Quel avenir pour les camps de vacances du Québec ?

Pendant des décennies, des camps de vacances fondés par des communautés religieuses ont offert un bol d’air à des milliers d’enfants venant souvent de milieux défavorisés. Peinant à rénover des installations vieillissantes, ces camps sont aujourd’hui à la croisée des chemins : ils doivent se réinventer… ou fermer.

Le camp Bruchési, à Saint-Hippolyte, dans les Laurentides. (Photo : Camille Thominet)

Les expéditions en forêt ou sur l’eau, le goût des biscuits de la cafétéria et les médailles fabriquées à partir de morceaux d’écorce qui remplissaient sa valise à son retour. C’était il y a plus de 30 ans, mais Annie Guitard n’a rien oublié de ses étés passés au camp Saint-Donat, dans Lanaudière.

Chaque année, de l’âge de 7 à 12 ans, elle quittait la « pauvreté et la violence » de son milieu familial de l’est de Montréal pour partir à la découverte de la nature, avec des jeunes de son âge. Elle y a appris à faire du sport, à cohabiter et à faire confiance. « Je me sentais dans un autre univers, avec des gens qui prenaient soin de moi. »

À l’été 2018, ses deux garçons en ont profité à leur tour. Ce qui a été pour eux « les plus belles vacances de leur vie » aura aussi été leurs dernières sur ce site presque aussi grand que La Ronde, donnant sur le lac Archambault, l’un des plus vastes de la région. Le camp, qui depuis 52 ans accueillait principalement des jeunes de 6 à 16 ans issus de milieux défavorisés, a cessé ses activités plus tard cette année-là, en raison de ses coûts de réfection, d’entretien et de fonctionnement trop élevés. Le terrain a été vendu par la Fondation Centraide du Grand Montréal pour la somme de 5,6 millions de dollars, le double de l’évaluation municipale, à deux de ses donateurs, qui selon la Municipalité ont l’intention d’y construire leurs résidences.

L’histoire du camp Saint-Donat ressemble à celle de plusieurs camps de vacances du Québec où, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des milliers de jeunes s’évadent chaque été, le temps d’une semaine ou deux, peu importe la situation financière de leur famille. Mais la tradition est bousculée par les changements d’habitudes des Québécois, l’attrait des camps de jour et la pandémie, qui s’ajoutent au poids des bâtiments vieillissants. Ces camps, fondés dans bien des cas par des communautés religieuses qui les ont cédés au fil du temps à des organismes sans but lucratif, n’ont pas tous les moyens de rénover leurs installations. Pendant que certains disparaissent, d’autres tentent de se réinventer. Les étés de milliers de jeunes Québécois en quête d’aventure et de grand air dépendent du succès de cette délicate transformation.

***

L’éventail de possibilités pour affronter les défis des camps s’observe en concentré autour du lac de l’Achigan, le plus grand des 62 plans d’eau de Saint-Hippolyte, dans les Laurentides. Trois organisations y ont vécu des réalités très différentes au cours des dernières années : une vente, une fermeture et une tradition qui se poursuit.

En empruntant la route 333 vers le nord, quelques kilomètres après le village, on croise d’abord le camp Bruchési, fondé en 1928, qui s’étale sur trois lots de terrain. Le temps semble s’être arrêté en cet après-midi de décembre. Les embarcations nautiques sont recouvertes de neige et la statue de la Vierge Marie paraît bien seule, les bras tendus face au lac brumeux.

C’est devant cette effigie que les premiers campeurs se sont rassemblés il y a près de 100 ans, lorsque l’Institut de santé Bruchési a mis sur pied un camp de vacances pour les enfants atteints de la tuberculose. Parmi eux, la grand-mère du directeur actuel, Nicolas de Lorimier, lequel vient à notre rencontre devant le bâtiment d’accueil à bord d’un tracteur orange, entre deux opérations de déneigement. « Mon père aussi a été directeur. Ça a toujours été dans la famille », raconte ce trentenaire, en poste depuis 2008.

