Que veulent les Anglo-Québécois ?

Le nouvel Anglo-Québécois est-il arrivé ? Celui qui a bien appris le français, qui interagit vraiment avec ses collègues et ses voisins de la majorité linguistique ? Celui qui a fait la paix avec le fait français, la loi 101 ou, mieux encore, qui se solidarise avec la volonté de ce coin d’Amérique d’affirmer son caractère francophone, au moyen de quelques règles fortes s’il le faut ?  

Que veulent les Anglo-Québécois ?
Ill. : T. Gibault / Miss Illustration

Le nouvel Anglo-Québécois est-il arrivé ? Celui qui a bien appris le français, qui interagit vraiment avec ses collègues et ses voisins de la majorité linguistique ? Celui qui a fait la paix avec le fait français, la loi 101 ou, mieux encore, qui se solidarise avec la volonté de ce coin d’Amérique d’affirmer son caractère francophone, au moyen de quelques règles fortes s’il le faut ?

Il en a tout l’air. Il en a certainement la chanson. Mais dès qu’on franchit la porte ouverte par sa connaissance du français, on rencontre le plus souvent quelqu’un qui a, sur le présent et l’avenir linguistique du Québec, des attitudes et des opinions pour le moins étonnantes. Et les réponses des jeunes anglophones sont plus préoccupantes encore.

Consultez les résultats complets du sondage (en pdf) >>

Le portrait que dresse notre sondage CROP-L’actualité– 98,5 FM effectué à la mi-janvier révèle que la moitié des anglophones n’ont jamais eu de con­versation « significative » avec un francophone – jamais de leur vie ! Pourtant, 80 % des répondants affirment être suffisamment bilingues pour en soutenir une. Parmi ceux qui n’ont jamais vraiment conversé avec un francophone, on compte la moitié des jeunes de 18 à 34 ans et une nette majorité d’aînés (56 %). Mais la palme va aux hommes, qui à 60 % n’ont jamais vraiment brisé la glace linguistique. Par contre, 55 % des femmes font état d’une véritable conversation en français.

On signale toutefois une multitude de brefs échanges. Seulement un anglophone sur 10 affirme ne pas avoir prononcé un seul mot de français en une semaine. Le quart des Anglos avouent n’avoir utilisé le français que quelques minutes et 13 % l’ont parlé environ une heure. La moitié ont poussé la francophilie plus loin : au moins quelques heures – cette moitié correspond, évidemment, à ceux qui ont dit avoir de véritables conversations en français.

Une chose est certaine : les dispositions de la loi 101 qui obligent les grandes entreprises à assurer un environnement de travail en français ne passent pas la rampe dans le Québec anglophone. En effet, 63 % croient que ces entreprises doivent pouvoir embaucher des cadres supérieurs unilingues anglophones, « même si cela force les salariés francophones à travailler en anglais ». Cette proportion de réfractaires au droit de travailler en français atteint les trois quarts des jeunes de 18 à 34 ans. Vous avez bien lu : trois jeunes sur quatre trouvent normal que des francophones soient forcés de travailler en anglais. Tout un cadeau à offrir à la Charte québécoise de la langue française, qui aura 35 ans cette année. On en pleurerait.

Une majorité (54 %) croit d’ail­leurs que, avec la mondialisation, l’essentiel de l’activité économique à Montréal se fera en anglais dans un avenir plus ou moins rapproché. Chez les 18-34 ans, cette proportion atteint les deux tiers.

Une fatalité qui les attriste ? Pas tous. Nous avons testé l’affirmation suivante : « La position prédominante du français est l’ingrédient clé de l’originalité de Montréal. Sans elle, la ville perdrait son âme. » Réponse : 63 % des anglophones n’en ont rien à cirer. Le groupe des 18-34 ans forme le noyau de résistance le plus dur : 67 % sont en désaccord, dont 42 % le sont « totalement ». Fait intéressant, les Anglo- Québécois nés dans le reste du Canada et à l’étranger sont plus enclins à reconnaître la place centrale du français dans l’âme de la ville : 45 % y adhèrent.

Nous avons poussé le bouchon un peu plus loin avec cette affirmation : « Je suis en paix avec l’idée que Montréal deviendra une ville à prédominance anglophone, alors que le reste de la province gardera son charme francophone. » Encore une fois, une forte majorité est d’accord, dont 62 % des Anglo-Montréalais et un taux ahurissant de jeunes : 77 %.

