Récupérer des tonnes de cuivre, un câble à la fois

Diane Gionet-Haché dénude un par un de vieux câbles électriques de la mine Diavik, aux Territoires du Nord-Ouest. Un rude travail bénévole qui a permis de récolter des centaines de milliers de dollars pour des organismes de bienfaisance de Yellowknife.

Photo : Marie-Soleil Desautels

Des centaines de vieux câbles électriques noirs, rouges, bleus, verts ou jaunes jonchent le sol en gravier. Autour, encore des câbles, des conteneurs de câbles. Diane Gionet-Haché, Acadienne de 67 ans qui vit à Yellowknife depuis 2004, les démêle, les scie, les trie et les dénude. À côté d’un abri d’auto, le fruit de son travail de fée : des fils de cuivre entassés dans de gros sacs blancs luisent sous le soleil de juin, bien haut dans le ciel des Territoires du Nord-Ouest.

« J’adore faire ça ! » lance cette grand-maman de 1,57 m, les yeux rieurs derrière ses verres protecteurs. Vêtue d’un jean et d’un t-shirt maculés de saleté, bottes à embouts d’acier aux pieds, cette retraitée de la mine de diamants Diavik, d’où proviennent les câbles, ne s’arrête que pour une courte pause à l’heure du dîner.

Diane Gionet-Haché est infatigable. Son énergie, contagieuse. Ne lui suggérez pas — même à demi-mot, comme certains de ses quatre enfants — de se mettre au tricot. Elle carbure aux défis un peu fous. Comme de dénuder bénévolement de vieux câbles électriques recueillis par des employés de Rio Tinto à la mine afin de vendre le cuivre au profit d’œuvres de charité. Et pas pour de petites sommes : au terme de sa quatrième année, elle espère avoir redistribué près d’un million de dollars au total, après avoir dénudé quelque 75 tonnes de cuivre.

Opératrice de machinerie lourde pendant 12 ans à la mine Diavik, à environ 300 km au nord-est de Yellowknife, elle a pris sa retraite en 2018. Peu après, un collègue lui apprenait que la minière cherchait quelqu’un pour relever ce défi — une façon de maximiser la valeur de ces câbles inutiles au bénéfice de la collectivité.

« Je me suis dit que ça me ferait un bon hobby comme pensionnée, dit-elle. Mais personne ne pensait que j’étais capable de faire ça. Et je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’embarquais ! » Diane Gionet-Haché savait, par contre, que le potentiel financier était « faramineux ». Le cuivre, dont la valeur fluctue sur le marché, se vend alors environ sept dollars le kilo… et il y en a des tonnes.

La nouvelle retraitée fonce et convainc plusieurs entreprises de s’allier à la cause pour fournir gratuitement le terrain où travailler ainsi que l’électricité, des sacs et des bacs pour charger le cuivre ou encore ramasser les déchets. En avançant les fonds, elle achète les outils nécessaires, tandis que Rio Tinto déniche une petite machine à dénuder et lui offre du matériel de sécurité.

Le premier conteneur, auquel elle s’attaque en août 2019 avec des proches qui lui prêtent parfois main-forte, va donner près de 15 tonnes de cuivre. « J’ai fini fin janvier, dans le froid intense », se souvient-elle. Au printemps, après avoir suivi le cours du cuivre religieusement, elle vend le précieux métal à une entreprise de Vancouver et organise le transport. Elle se rembourse l’achat des outils, puis la coquette somme de 94 000 dollars est remise à la Yellowknife Women’s Society, un organisme sans but lucratif qui aide les femmes, leurs familles et des personnes vulnérables.

Durant sa première année « brutale », Diane Gionet-Haché récolte également des tendinites, faute de maîtriser les techniques pour manipuler câbles, scies ou pinces. Mais elle donne tort à tous ceux qui lui ont dit que c’était impossible. Encore une fois.

Ses efforts déployés pour dénuder 18 tonnes de cuivre rapportent environ 179 000 dollars en 2020. L’année suivante, elle vend son métal au plus haut du marché et obtient presque 290 000 dollars pour 22 tonnes.

Car son audace ne date pas d’hier. Dans sa quarantaine, elle fonde une fromagerie et finit par s’occuper aussi de plus de 200 chèvres, à Caraquet. Huit ans plus tard, en visite chez sa fille qui travaille depuis peu à Yellowknife, elle est envoûtée par le grand air du Nord, qui lui insuffle un nouvel élan : tout vendre et déménager là-bas avec son conjoint d’alors et leurs autres enfants.