Le camp Weredale et le camp Bruchési, tous deux situés sur les rives du lac de l’Achigan. (Photos : D.R. ; Nicolas de Lorimier)

Quand il a pris les rênes de l’OSBL responsable du camp Bruchési, des toitures coulaient et les réparations de fortune n’arrivaient pas à faire oublier la dégradation des lieux. « Ça commençait à faire dur, lance-t-il. On a entretenu les bâtiments du mieux qu’on le pouvait avec les moyens qu’on avait, en attendant un acheteur prêt à investir avec nous. »

Ce moment est survenu en mars 2018, lorsque le lot sur lequel se trouvent les bâtiments a été vendu en deçà de l’évaluation municipale au Groupe R3, une société d’investissement immobilier. Son président, Éric Desroches, 35 ans, affirme que l’acquisition des deux autres lots sera conclue cette année. Il a investi plus d’un million de dollars dans les infrastructures : plomberie, électricité, système de sécurité incendie, toitures et installations septiques. Trois bâtiments ont dû être détruits et 13 sont encore debout. Ces rénovations faites, Nicolas de Lorimier mise désormais sur la diversité pour assurer la pérennité des lieux : au traditionnel camp de vacances estival s’ajoute l’accueil de familles, de groupes scouts, de groupes religieux ou de mariages, 12 mois par année.

Éric Desroches, lui, veut exploiter sur les autres lots un camp de vacances pour adultes, COCREA, qu’il espère pouvoir ouvrir l’été prochain. Il assure que même si le zonage le lui permettait — ce qui n’est pas le cas actuellement —, il n’utiliserait pas sa nouvelle acquisition pour bâtir des condos ou des résidences de luxe.

Bien des habitants de Saint-Hippolyte voient d’un œil inquiet la transformation du camp Bruchési, se plaignant déjà du bruit ou craignant un changement de vocation de l’endroit. Sauf que Nicolas de Lorimier est catégorique : « Si dans la tête des gens un camp de vacances, ça roule seulement l’été, financièrement, ça ne peut pas fonctionner. Mais si on nous laisse user de créativité pour trouver des sources de revenus différentes, tout est possible. »

À quelques centaines de mètres du camp Bruchési, celui de l’Armée du Salut n’est pas parvenu à trouver un second souffle. Ses bâtiments blancs aux toits rouges ont déjà accueilli près de 400 jeunes par été, mais ce nombre avait chuté de moitié dans les années qui ont précédé sa fermeture en 2020, notamment en raison de la popularité grandissante des camps de jour. « On perdait trop d’argent », affirme la porte-parole de l’Armée du Salut, Brigitte St-Germain.

La Municipalité a acquis le site l’an dernier au coût de 3,2 millions de dollars, soit 400 000 dollars de moins que l’évaluation municipale. Elle l’utilise entre autres pour tenir son camp de jour et abriter son service de sécurité communautaire. Les 150 m de plage sont désormais accessibles aux citoyens. 

De l’autre côté du lac, le camp Weredale semble quant à lui avoir échappé à la tempête qui a secoué ses voisins. L’arche qui accueille les visiteurs à l’entrée de ce camp fondé en 1934 est fraîchement repeinte. L’établissement a pu compter sur le soutien financier récurrent de son propriétaire, la Fondation Weredale, et de plusieurs fondations familiales, principalement anglophones. Les dons privés permettent de couvrir la moitié des coûts de fonctionnement, en plus des rénovations importantes lorsque le besoin se fait sentir.

Grâce à cette paix d’esprit financière, le camp Weredale reçoit annuellement 340 jeunes venant principalement de centres jeunesse ou de familles défavorisées, seulement pendant la période estivale et sans argent public. « Chaque année, on sait qu’on aura du soutien financier », explique la responsable du camp, Elizabeth Pusztai.

***

Assis au milieu d’un bureau sans fenêtre, dans l’environnement bétonné du Parc olympique à Montréal, le directeur général de l’Association des camps du Québec (ACQ), Éric Beauchemin, soutient que la majorité des quelque 115 camps de vacances du Québec sont en bonne santé. Pourtant, il évalue le déficit des investissements dans les infrastructures à 80 millions de dollars.

Il est difficile de déterminer l’état de santé de l’ensemble des camps, puisque le secteur ne relève d’aucun ministère et que les données officielles se font rares. La plupart adhèrent cependant à l’ACQ de manière volontaire. Éric Beauchemin estime qu’une vingtaine ont disparu entre 2000 et 2010, mais que cette vague de fermetures a été « freinée » depuis.

La pandémie n’a fait qu’accentuer les problèmes. Privés de la majeure partie de leurs revenus lorsque leur fermeture a été décrétée à l’été 2020, les camps ont dû rembourser aux parents plusieurs millions de dollars de dépôt. Appelé au secours par l’ACQ, le gouvernement du Québec a accordé près de 10 millions de dollars aux camps avec hébergement depuis le début de la crise sanitaire.

