Quel consommateur êtes-vous ?

L’Enthousiaste, le Fier, l’Inquiet, l’Idéaliste, le Responsable… ceux qui sauront s’adresser à ces différents segments de consommateurs et les reconnaître parmi leur clientèle feront certainement des affaires d’or. Explications avec Alain Giguère, président de la maison de sondage CROP.

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Tout comme sur le plan sociétal, les tendances actuelles en consommation divisent grandement les gens au pays. Fini le temps où l’on pouvait distinguer les consommateurs uniquement selon leur revenu ou leur âge. La valeur ajoutée n’est plus l’apanage des plus fortunés, et l’innovation celui des jeunes (même si cela demeure quand même encore un peu vrai).

Mais pour vraiment comprendre les choix des consommateurs d’aujourd’hui, il faut comprendre leurs valeurs personnelles. Celles-ci guident leurs choix de produits, de services et de marques et inspirent leurs décisions. On peut certes observer quelques corrélations avec les caractéristiques démographiques et économiques (âge, sexe, scolarité, revenu, etc.), mais c’est parce que celles-ci sont un peu corrélées avec les valeurs des gens. Ce sont avant tout ces dernières qui guident les choix en consommation. Telles sont les conclusions de nos travaux.

Comme nous observons ce phénomène depuis plusieurs années et que nous mesurons des tendances très nettes et en pleine progression, nous avons voulu en faire une synthèse en regroupant les consommateurs canadiens dans de grandes familles ayant des motivations fort différentes.

Tout d’abord, trois tendances, en progression marquée depuis certainement une dizaine d’années (depuis la dernière récession), mettent en lumière les attentes et besoins des consommateurs :
1. Une frénésie de gratification poussant à investir dans l’achat de quoi que ce soit (peu importe la catégorie, il faut acheter, c’est un besoin irrépressible, un plaisir unique !) ;
2. Une sensibilité aux enjeux écologiques et sociaux de l’époque (on consomme ce qui est durable, écologiquement et socialement responsable) ;
3. Une inquiétude socioéconomique importante motivant une insistance sur le prix comme principal (si ce n’est seul) critère d’achat.

Dans le contexte de complexité et de turbulences sociales que nous vivons depuis plusieurs années, un besoin d’évasion s’est de plus en plus imposé au sein de la population. L’industrie du divertissement sous toutes ses formes en bénéficie certainement, mais la consommation est devenue une source unique de gratification. Consommer est maintenant une valeur prioritaire chez les gens. La consommation représente désormais un des plus grands plaisirs de la vie ! (Voir un de mes articles spécifiquement sur ce sujet.)

Parallèlement, le même contexte socioéconomique provoque des situations d’inquiétude chez d’autres consommateurs, ce qui les rend très prudents et les fait accorder une grande importance au prix lorsqu’ils effectuent des achats. Peur eux, le plaisir et l’évasion sont rarement au rendez-vous. On achète des « marchandises » par nécessité, en surveillant son budget de façon rigoureuse.

Enfin, une autre cohorte de consommateurs est devenue, avec les années, très sensible aux enjeux sociaux et écologiques qui pèsent sur l’époque. L’information nous bombarde régulièrement de scénarios apocalyptiques sur le devenir du monde, de la société et même de la vie sur terre. De plus en plus de consommateurs se sentent interpellés et veulent contribuer à des solutions relativement à ces enjeux, et ce, notamment par leurs choix sur les marchés.

Cinq segments de consommateurs, cinq types de besoins fort différents

La synthèse de ces tendances, et de toutes celles qui s’y rattachent, forme cinq grandes familles de consommateurs au pays pour lesquelles on n’observe aucune variation régionale majeure, et qui peuvent se résumer comme suit…

L’Enthousiaste (18 %) : La consommation est ici sans conteste une fin en soi. On consomme pour le plaisir, la gratification, pour s’évader, pour donner un sens à sa vie, pour la fierté de s’afficher avec tout ce qu’il y a de plus prestigieux et d’innovateur sur le marché, pour exprimer sa singularité comme personne, comme source d’inspiration, pour se donner de l’emprise sur sa vie.

La principale proposition de valeur pour convaincre les Enthousiastes d’acheter : l’innovation.

Le Fier (26 %) : La consommation est ici un gage de réussite sociale. Celle-ci est vécue et exprimée selon un mode très traditionnel : le « voisin gonflable » (« Keeping up with the Joneses », disent les Anglais). Des gens vraiment conservateurs qui définissent leur identité par ce qu’ils consomment, par ce qu’ils achètent et qu’ils peuvent afficher auprès des autres, socialement.

La principale proposition de valeur pour convaincre les Fiers d’acheter : bien paraître.

L’Inquiet (19 %) : Une vision apocalyptique et darwiniste de la vie actuelle (la vie est une jungle). Les menaces et les risques de la vie sont multiples et invitent à la plus stricte des prudences. L’attitude sur les marchés est principalement déterminée par cette prudence. On n’achète que les valeurs sûres et au moindre prix.

La principale proposition de valeur pour convaincre les Inquiets d’acheter : être le moins cher en ville.

