Quand tirer sur un enfant soldat ?

Le Canada est le premier pays à doter ses militaires d’un guide pour faire face aux enfants soldats sur les champs de bataille. Une rencontre qui laisse souvent de lourdes séquelles psychologiques.

À Kigali, au Rwanda, en 1994, des milliers d’enfants ont participé au génocide. (Photo : Abdelhak Senna / AFP / Getty Images)

C’est l’un des dilemmes moraux les plus déchirants pour un militaire sur un champ de bataille : tirer ou ne pas tirer sur des enfants soldats ? Les Forces armées canadiennes viennent de décider que leurs fantassins peuvent les abattre… après avoir suivi une procédure élaborée par le lieutenant-général et sénateur à la retraite Roméo Dallaire, qui a fait de la cause des enfants soldats sa nouvelle mission.

Le 2 mars dernier, le Canada est devenu le premier pays à offrir un guide détaillé à ses soldats qui affrontent la menace d’un enfant armé, parfois âgé d’à peine sept ou huit ans. La note de doctrine interarmées (NDI) 2017-01 stipule que les militaires peuvent « utiliser de la force létale contre des enfants soldats pour se défendre ou défendre d’autres personnes, ou pour accomplir la mission ».

Le guide militaire reprend presque entièrement les recommandations de Roméo Dallaire et de l’institut qu’il a fondé, l’Initiative Enfants soldats. Pendant sept ans, son équipe et lui ont étudié comment adapter les pratiques militaires à la présence de combattants mineurs. Le document intéresse maintenant la Grande-Bretagne, l’ONU et l’OTAN. « Il existe beaucoup de recherches sur la réadaptation des enfants soldats, mais presque rien sur la manière de les affronter au combat afin de minimiser leur efficacité et de rendre leur utilisation moins alléchante par les groupes armés », explique Roméo Dallaire.

La doctrine canadienne de 40 pages exige que la présence de jeunes armés soit prise en compte avant même le déploiement des militaires. La planification de la mission et la formation des soldats doivent être adaptées au « contexte culturel et social » de la région. Une fois sur place, les fantassins canadiens doivent chercher à « désamorcer les confrontations ». Ils sont tenus de viser d’abord les adultes qui commandent les jeunes, dans le but de déstabiliser ces derniers et de les amener à capituler.

Les soldats doivent également prêter attention aux endroits propices au recrutement des mineurs, comme les écoles, les orphelinats et les points d’accès à l’eau potable. Les militaires ont aussi l’obligation de prévoir, pour les jeunes prisonniers, des centres de détention séparés de ceux des adultes, et de les y diviser par groupes d’âge. Les ONG actives auprès de ce type de combattants doivent par ailleurs être rapidement prévenues d’une capture pour enclencher le processus de réadaptation. La présence de soldates, dans certains contextes, est aussi suggérée. « Les enfants sont parfois plus sensibles à l’approche d’une femme, en raison du côté maternel », explique le capitaine Willem Dallaire, du Royal 22e Régiment, qui fut envoyé, il y a 10 ans, en Sierra Leone. Le pays se relevait alors d’une guerre civile dans laquelle des milliers d’enfants avaient été utilisés au combat. Comme son père, Roméo Dallaire, le capitaine se préoccupe du sort des enfants soldats.

« Rien ne nous prépare à utiliser la force contre un enfant soldat », dit le général Roméo Dallaire. (Photo : Adrian Wyld / La Presse Canadienne)

Le moment choisi par l’armée pour énoncer ces directives n’est pas un hasard. Les militaires canadiens pourraient être mobilisés dans les prochains mois comme Casques bleus au Mali, où l’ONU a recensé des centaines d’enfants soldats. Les forces spéciales canadiennes sont aussi susceptibles d’affronter une menace semblable en Irak et en Syrie, où elles aident l’armée irakienne et les forces kurdes à lutter contre le groupe terroriste Daech, qui a recours à des enfants soldats.

Combattants, éclaireurs, porteurs, messagers, espions ou esclaves sexuels, des mineurs sont utilisés dans une vingtaine de pays où sévissent des conflits, principalement en Afrique. En 2007, l’Unicef avançait le chiffre de 250 000 enfants soldats dans le monde, une estimation déjà imprécise à l’époque. Dans ses documents récents, l’ONU parle de « dizaines de milliers » de mineurs.

Les jeunes sont des soldats bon marché, dociles, rapides à recruter et à former, et souvent plus courageux que les adultes, puisqu’ils ne comprennent pas toujours la nature du risque. Ils profitent aussi « d’un avantage moral au combat, puisque les soldats adultes professionnels peuvent être réticents à attaquer des enfants soldats et ressentir les effets psychologiques négatifs après les avoir rencontrés ou combattus », explique la nouvelle doctrine canadienne.

En août 2000, en Sierra Leone, dans l’ouest de l’Afrique, 11 soldats britanniques ont été capturés par des rebelles après avoir refusé de tirer sur des mineurs armés d’AK-47. L’opération de libération menée par les forces spéciales, quelques jours plus tard, a coûté la vie à un soldat britannique et a fait 11 blessés.