Cette enveloppe spéciale a permis aux camps de sortir la tête de l’eau, mais pour beaucoup d’entre eux, l’enjeu du financement demeure entier. Québec verse annuellement un peu plus de quatre millions de dollars à quelque 70 organisations hébergeant des enfants handicapés ou issus de familles défavorisées par l’entremise du Programme d’aide financière à l’accessibilité aux camps de vacances (PAFACV). Et les OSBL sont par ailleurs admissibles à des programmes de rénovation d’infrastructures sportives ou récréatives, mais aucun n’est spécialement destiné à la mise à niveau des installations. « Il y a eu des sous de la part du gouvernement pour des pistes d’hébertisme, des sentiers de randonnée, de l’achat d’équipement. Mais le gros du travail, c’est de refaire la cafétéria, les lieux d’hébergement, les toilettes », souligne Éric Beauchemin. 

***

Solliciter des donateurs, user d’ingéniosité pour générer des revenus, c’est ce qu’a fait le camp Mariste, situé sur un domaine de 350 hectares — plus de huit fois le camp Saint-Donat — à Rawdon. Lorsque les frères maristes ont cessé de le financer au tournant des années 2010, le directeur des opérations, Frédéric Dyotte, a dû trouver 80 000 dollars par année pour remplacer la contribution des religieux.

Son équipe et lui ont créé une nouvelle division, Chalets Lanaudière, qui loue 25 installations converties en chalets pouvant accueillir des groupes de 4 à 50 personnes. Tous les profits servent à financer le camp de vacances, établi dans un secteur isolé. « On a réussi notre pari, dit Frédéric Dyotte. Si on n’avait pas offert la location de chalets, je ne sais pas dans quel état seraient les bâtiments et je me demande si on serait encore là. »

Au camp Portneuf, dans la région de Québec, la location de chalets et la diversification des activités ont également permis de garnir les coffres. Sauf qu’après avoir tenté un projet-pilote en 2018 en accueillant pendant l’été des enfants ayant un trouble du déficit de l’attention (TDA), la direction a dû se rendre à l’évidence : le camp de vacances était exploité à perte, malgré les 18 000 dollars reçus annuellement dans le cadre du PAFACV. Cette année-là, le camp a enregistré un déficit de plus de 100 000 dollars, qu’il tente d’éponger depuis.

La direction s’est résignée à confier le volet camp de vacances à un sous-traitant, Camp Académie, qui offre désormais des séjours à une clientèle plus aisée, qui souhaite vivre une immersion anglophone. « On a commencé à faire de l’argent quand on a arrêté de s’occuper du camp de vacances », affirme le directeur général du camp Portneuf, Olivier Lauzon.

À son avis, concilier les coûts de fonctionnement élevés d’un camp de vacances et l’accueil d’une clientèle moins fortunée est pratiquement impossible. Surtout s’il faut générer des surplus pour financer des travaux. « Les camps qui ne sont pas en mesure de rénover leurs installations ne passeront pas au travers. Il va y avoir des fermetures dans les prochaines années », avance-t-il.

***

La survie des camps de vacances du Québec dépendra sans doute des revenus qu’ils parviendront à générer, du soutien de certaines municipalités et de l’appui d’organisations philanthropiques, comme Centraide du Grand Montréal, qui continue de verser annuellement près d’un million de dollars à sept camps.

Mais le gouvernement doit aussi agir en reconnaissant l’importance des camps de vacances et de l’accès à la nature pour des milliers de jeunes Québécois, soutient Éric Beauchemin, de l’ACQ. Quand les écoles ferment pour l’été, « c’est [eux] qui [prennent] le relais ». Au cabinet de la ministre déléguée à l’Éducation, Isabelle Charest, on répond cependant qu’aucune aide gouvernementale additionnelle n’est prévue pour le moment, ni pour réparer les infrastructures ni pour pallier la possible perturbation des activités l’été prochain à cause de la pandémie.

Les camps de vacances offrent pourtant des expériences uniques, insiste Réjean Roy, un ancien directeur du camp Saint-Donat, qui dirige maintenant le camp Kéno, au nord de Québec. « Un séjour dans un camp de vacances, c’est un séjour où un jeune peut être lui-même. Où il va vibrer au rythme de la nature, dit-il. Ce n’est pas un service essentiel, mais ça répond à un besoin essentiel. »