L’Idéaliste (19 %) : Ici aussi, les choix de vie sont inspirés par une vision apocalyptique. Un alarmisme écologique est au centre de cette perspective. Mais chez ce consommateur, les menaces représentent l’inspiration nécessaire pour vouloir changer le monde. On rêve d’équité sociale, de choix de vie écologiques, d’engagement, de solidarité, et on croit sincèrement que si on s’y met, on peut y arriver. L’apocalypse est un projet pour ces personnes. Elle guide les choix de vie.

La principale proposition de valeur pour convaincre les Idéalistes d’acheter : changer le monde, un petit geste à la fois !

Le Responsable (18 %) : La responsabilité sociale et écologique est certainement au centre des motivations de ces consommateurs, mais ici, c’est la connexion avec autrui qui stimule l’action. L’appel pour aider l’autre, pour s’insérer dans une mouvance humaine qui nous remplit. L’époque ne donne pas les mêmes chances à tous. Des espèces disparaissent. Le climat, les guerres, la misère expulsent les gens de leur cadre de vie. Ces consommateurs veulent apporter leur contribution sur le plan humain par rapport à ces enjeux. Ils espèrent que les entreprises et les institutions les invitent à participer à des initiatives visant à s’attaquer à quelques-uns de ces problèmes sociaux ou écologiques.

La principale proposition de valeur pour convaincre les Responsables d’acheter : venez vous engager avec nous.

L’âge comme seul critère de différenciation

Il est intéressant d’observer que, mis à part l’âge, les caractéristiques socioéconomiques et démographiques ont peu d’influence sur le fait de se retrouver dans l’une ou l’autre de ces grandes familles de consommateurs canadiens (notons quand même que l’Inquiet a tendance à avoir un revenu plus faible que la moyenne).

Mais l’âge est certainement fortement associé à l’appartenance à ces segments de consommateurs. L’Enthousiaste et le Fier se retrouvent en majorité chez les moins de 35 ans (57 %), l’Inquiet et l’Idéaliste chez les 55 ans et plus (49 %), le Responsable se retrouvant à peu près également distribué chez tous les groupes d’âge et de générations. Ces résultats sont aussi parfaitement cohérents avec tout ce que l’on mesure habituellement dans les tendances chez les consommateurs : les jeunes sont vigoureusement animés par une quête de plaisir et de reconnaissance sociale, alors que le sens de la responsabilité sociale s’acquiert en vieillissant.

 

 

 

 

Des forces sociales opposées animent les marchés de la consommation

Dans cette ère de menace écologique et de remise en question de nos modes de vie (si on veut sauver l’espèce), une pluralité de consommateurs profondément motivés par le besoin d’« acheter » continuera quand même à représenter de bonnes occasions pour l’économie, et fera le bonheur des marques et des commerçants qui sauront s’adresser à eux de manières pertinentes. Cette tendance n’augure cependant rien de bon pour la planète.

Par contre, l’Idéaliste et le Responsable tendent à se restreindre à des styles de consommation plus frugaux, ce qui peut être fort bien pour la planète, mais moins propice pour l’économie.

Un avenir possiblement « durable » réside peut-être chez des consommateurs comme les Enthousiastes, lesquels sont les plus jeunes de notre segmentation. Ils sont certainement de très bons consommateurs, contribuant à l’économie tout en étant très sensibles aux enjeux écologiques et sociaux de l’époque. Ils sont dans l’attente de produits écologiquement et socialement responsables. Une demande très claire ainsi qu’une forte pression sur les marques, les fabricants et les commerçants.

En attendant, ceux qui sauront bien s’adresser à ces différents segments de consommateurs et les reconnaître parmi leur clientèle feront certainement des affaires d’or !

L’or du Rhin, de Wagner

Pour mon clip opératique de la semaine, on me pardonnera, j’espère, de revenir encore une fois sur L’or du Rhin, de Wagner. Mais la production audacieuse de cette œuvre à l’Opéra de Montréal ces jours-ci m’inspire fortement. L’idée de projeter le récit dans un avenir où la science et la technologie dominent largement la nature, au lieu de camper l’action dans le passé et les légendes médiévales, était effectivement un pari fort osé.

Idée qui me rappela une production tout à fait spectaculaire de l’Opéra de Valence qui fit du Ring une histoire de science-fiction !

L’extrait retenu ici est le vol de l’or au début de l’œuvre, lequel témoigne de l’âpreté de la quête de pouvoir et de gratification de l’homme, pouvant aussi rappeler celle qui s’exprime dans la consommation aujourd’hui.

Effectivement spectaculaire, et très beau !

Richard Wagner : Das Rheingold, Zubin Mehta, La Fura dels Baus, Unitel Classica, Valence, 2008.

Alain Giguère est président de la maison de sondage CROP. Il signe toutes les deux semaines un texte sur le site de L’actualité, où il nous parle de tendances de société… et d’opéra.

Pour lire d’autres chroniques d’Alain Giguère sur des tendances de société et de marché, rendez-vous sur son blogue.  

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Pour ce qui est de la consommation des services, il faudrait mettre fin à l’usage unique : l’école à usage unique, la banque à usage unique, l’hôpital à usage unique.

Je serais par contre bien d’accord avec le PM, le ministre, le député et même le maire a usage unique. Ainsi peut-être qu’on aurait la chance d’avoir des gens qui feraient une différence positive pendant seulement un mandat.

On achète le meilleur marché possible, et comme on en a pour son argent c’est rien que de la cochonnerie…qui casse ou qui s’use très vite et que l’on doit vite remplacer par une autre cochonnerie qui…