas impliqué dans le débat sur la légalisation ! » rappelle Jean-François Bergeron, vice-président à l’information et à la technologie à la SAQ. C’est lui qui, entouré d’une petite équipe, travaille sans relâche pour s’assurer que les premières succursales de la SQDC ouvriront leurs portes comme prévu le 17 octobre.
La nouvelle société d’État ne deviendra pas une machine à imprimer de l’argent pour le gouvernement. Sa mission est de protéger la santé des consommateurs de cannabis en les intégrant au marché légal. Les profits, « s’il y en a », seront réinvestis dans un fonds de recherche et de prévention sur la marijuana. On est loin de la SAQ.
Cela ne signifie pas que l’expertise de la SAQ a été inutile, bien au contraire. Vendre un produit dans un réseau de magasins, qu’il s’agisse d’alcool ou de drogue, a ses similitudes, notamment sur le plan logistique. Et dès le début, Jean-François Bergeron a constaté un problème : il n’y aura peut-être pas assez de pot pour tous les Canadiens.
« Ce sera à court terme seulement, car la production va augmenter rapidement », mais pour éviter toute pénurie, la priorité de Jean-François Bergeron a été de sécuriser l’approvisionnement. La SQDC a ainsi été l’une des premières au pays à s’entendre avec six fournisseurs, qui lui vendront 58 000 kilos en 12 mois.
Vendre un produit dans un réseau de magasins, qu’il s’agisse d’alcool ou de drogue, a ses similitudes, notamment sur le plan logistique.
En temps normal, la marchandise serait expédiée dans un entrepôt principal avant d’être acheminée dans les boutiques. Or, les entrepôts de cannabis doivent être certifiés par Santé Canada, un processus long et complexe. Et s’il y a une chose dont Jean-François Bergeron manque, c’est du temps ! La solution : demander aux fournisseurs de livrer directement dans les succursales.
Pour les ventes en ligne — le site transactionnel ouvrira également le 17 octobre —, la SQDC a sollicité l’aide de son « fournisseur privilégié », le producteur de cannabis québécois Hexo. Ses installations, déjà approuvées par Santé Canada, serviront de plaque tournante d’expédition pour les commandes numériques, y compris pour les produits de ses concurrents.
Depuis quelques mois, la société d’État fait discrètement des démarches auprès des villes de la province afin d’ouvrir des boutiques sur leur territoire. La plupart coopèrent, dont Montréal, Lévis, Drummondville, Trois-Rivières et Québec. Mais d’autres, dont Laval, ont fermé la porte à la SQDC. « On ne brusque rien, dit Jean-François Bergeron. Si elles ne sont pas intéressées, on passe à la suivante. » L’objectif est d’avoir une vingtaine de succursales prêtes pour le 17 octobre, et possiblement une centaine d’ici 2020.
Celles-ci ne ressembleront en rien aux magasins de la SAQ. Un gardien de sécurité à l’entrée s’assurera qu’aucun mineur n’y entre, même accompagné de ses parents. Les clients arriveront ensuite dans une zone d’information, où des conseillers feront de l’éducation sur le cannabis, ses effets et ses risques. Les antécédents judiciaires de tous les employés auront été scrutés par la Sûreté du Québec.
Les produits, près de 150, seront dans une deuxième zone, derrière un comptoir. Il y aura du cannabis séché, des huiles comestibles et des gélules — les aliments au THC devraient arriver plus tard, en 2019, lorsque le gouvernement fédéral les autorisera. Une grande sélection sera offerte à moins de sept dollars le gramme, taxes comprises, afin de concurrencer le marché noir. La cible est de lui ravir 30 % de parts de marché dès la première année.
Les conseillers « feront de la vente responsable », assure Jean-François Bergeron. Les informations données seront factuelles et aucun employé ne racontera son buzz de la veille avec telle ou telle variété de marijuana. Les clients recevront également, avec chaque achat, un dépliant rédigé par le ministère de la Santé. « Ce sera une sorte de “cannabis 101”. »
Ces premières boutiques serviront de laboratoires d’expérimentation pour la société d’État. « On crée une nouvelle industrie, souligne Jean-François Bergeron. On ne sait pas ce que les clients vont aimer. » Tout, de la structure logistique aux boutiques, a donc été conçu afin de pouvoir être modifié facilement si nécessaire. « Pour nous, le 17 octobre, ce sera le début de l’aventure, pas la fin. »
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Du pot aux bleuets
À quoi ressemble une production industrielle de cannabis ? Pour le savoir, suivez le guide.
