Repenser notre territoire

« Je ne dirais pas qu’une meilleure planification urbaine pourrait résoudre tous nos problèmes… mais presque. » Essai de notre collaborateur, l’urbaniste-animateur Olivier Niquet.

Photo : Esch Collection / Getty Images

En cette période électorale, les politiciens nous font miroiter toutes sortes de projets présomptueux qui auront de vagues effets sur la qualité de vie des gens au-delà du court terme.

Bien sûr, la plupart ont le bien commun à cœur et sont bien intentionnés. Il n’en reste pas moins que certaines des idées qu’ils mettent en avant principalement pour faire des gains politiques peuvent miner les bénéfices engendrés par d’autres initiatives. C’est notamment le cas en matière d’urbanisme. La plupart des municipalités multiplient les aménagements qui améliorent la qualité de vie de leurs citoyens, mais le gouvernement du Québec peut réduire ces efforts à pas grand-chose en imposant des infrastructures tonitruantes.

Les aménagements urbains ont des conséquences directes sur la santé de la population et sur les inégalités sociales. Les médecins le disent et les exemples sont éloquents. Des chercheurs de l’Université du Manitoba ont montré en juin 2022 que parmi les gens qui fréquentent l’un des quatre nouveaux sentiers pour la marche et le vélo mis en place à Winnipeg, ceux qui vivent près ont vu leur risque cardiovasculaire baisser davantage que ceux qui habitent plus loin. À l’inverse, l’Association médicale canadienne estime que les émissions polluantes issues de la circulation routière favorisent l’apparition de l’asthme et augmentent le risque de maladies cardiaques et de pneumonies.

Tout ça est de surcroît lié au statut socioéconomique de votre quartier. Dans l’arrondissement relativement aisé d’Ahuntsic, à Montréal, les pistes cyclables pullulent, la canopée rivalise avec celle de l’Amazonie et on peut trouver des fromages fins dans un rayon de 500 m autour de chez soi. À côté, dans un quartier plus pauvre comme Montréal-Nord, des citoyens sont sortis dans la rue en juin dernier pour réclamer des pistes cyclables protégées de la circulation. Le nombre actuel de telles pistes étant de… une. La Ville de Montréal a proposé 41 projets de pistes cyclables cette année, mais aucun n’est destiné à Montréal-Nord. Selon une analyse du Devoir, 93,9 % des zones résidentielles y sont des déserts alimentaires. Faire son épicerie au dépanneur vous éloigne assurément du Guide alimentaire canadien et, encore une fois, c’est votre santé qui écope.

Ces disparités se mesurent un peu partout. C’est le cas de la Fonderie Horne, qui fait les manchettes depuis des mois. Les résidants du quartier adjacent souffrent de ses émanations nocives. « On ne devrait pas avoir de cancer de gens qui ne fument pas, causé juste par le code postal où ils habitent », a déclaré une porte-parole de ceux-ci à Radio-Canada. Les codes postaux problématiques se trouvent dans les quartiers les plus abordables et ce sont toujours les moins nantis qui en pâtissent. À Montréal comme à Trois-Rivières, les quartiers les plus pauvres sont souvent situés à l’ombre des cheminées des usines. Le gouvernement a le pouvoir de changer ses normes de tolérance à la pollution et la municipalité est tributaire de ces décisions. Elle doit vivre (ou périr) avec ce choix de localisation.

Pendant ce temps, la crise du logement se poursuit aux quatre coins du Québec. L’augmentation du coût des loyers ampute le budget des familles ou les force à déménager trop fréquemment, ce qui nuit au développement des enfants. D’ailleurs, selon le recensement de 2016 de Statistique Canada, à Québec, Saguenay et Sherbrooke, les quartiers centraux sont aussi les plus pauvres. Parce que la mobilité y est plus facile et que les emplois y sont plus nombreux, ceux qui ont peu de moyens s’y agglutinent, tandis que les plus riches s’en vont étaler leur urbanité dans leur pelouse à l’ombre de magnifiques haies de cèdres. Les moins nantis, qui auraient bien besoin de leur argent pour autre chose, contribuent à subventionner les autoroutes et les stationnements que l’on construit au bénéfice des plus aisés. Des autoroutes qui convergent vers le centre, où les particules fines s’additionnent et ont pour effet d’augmenter la pression sur le système de santé. Ces particules fines, je vais oser le dire, ne sont pas fines.

