Si la Norvège domine à nouveau le tableau des médailles des Jeux olympiques de Pyeongchang, comme elle l’a fait il y a quatre ans à Sotchi, on mettra cette prouesse sur le compte de sa latitude nordique ou de sa longue tradition des sports d’hiver. À moins que ce ne soit sa qualité de vie, ses réserves de pétrole, son passé viking ? Il doit bien y avoir quelque chose. Car pour une petite nation de cinq millions d’habitants, c’est proprement miraculeux.
Le mystère s’est récemment éclairci. On peut attribuer l’exploit à une autre caractéristique exceptionnelle de la société norvégienne : l’égalité entre les sexes. Le pays est deuxième au monde à ce chapitre, selon le plus récent classement du Forum économique mondial. Et ce ne serait pas étranger à sa puissance olympique.
Deux équipes de recherche sont arrivées à la conclusion que l’équité entre les hommes et les femmes est l’un des plus puissants facteurs qui concourent aux succès sportifs d’une nation. Et les athlètes des deux sexes en bénéficient.
Jennifer Berdahl, professeure de psychologie des organisations à l’Université de la Colombie-Britannique, s’est penchée sur les Jeux d’hiver de 2014, à Sotchi, et sur les Jeux d’été de 2012, à Londres. Les pays plus égalitaires (tels qu’évalués par le Forum économique mondial) ont remporté davantage de médailles à ces Jeux que les nations moins équitables, tant dans les épreuves masculines que féminines, selon l’étude publiée en 2014 dans le Journal of Experimental Social Psychology.
Sur les quatre dimensions de la parité que le Forum mesure — le pouvoir économique, la représentation politique, la santé et l’accès à l’éducation —, c’est de loin l’égalité en éducation qui avait l’effet le plus décisif sur la moisson de médailles.
Si les deux sexes en profitent, le phénomène est particulièrement marqué chez les athlètes féminines. Pour elles, venir d’un pays paritaire est encore plus bénéfique que de porter les couleurs d’un pays riche ou populeux, deux traits que l’on sait favorables aux victoires olympiques.
(Des chercheurs néerlandais ont contesté ces conclusions dans un article de la même revue, mais l’équipe de Jennifer Berdahl a réanalysé les données en modifiant sa méthode, et a obtenu des résultats semblables.)
D’ailleurs, une autre équipe a décelé exactement la même tendance, cette fois en examinant les cinq Jeux d’été qui ont eu lieu de 1996 à 2012, et en utilisant un autre indice de la parité des sexes, celui du Programme des Nations unies pour le développement. L’étude, menée par l’économiste Aaron Lowen, de l’Université d’État de Grand Valley, au Michigan, est parue en 2014 dans le Journal of Sports Economics.
Selon ses calculs, chaque fois qu’un pays baisse de 10 points sur l’échelle de l’égalité, il perd 1,5 médaille féminine et 1 médaille masculine. Un fait d’autant plus étonnant que les pays inégalitaires envoient aux J.O. une plus grande proportion d’athlètes masculins que les États égalitaires. C’est donc dire que leurs délégations masculines, quoique plus imposantes, sont moins efficaces.
La parité serait ainsi propice aux médailles, mais pourquoi ? On peut concevoir qu’une société qui valorise la moitié féminine de sa population lui accorde plus de ressources pour développer son talent sportif. Mais en quoi cela serait-il avantageux pour les hommes ?
Les chercheurs ont quelques hypothèses en tête. Peut-être que la participation accrue des femmes au marché du travail, dans les sociétés égalitaires, stimule la croissance économique au point de procurer aux résidants, hommes et femmes, les moyens de cultiver des passions à un haut niveau.
L’égalité des sexes est aussi porteuse de liberté, avancent les auteurs. Elle délivre les hommes comme les femmes du carcan des stéréotypes de genre, qui définissent de manière stricte ce que chaque sexe doit faire ou ne pas faire pour être accepté socialement. Une société qui donne à chacun la chance de développer son plein potentiel, sans égard à des notions archaïques de masculinité et de féminité, dispose sans doute d’un réservoir de talents plus vaste où puiser ses espoirs olympiques.
Ces recherches vont dans le sens d’une foule de travaux sur la contribution des femmes à l’essor des organisations. D’autres chercheurs ont déjà montré que leur apport avait des répercussions positives sur le rendement des entreprises, la résolution de problèmes en équipe, la collaboration dans les instances politiques, la prospérité des États, la démocratisation des régimes autoritaires, et j’en passe.
Que l’exemple norvégien puisse nous inspirer. L’émancipation des femmes ne se fait pas au détriment de l’autre sexe, mais au bénéfice de l’ensemble de la collectivité.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de mars 2018 de L’actualité.
Le JO d’hiver sont presqu’exclusivement réservés aux pays nordiques. Or, il se trouve que ces pays sont parmi les plus égalitaires sur une planète où l’inégalité homme-femme est très marquée au sud
Si on lit l’article, cela vaut aussi pour les Jeux d’Été. En effet, les Jeux de Londres ont été pris en compte. Le Canada a beau être un pays nordique, il a lui aussi profité des Jeux de Rio. Malheureusement, il s’est trouvé des esprits chagrins à la radio de Québec pour s’en offusquer. Si on extrapole, la montée des inégalités, du sexisme et du racisme augure mal pour la récolte de médailles pour les États-Unis. Make USA great again est promis à faire patate à tous les points de vue.