J’ai beau inspirer à plusieurs reprises, je ne la sens pas, l’odeur de « p’tit bleuet ». Mon guide, Étienne Joanisse, insiste : « Vas-y, approche-toi ! » Je plonge le nez dans la grappe de fleurs fibreuses, écarte les narines, mais non. La seule chose que je sens, c’est du pot.
Je suis chez Hexo, principal fournisseur de la Société québécoise du cannabis. Au cours de la prochaine année, l’entreprise fera planer les Québécois en cultivant 20 000 kilos de marijuana dans trois serres en Outaouais. La plus grande couvre l’équivalent de trois terrains de soccer, mais ce n’est rien comparativement à celle, quatre fois plus vaste, que des travailleurs construisent tout près.
Aujourd’hui, c’est une serre plus modeste — même pas un demi-terrain de foot — que je visite en compagnie d’Étienne Joanisse, 30 ans, spécialiste de l’assurance qualité chez Hexo. Avec ses cheveux longs, sa barbichette et un avant-bras tatoué sur toute la longueur, il passerait inaperçu dans un groupe de musique. Du moins, c’était le cas avant qu’il enfile une blouse de laboratoire blanche, un filet à cheveux, un filet à barbe et des couvre-chaussures bleus, style dentiste, obligatoires pour pénétrer dans la serre.
Autour de nous, des centaines de plants de cannabis sont alignés sous de puissants luminaires, dont les rayons s’ajoutent à ceux du soleil. Malgré les apparences, la luminosité est réduite dans cette pièce, explique mon guide. Les plantes cessent ainsi de croître et consacrent leurs ressources à la floraison. Car c’est la fleur, bien plus que les feuilles, qui renferme les cannabinoïdes, ces molécules qui affectent nos sens.
Récoltez la fleur trop tôt ou trop tard, et les concentrations ne seront pas optimales. Pour s’assurer de faire la cueillette au moment opportun, Hexo analyse des échantillons régulièrement pendant la floraison, qui dure de six à huit semaines. Selon la variété, chaque plant produit de 60 à 120 g de cannabis séché.
À l’œil, le pot aux bleuets semble être une variété plutôt productive : les grappes de fleurs qui surmontent ses feuilles sont énormes. Je tente une dernière fois de percevoir l’arôme de petit fruit, en vain. « C’est vraiment subtil, admet Étienne Joanisse. D’autres trouvent que ça sent le citron. » Dans le fond, le cannabis, c’est comme le vin.
Plus loin dans la serre, les plants prennent une teinte rougeâtre. Il s’agit d’une autre variété, l’After Dinner. « On la recommande après le souper, explique le spécialiste de l’assurance qualité. Elle aide à digérer et sa teneur en THC n’est pas trop haute, alors tu peux te relaxer et discuter avec tes amis sans être trop fondu dans ton canapé. »
Dans la rangée adjacente, tout a été coupé. Il ne reste que les tiges, chacune ayant son numéro d’identification étiqueté à sa base. La plus près de moi porte le numéro 55 420. « L’équipe de destruction » viendra bientôt terminer le travail, note Étienne Joanisse. Elle taillera d’abord la tige au niveau du sol, puis, avec une lame mécanique, tracera un cercle dans la terre afin d’extraire la racine avant de la couper en quatre.
Cette mesure, l’une des nombreuses imposées par Santé Canada, permet de s’assurer que le plant 55 420, comme tous les autres, ne pourra pas être détourné vers le marché noir. Tout se déroule sous le regard des caméras de sécurité, omniprésentes dans la serre. « Les inspecteurs viennent tous les trois ou quatre mois, sans s’annoncer, explique mon guide. Ils demandent toujours à voir des images pour être certains que les procédures sont respectées. »
Nous arrivons devant une porte verrouillée. Étienne Joanisse passe sa carte devant le lecteur magnétique, entre une combinaison sur le pavé numérique, puis franchit le seuil. Mais je ne peux pas le suivre ; je dois d’abord attendre que la porte se referme, utiliser ma carte et taper mon code. Toutes les portes de la serre sont sécurisées ainsi pour que Santé Canada puisse vérifier qui est allé où et quand. Mieux vaut ne pas faire la visite avec un groupe de 20.