Aux États-Unis, des experts du transport et de l’urbanisme estiment que la construction d’autoroutes et de centres commerciaux a amplifié la ségrégation raciale. Des secteurs ont été coupés du reste de la ville par des autoroutes à 6, 8 ou 42 voies. Les centres commerciaux excentrés, en plus de condamner des commerces locaux, sont devenus inaccessibles à des minorités ethniques qui n’ont pas les moyens de se déplacer. Si la polarisation ambiante et le racisme (au moins systémique) sont moins évidents au Québec qu’aux États-Unis, les effets de ces infrastructures sont les mêmes. De Saint-Eustache à Saint-Hyacinthe, l’autoroute emmure certains quartiers et décourage les habitants d’utiliser les transports actifs, ne serait-ce que la marche, pour aller plus loin.

Les propositions urbanistiques des partis en lice pour gouverner le Québec auront des conséquences durables si elles se réalisent. Choisir de construire des infrastructures quelque part seulement parce qu’il y a des terrains à exploiter n’est pas une stratégie pérenne. La localisation des prochaines grandes usines, les normes qu’on leur imposera, la construction d’autoroutes, de ponts ou de liens (le premier comme le troisième) auront des répercussions, positives ou négatives, sur la santé des citoyens. Et pas juste la santé physique. Une petite marche en forêt aide à atténuer les effets de l’anxiété ou du TDAH. Difficile toutefois de faire une promenade à travers les arbres lorsqu’on vit dans une forêt de macadam. 

Il faut convaincre les citoyens qu’il vaut mieux faire 30 minutes de vélo pour aller travailler que 15 minutes d’auto pour aller pédaler au gym.

Je ne vous parlerai pas de la contribution aux changements climatiques (vous savez déjà tout ça), sauf peut-être pour vous signifier que, selon une récente étude publiée par la revue scientifique Environment International, la concentration moyenne de spermatozoïdes de l’homme occidental a chuté de 60 % en moins de 40 ans, notamment en raison de la pollution. Ceux qui espéraient gonfler leur virilité avec de grosses voitures ont peut-être concouru à la faire dégonfler. Un politicien qui souhaite réduire la pression sur le système de santé devrait tenir compte de tout ça. 

Il y a quand même de l’espoir. Québec a récemment présenté sa Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, qui prend acte de la situation et affirme vouloir « orienter la croissance urbaine vers des milieux déjà dotés d’infrastructures et de services publics, situés au cœur de nos villages et de nos villes, limitant ainsi l’étalement urbain ». Une nouvelle génération de maires misera sans doute sur cette volonté pour déployer des initiatives qui vont agir positivement sur la santé. Ce n’est pas sorcier : il faut planter plus d’arbres et offrir des options pour le transport actif. Il faut convaincre les citoyens qu’il vaut mieux faire 30 minutes de vélo pour aller travailler que 15 minutes d’auto pour aller pédaler au gym. Un comptable parlerait d’efficience. Dans tous les cas, le cycliste doit trouver piste cyclable à son pied.

Je ne dirais pas qu’une meilleure planification urbaine pourrait résoudre tous nos problèmes… mais presque. Parce que ces projets touchent également la mixité de la population. Construire des ponts va faire augmenter le trafic et peut aussi avoir pour effet de couper des liens entre des collectivités. Ces enjeux ont donc une incidence sur la cohésion sociale et, dans un contexte où celle-ci s’effrite à un rythme grandissant, il conviendrait que nos politiciens en tiennent compte en mettant de côté leur vision à court terme. La bonne nouvelle dans tout ça, c’est qu’il me semble qu’on parle plus que jamais d’urbanisme dans les médias depuis quelques années. L’aménagement urbain est en train de devenir un sujet grand public, comme l’économie, le sport et l’émission Occupation double. Il y a de l’espoir.

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On aimerait que nos politiciens nous présente une telle vision du développement urbain qui vise à améliorer la qualité de vie.