Lorsque le capitaine Willem Dallaire s’est retrouvé en Sierra Leone, afin d’aider à la reconstruction de l’armée nationale après la guerre civile, les enfants soldats n’étaient plus aussi nombreux qu’au tournant du siècle. Mais dans certaines régions où la situation était encore instable, des chefs de milices locales recrutaient toujours des enfants dans les orphelinats en prévision d’une reprise des hostilités. « Je parlais à des jeunes qui me disaient avoir caché leurs armes dans la jungle et être prêts à reprendre du service, car se battre était la seule chose qu’ils savaient faire », raconte-t-il.

Les Forces canadiennes se préoccupent également des répercussions que de tels affrontements pourraient avoir dans l’opinion publique, et conséquemment sur l’appui à la mission. « La complexité des situations mettant en jeu des enfants soldats, même s’il est légal de recourir à la force contre eux, sera difficile à aborder dans des forums nationaux et internationaux », peut-on lire. Afin d’éviter les controverses, et parce que leurs troupes sont moins bien préparées à un affrontement potentiel, certains pays, comme l’Allemagne et le Japon, refusent de déployer des militaires dans des zones où les jeunes soldats sont nombreux. « Ça donne une raison de plus aux criminels pour recruter des enfants. Ils savent que certains pays vont refuser d’intervenir », s’indigne Roméo Dallaire, qui souhaite que d’autres pays s’inspirent des travaux de son groupe.

Un entraînement psychologique spécial sera offert aux militaires canadiens envoyés dans les zones où ils sont susceptibles d’affronter des opposants d’âge mineur. « C’est très difficile mentalement de côtoyer des enfants soldats. Ils sont potentiellement dangereux, mais très vulnérables en même temps. Chaque fois, tu vois tes propres enfants dans leurs yeux », explique Willem Dallaire, 39 ans, père de deux jeunes enfants.

Roméo Dallaire l’a vécu en 1994, lors du génocide au Rwanda, où des milliers d’enfants soldats, drogués et imbibés de haine, ont massacré leurs semblables. Pour un militaire occidental, il s’agit d’un « dilemme moral profond », l’un des pires qui soit. « Rien ne nous prépare à utiliser la force contre un enfant. C’est contre nos valeurs, nos mœurs et notre éducation. C’est répugnant à un point tel que les blessures psychologiques sont importantes. Juste croiser des enfants au combat est un traumatisme, même sans tirer un seul coup de feu. C’est un syndrome de stress post-traumatique puissant, difficile à traiter. »

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Même si c’est un enfant, armé, il n’hésitera pas à tirer pour tuer des soldats adultes. Je comprends que c’est un enfant, mais le fait qu’il soit armé, c’est lui ou moi… alors je n’hésiterait pas à tirer….le cœur déchiré….

Aussi déchirant que ce soit, le jeune n’hésitera pas à tirer. Il a été endoctriné et est souvent plus fanatique qu’un adulte. Pour lui, tuer un « ennemi » est un rite de passage qui fait partie de son quotidien. Évidemment, si nous avions une arme magique qui nous permet de l’endormir sur le coup je prônerais l’utilisation de cette arme. Il faut malheureusement l’incapaciter le plus rapidement possible avec les moyens que nous avons. Ces moyens ne comprennent pas des ballons et un morceau de gâteau…

Je me demande si on peu s’immuniser contre les traumatismes que peut causer le fait d’avoir blessé ou tuer un ou des enfants soldats .Sincèrement, je n’oserais pas condamner un soldat qui pour sa propre sécurité personnelle et celle de ses compagnons d’arme, se retrouve dans l’obligation de le faire .C’est la gestion de l’après qui doit être excessivement difficile, même si cela avait été dans les règles .

Une espèce humaine qui tue les enfants qu’elle a armés ne mérite pas vivre.

On devrait plutôt dire que les espèces d’ humains qui arment des enfants pour faire passer leur doctrine ; EUX ne méritent pas de vivre !!

Ni ceux qui arment les enfants ni ceux qui tuent les enfants armés ne méritent la vie.
Notre espèce, ce faisant, se rend aux confins de toutes les horreurs, de toutes les atrocités, de toutes les ignominies.
Elle perd son nom d’humanité.
INHUMANITÉ!

« C’est contre nos valeurs, nos mœurs et notre éducation. C’est répugnant (…) »
répugnant, du verbe répugner, du latin re-pugnare :
préfixe re : rejeter
pugnare : combattre.
Le mot « répugnant » est le bon.
Il faut tout faire pour refuser de combattre les enfants.
Pas se préparer à le faire avec « civilité »!
Tout faire!

@ Patrick Daganaud,

Vous avez 100% raison. Félicitation pour le courage de votre opinion.

Bonjour,
Je comprends bien votre message, mais je ne peux y souscrire. Comme il est écrit dans l’article, le fait même de refuser de combattre des enfants soldats amène les criminels à en recruter encore plus pour continuer leurs massacres contre les populations civiles… dont d’autres enfants.
Il n’y a pas de bonne réponse à cette problématique, il faut juste choisir la moins pire pour le long terme.

L’esprit d’un enfant est volatil, donc imprévisible. Avec ce genre d’enfants, tirez dès que notre vie est en danger extrême.