Nous entrons dans l’espace « végétatif ». Des pousses y sont exposées à une lumière presque constante pour stimuler la croissance, mais on ne les remarque même pas à côté des plants, géants, situés dans la même pièce. En fait, le mot « arbre » semble plus approprié pour les décrire. Ils mesurent de deux à trois mètres de hauteur, avec un tronc de plus de cinq centimètres, et leur feuillage touffu est exempt de fleurs.
« Ce sont nos mères, dit Étienne Joanisse. On n’utilise pas de graines, alors c’est avec elles qu’on fait nos boutures pour produire de nouveaux plants. »
Encore une porte, une carte et un code, puis nous pénétrons dans la zone de transformation. Dans une pièce, une employée pèse des joints à l’aide d’une balance électronique. Dans une autre, deux techniciens extraient l’huile de cannabis utilisée pour les produits non fumables. « À chaque étape, tout est pesé, pour montrer à Santé Canada que les quantités ne changent pas », souligne Étienne Joanisse en m’entraînant vers un « coffre-fort ».
Il s’agit en réalité d’une pièce de quelques mètres carrés coulée dans le béton, où l’on entre, bien entendu, par une porte sécurisée. « Ici, c’est le vieillissement du cannabis. Un peu comme le vin, mais beaucoup moins longtemps. » Au lieu de barriques, l’endroit renferme des centaines de boîtes de plastique pleines de fleurs de cannabis. « Y a environ 800 kilos ici. En valeur, on peut arrondir ça à huit millions. »
La température et l’humidité y sont réglées afin que la fleur sèche, « mais pas trop vite, sinon ça goûte la chlorophylle et c’est plus harsh dans la gorge. Après quelques semaines, on arrive à la pleine saveur, avec un produit qui est beaucoup plus goûteux. » Pour illustrer son point, Étienne Joanisse ouvre une boîte qui contient la variété aux arômes de bleuets. J’inspire à plusieurs reprises. Oui, cette fois, il y a une odeur de petit fruit. Mais ça sent surtout le pot.
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Un bon investissement ?
La Suède a beau mener une politique de tolérance zéro à l’égard de la drogue, ses habitants semblent ouverts à l’idée de s’enrichir avec le cannabis. En janvier dernier, deux producteurs canadiens de marijuana ont fait irruption parmi les 10 titres boursiers les plus négociés sur Nordnet, un populaire site de courtage en ligne suédois.
Il n’y a pas que les Scandinaves qui rêvent de faire fortune avec la légalisation. Partout dans le monde, petits et grands investisseurs placent leur argent au Canada, « qui est à peu près le seul endroit où il est possible d’investir légalement dans l’industrie du cannabis », souligne Martin Landry, analyste financier à GMP Valeurs Mobilières.

L’intérêt est tel que la valeur du Canadian Marijuana Index, qui suit les 24 plus grandes entreprises du secteur au pays, a explosé de 180 % en un an.
Cela inquiète certains observateurs, qui estiment que le secteur est surévalué, vu la petite taille du marché canadien. Martin Landry mentionne toutefois que les producteurs voient bien au-delà du Canada. « Ils se préparent à prendre de l’expansion à l’international », au fur et à mesure que d’autres pays légaliseront le cannabis médicinal ou à usage récréatif.
Les producteurs canadiens arriveront dans ces nouveaux marchés avec de l’argent, certes, mais surtout avec des années d’expérience et des technologies brevetées, qui pourront être mises à contribution « dès le jour 1 pour devancer les entreprises locales ».
Martin Landry croit que, dans quelques années, l’industrie du cannabis ressemblera à celle de la bière, dominée par « deux ou trois acteurs mondiaux ». Et les entreprises canadiennes sont bien placées pour être un de ces gros noms. La route pour se rendre là — si on s’y rend — sera cependant cahoteuse, prévient l’analyste. « C’est un secteur très volatil. »
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Bad trip économique
Les cours du cannabis sont en chute libre dans l’État du Colorado. Depuis la légalisation, en 2014, les producteurs ont vu le prix au kilogramme passer de 4 136 à 1 865 dollars américains. Un effondrement de 54 %* qui s’explique facilement : trop d’entreprises font pousser trop de pot.
Une situation semblable risque de survenir au Canada. À ce jour, 111 entreprises ont été autorisées par Santé Canada à cultiver du cannabis, et leur capacité annuelle atteindra près de 1,8 million de kilos d’ici 2020. Or, la consommation nationale était de 773 300 kilos en 2017, estime Statistique Canada.