Insatisfaits d’en rester là, nous avons voulu voir si les anglophones du Québec se sentent de quelque manière personnellement engagés dans le combat pour le maintien de la société distincte, en adhérant à cette phrase : « En tant qu’habitant du Québec, j’estime qu’il est de mon devoir de contribuer à ce que le français demeure la langue la plus importante ici. »

C’est non, et c’est non avec force : 72 % en bloc, presque 80 % chez les moins de 34 ans. Nous sommes ici au cœur du phénomène. Les Anglo-Québécois de 2012 interagissent avec le français comme jamais leurs parents et grands-parents ne l’ont fait depuis que Wolfe a mouché Montcalm sur les Plaines. Pourtant, ils se désolidarisent massivement du combat pour la permanence du fait français. Les chiffres sont brutaux : les nouveaux Anglos sont moins solidaires que les anciens, ceux de plus de 55 ans.

L’étonnante imperméabilité de la majorité des anglophones, et des jeunes en particulier, à l’avenir du français tient-elle en partie au fait qu’ils sous-estiment la place du français au Québec ? Interrogés sur la proportion de francophones que compte le Québec, le tiers de tous les anglophones et 42 % des 18-34 ans l’ont sous-évaluée, la chiffrant tout au plus à 60 % de la population, alors qu’ils sont 80 %.

Même illusion au sujet du poids des francophones à Mont­réal. Ils forment près de 60 % de la population (en déclin). Mais 37 % des 18-34 ans croient qu’ils forment tout au plus 40 % de celle-ci.

Il serait intéressant de savoir de quoi parlent les anglophones lorsqu’ils discutent, pendant une heure ou plus, avec des francophones.

De politique municipale ? Peu probable : 85 % d’entre eux (dont 74 % à l’extérieur de Montréal !) ne savent pas qui est Régis Labeaume. Pas moins de 56 % ne savent pas qui est Julie Snyder, 57 % ne sont pas exposés au charme de Véronique Cloutier, 61 % ne savent rien de l’omniprésent Normand Brathwaite, 74 % ignorent tout du techno-rock de Marie-Mai (malgré son duo avec Simple Plan) et 86 % n’ont jamais entendu parler d’une des personnalités les plus connues du Québec, Janette Bertrand.

D’autres ont franchi le mur de la langue. Ginette Reno est un nom connu par 74 % des anglophones (91 % des plus vieux), Gregory Charles par 56 %.

Finalement, nous avons voulu nous projeter dans l’avenir. Les Anglo-Québécois souhaitent-ils que leurs enfants soient bilingues ? La réponse est nette : 83 % jugent important que leurs enfants soient réellement bilingues dès leur majorité. Seulement 17 % disent ou diront à leurs enfants de « se concentrer sur d’autres compétences, pourvu qu’ils connaissent assez le français pour pouvoir demander leur chemin ou commander un repas au resto ». Une bonne nouvelle pour préparer une autre génération d’anglophones bilingues, mais peut-être aussi peu pratiquants que ceux de l’actuelle génération. D’autant qu’ici encore la proportion de jeunes moins ouverts au français est plus forte : 27 % croient qu’il suffira à leurs enfants de savoir commander un repas en français.

 

QUELQUES RÉSULTATS DU SONDAGE >>

LA LANGUE DE L’EMPLOI

À votre avis, les grandes entreprises montréalaises devraient-elles avoir le droit d’embaucher des unilingues anglophones comme cadres supérieurs, même si cela signifie que les salariés francophones devront travailler en anglais ?

OUI

Tous : 63 %
18-34 ans : 74 %
35-54 ans : 64 %
55 ans et + : 53 %


MONTRÉAL, VILLE ANGLAISE ?

Je suis en paix avec l’idée que Montréal deviendra une ville où l’anglais prédominera, alors que le reste de la province conservera son charme francophone.

OUI

Tous : 59 %
18-34 ans : 77 %
35-54 ans : 56 %
55 ans et + : 46 %


LE COMPTE À REBOURS EST COMMENCÉ

Compte tenu de la mondialisation et du pouvoir de la langue anglaise, ce n’est qu’une question de temps avant que l’essentiel du travail soit réalisé en anglais à Montréal.

OUI

18-34 ans : 65 %
55 ans et + : 42 %

La position prédominante du français est la composante clé de l’originalité de Montréal. Sans elle, la ville perdrait son âme.

OUI

18-34 ans : 33 %
55 ans et + : 43 %

 

MÉTHODOLOGIE : sondage CROP-L’actualité-98,5 FM effectué du 11 au 14 janvier 2012 par l’intermédiaire d’un panel Web. Sur les 752 participants qui ont rempli le questionnaire, nous avons retenu les 560 personnes de plus de 18 ans dont la langue d’usage est l’anglais et dont la langue maternelle n’est pas le français. Les deux tiers d’entre elles sont nées au Québec. Parmi l’autre tiers, 56 % y habitent depuis plus de 20 ans et 72 % depuis plus de 10 ans. Compte tenu du caractère non probabiliste de l’échantillon, le calcul de la marge d’erreur ne s’applique pas.