Après y avoir suivi un cours de camionnage, à 52 ans, Diane Gionet-Haché se bute à un monde d’hommes qui parient qu’elle abandonnera. Elle les fait mentir et deviendra même la « reine de la route de glace », où elle conduit des camions de 18 roues six semaines d’affilée, près de 16 heures par jour… pendant ses congés à la mine.

Mais elle ne fait pas que bosser : elle s’initie au kayak et s’en passionne au point de rêver grand. Très grand. De 2009 à 2017, elle met six étés pour pagayer un total de 5 000 km, de Yellowknife à Gjoa Haven, soit sur le Grand lac des Esclaves, le fleuve Mackenzie et le passage du Nord-Ouest.

« Quand j’ai fini de pagayer, j’ai eu l’impression de vieillir de 10 ans, car j’avais atteint mon rêve. Avec ce hobby [du cuivre], moi qui aime l’ouvrage physique, je suis flat out le soir, mais je sais que ça va apporter quelque chose. C’est tellement satisfaisant », dit Diane Gionet-Haché.

Ses efforts déployés pour dénuder 18 tonnes de cuivre rapportent environ 179 000 dollars en 2020. L’année suivante, elle vend son métal au plus haut du marché et obtient presque 290 000 dollars pour 22 tonnes. Au moment d’écrire ces lignes, elle ignorait encore combien elle ramasserait pour le travail réalisé en 2022.

L’argent est versé dans un fonds d’appui communautaire de Rio Tinto, et un comité, apparu après le premier don, choisit à quels organismes il sera distribué, en tenant compte des recommandations de la fée du cuivre. L’Arctic Indigenous Wellness Foundation, la Banque alimentaire d’Ulukhaktok et le Centre d’aide aux familles de Hay River en ont notamment profité.

À Rio Tinto, les sommes recueillies par Diane Gionet-Haché ont inspiré un projet-pilote en 2022 : faire participer la population vulnérable à l’initiative, par l’intermédiaire d’un des programmes de la Yellowknife Women’s Society, qui offre des emplois aux personnes sans-abri, sous-employées ou souffrant de toxicomanie. 

Pendant huit mois, une dizaine d’entre elles, certaines revenant plus d’une fois, d’autres pas, ont ainsi travaillé plus de 2 200 heures, calcule Zoe Share, directrice adjointe intérimaire de l’organisme. Rio Tinto remboursait les salaires versés.

La fée a formé ces gens et les a pris sous son aile. « Ça a encore ajouté à l’initiative en donnant de l’emploi », se réjouit-elle, même s’ils ont mis sa patience à l’épreuve. « Moi, je carbure au jet fuel tout le temps, alors je ne les trouvais pas rapides et je me répétais souvent, mais c’était le fun et extrêmement valorisant ! » Des discussions sont en cours concernant la poursuite du projet-pilote.

L’âme de ce chantier songe à déléguer le travail physique. Elle se voit continuer à former la relève, à s’occuper de la vente du cuivre et du transport. « Je ne suis pas encore prête à lâcher ! » assure cette passionnée.

Rio Tinto a récemment investi dans une nouvelle machine pour dénuder les câbles afin d’améliorer le rendement. La production à la mine Diavik cessera en 2025, mais il reste pour « plusieurs millions » de fils de cuivre à la mine, admet le directeur des relations avec les médias à Rio Tinto, Simon Letendre. Ce qui sera fait avec ceux-ci « dépendra du scénario de fermeture de la mine qui sera retenu ».

En attendant, peu importe la météo, Diane s’active parmi les conteneurs, le cœur sur une main, une scie dans l’autre. Et lorsqu’elle n’est pas en train de dénuder des fils ou de surveiller le cours du cuivre, elle s’occupe de ses six petits-enfants, traverse le Canada à vélo ou promeut sa biographie, Oser : L’audacieux parcours de Diane de Caraquet à l’Arctique, écrite avec l’auteure Michèle Morel. Un ouvrage, espère-t-elle, qui incitera les gens à tenter l’impossible — après tout, c’est la lecture de livres d’aventurières qui l’a motivée à pagayer jusque dans l’Arctique !

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Je n’ai plus l’âge pour le gros travail physique, mais c’est brillant cette idée. J’ai travaillé toute ma vie à Hydro-Québec, et Dieu sait combien de tonnes de cuivre sont retirées de ses installations lors des modernisations des équipements.
Je ne sais si ce genre de récupération a lieu, mais pour un(e) jeune entreprenant(e) il serait intéressant de vérifier ça. On ne sait jamais jusqu’où cela peut mener.

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