*Contrairement au chiffre publié dans notre édition imprimée, les cours du cannabis ne se sont pas effondrés de 122 %, mais de 54 %. Nos excuses.
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Couvrez ce joint que je ne saurais voir
« Hihihihahahahahaha ! Ouahahahahahahaha ! » Difficile de ne pas rire en entendant ce fou rire de 26 secondes, une publicité radio diffusée en Ontario l’hiver dernier pour lancer la marque de cannabis à usage récréatif de San Rafael ’71.
L’entreprise derrière ce coup d’éclat, MedReleaf — qui a depuis été rachetée par Aurora Cannabis —, a aussi commandité un festival de musique et lancé une bière sans THC. « Beer today. Bong tomorrow », pouvait-on lire sur des affiches faisant la promotion de la boisson.
Avec cette campagne, MedReleaf a pris de court ses concurrents et, surtout, les législateurs à Ottawa, qui n’avaient pas encore adopté la Loi sur le cannabis. Si cette offensive publicitaire était répétée aujourd’hui, elle vaudrait vraisemblablement une amende salée à l’entreprise. Il est désormais illégal pour un producteur de cannabis de commanditer un événement ou de diffuser une publicité dans un environnement accessible aux mineurs. Même chose pour toute promotion qui associe une marque de marijuana à un style de vie.
Au Québec, la loi est encore plus stricte. La publicité peut uniquement apparaître dans les journaux et magazines et ne doit comporter que du texte. Il est interdit de montrer le produit. Les contrevenants s’exposent à des amendes de 5 000 à 500 000 dollars, qui seront doublées en cas de récidive.
Cette approche, qui s’inspire de la réglementation entourant le tabac, soulage les experts de la santé publique. Mais elle n’est pas sans danger, craint le vice-président de l’agence de publicité Havas Montréal, Stéphane Mailhiot. « On risque de pousser les producteurs de cannabis vers les limites. Certains seront peut-être tentés de travailler avec des influenceurs en ligne sans s’en vanter. »
MedReleaf aurait préféré un encadrement semblable à celui de l’alcool, mais compte tout de même se soumettre aux règles. Elle a d’ailleurs retiré la majorité du contenu présent sur le site Web de San Rafael ’71 après avoir reçu un avertissement de Santé Canada.
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Sur les bancs d’école
À compter de l’automne, le cégep de l’Outaouais offrira le programme Assurance qualité et transformation du cannabis, une formation de 18 mois qui répondra « aux besoins urgents de l’industrie », explique la directrice des études, Jacqueline LaCasse. Selon les estimations du cégep, la légalisation du cannabis mènera à la création de 770 emplois dans la région de l’Outaouais d’ici 2019. La plupart des postes à pourvoir seront dans des laboratoires. Les étudiants n’apprendront donc pas à faire pousser du pot, mais à extraire et à mesurer les cannabinoïdes, notamment. D’ailleurs, aucun plant ne sera cultivé au cégep ; la substance sera manipulée dans les enceintes sécurisées des producteurs autorisés de la région. Les admissions n’ont pas encore commencé, mais une vingtaine de noms figurent déjà sur la liste d’attente.
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Quantité de THC tolérée chez les conducteurs au Québec. Ce cannabinoïde reste toutefois détectable quelques heures après que ses effets se sont dissipés.
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Nombre de plants de cannabis que les Québécois peuvent cultiver chez eux. Le gouvernement fédéral a de son côté fixé le maximum à quatre.
0
Nombre d’années qui s’écouleront avant que le gouvernement du Québec doive se défendre en cour sur ces deux dossiers. Préparez-vous à une belle bataille juridique.
9,8 %
Pourcentage de Québécois de 15 ans et plus ayant consommé du cannabis en 2015. Au Canada, c’était 12,3 %.
5,86 $
Prix moyen payé par gramme de cannabis au Québec avant la légalisation. C’est le plus bas au Canada.
150 g
Quantité maximale de cannabis séché pouvant être possédée chez soi, au Québec.
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Statistique Cannabis
Pour mesurer la taille du marché noir, Statistique Canada a dû user de méthodes peu orthodoxes.
De toutes les conséquences de la légalisation, voici la plus inattendue : Viviane Yargeau devra acheter un deuxième congélateur. Le premier, coincé dans une petite pièce de son laboratoire à l’Université McGill, ne suffit plus pour entreposer les bouteilles d’eaux usées que lui expédient les villes de Montréal, Vancouver, Toronto, Halifax et Edmonton. Et pas question d’en jeter une seule ; leur contenu malodorant est au cœur d’un projet-pilote de Statistique Canada pour étudier le cannabis.
Contrairement aux sondages, « l’urine ne ment pas », dit la professeure de génie chimique. Quand une personne a fumé du pot, son corps rejette des marqueurs biologiques particuliers, qui prennent le chemin des égouts. En mesurant leurs concentrations, Statistique Canada obtiendra un portrait rigoureux de la consommation de cannabis avant la légalisation. Et après le 17 octobre, comparer les ventes légales aux quantités détectées dans les eaux usées pourrait permettre d’estimer la taille du marché noir qui subsiste.
Si vous trouvez étrange que Statistique Canada examine votre urine, sachez qu’il ne s’agit que de l’un des nombreux moyens non orthodoxes utilisés par l’agence pour amasser autant de données que possible sur le cannabis. Pour connaître le prix de la substance d’une province à une autre, l’organisation a ainsi mis en ligne le sondage StatsCannabis, auquel ont répondu anonymement plus de 18 000 personnes.
Pour être en mesure d’étudier les effets de la légalisation, il est crucial de posséder des données sur la période qui la précède.
Ces outils ne sont certes pas parfaits. Mais selon le directeur général des comptes macroéconomiques à Statistique Canada, James Tebrake, il était hors de question d’attendre des chiffres plus officiels pour fournir des statistiques sur le cannabis. « Il y avait un vide énorme et les législateurs avaient besoin de ces informations dès maintenant. » Surtout, pour être en mesure d’étudier les effets de la légalisation, il est « crucial de posséder des données sur la période qui la précède ».
Cela est relativement simple pour les questions touchant la justice et la santé. Statistique Canada compile depuis longtemps les infractions criminelles liées au cannabis, et certaines de ses enquêtes passées comprenaient des questions sur la fréquence de consommation. Il suffisait de les rendre accessibles en un seul lieu, ce qui a été fait en créant le Centre de statistiques sur le cannabis, sur le site de l’agence.
Mais dans le cas de l’économie, c’est plus complexe. Comment mesurer la taille, les retombées et les exportations d’un marché qui se déroule dans le noir ?
En théorie, Statistique Canada aurait dû trouver la réponse à cette question il y a des lustres. Car un des indices économiques calculés par l’agence, le produit intérieur brut (PIB), doit inclure tous les biens et services produits au pays, y compris ceux qui sont illégaux. « On n’a jamais pris le temps de le faire, admet James Tebrake. Dans le cas du cannabis, on se disait que, de toute façon, ça ne devait pas représenter grand-chose. Ce n’est pas comme si on oubliait d’inclure l’industrie automobile. »
L’équipe de James Tebrake s’est donc retroussé les manches. En consultant une foule de sources, certaines officielles et d’autres moins, tel le site amateur priceofweed.com, elle en est venue à estimer que l’industrie du cannabis représentait 3,1 milliards de dollars en 2017, soit 0,14 % du PIB du Canada. « Cela peut sembler petit, mais c’est plus gros que ce à quoi on s’attendait », dit James Tebrake.
Or, la vraie surprise est venue du côté des dépenses. L’an dernier, les Canadiens auraient acheté pour 5,6 milliards de dollars de pot. Un chiffre si élevé que l’agence ajoutera probablement le cannabis aux quelque 700 autres biens et services, tels le lait et la téléphonie mobile, utilisés pour calculer l’indice des prix à la consommation.
Du moins, ce sera le cas si les chiffres de Statistique Canada s’avèrent justes. James Tebrake rappelle que, pour le moment, les estimations de son équipe reposent sur beaucoup d’hypothèses. « Personnellement, je ne crois pas que l’écart sera grand, mais c’est certain que nos données seront révisées. Si elles ne le sont pas, c’est que nous aurons été extrêmement chanceux. »
Divers pays ont également contacté Statistique Canada afin d’en savoir davantage sur les méthodes mises au point pour mesurer le marché du cannabis. Si bien que le Mexique envisage à son tour d’examiner l’urine de ses habitants.
Cet article a été publié dans le numéro de septembre 2018 de L’actualité.