Olivier Niquet a étudié en urbanisme avant de devenir animateur à la radio de Radio-Canada en 2009 dans les émissions Le Sportnographe et La soirée est (encore) jeune. Il est aussi chroniqueur, auteur, conférencier, scénariste et toutes sortes d’autres choses. Il s’intéresse particulièrement aux médias mais se définit comme un expert en polyvalence.
Il est fascinant de voir, au moment où l’on souligne les 10 ans de la crise étudiante de 2012, comment les protagonistes de l’époque ont évolué sur les scènes médiatique et politique. Il semble s’agir d’un tournant pour la carrière de nombreuses personnalités publiques.
Cette période aura été pour elles une sorte d’âge d’or. La politique de la division (wedge politics) qui rencontre la nouvelle ère des réseaux sociaux. C’est bien sûr à cette époque que nous avons fait la connaissance de Gabriel Nadeau-Dubois, maintenant co-porte-parole de Québec solidaire. Mais c’est aussi à ce moment qu’Éric Duhaime, maintenant chef du Parti conservateur du Québec, a commencé à faire parler de lui en raison de ses prises de position contre le mouvement des carrés rouges.
Je ne comparerai pas les deux sur le fond. Ils présentent des idées légitimes. Quant à la forme, disons qu’il y en a un dont j’apprécie moins les procédés. De toute façon, je ne peux être objectif puisque j’ai un ami commun avec Gabriel Nadeau-Dubois et que nous avons déjà joué à un jeu de société ensemble en 2015. Je n’ai jamais joué au backgammon avec Éric Duhaime.
Il reste que les deux se sont sans doute rendu compte en 2012 que les réseaux sociaux sont parfaits pour se saisir du sujet du moment afin de mobiliser les troupes. Depuis, ils ont opté pour la stratégie d’être très présents sur ces plateformes et, surtout, de n’être pas plates. La subtilité n’est pas payante sur Internet. Il vaut mieux lancer des grenades. Tourner une vidéo avec un wok lorsque François Legault vous traite de woke, comme l’a fait GND, ou discuter en direct avec la députée Claire Samson de l’accouchement de sa jument, comme l’a fait Éric Duhaime.
À l’inverse, un autre acteur du printemps étudiant, Jean Charest, n’a jamais suivi la parade, espérant peut-être que la mode d’Internet allait passer rapidement. Son absence de positionnement sur les réseaux sociaux pourrait lui coûter la chefferie du Parti conservateur du Canada.
Il en va de même pour les chroniqueurs. On se souvient du fameux tweet de Richard Martineau sur la sangria : « Vu sur une terrasse à Outremont : 5 étudiants avec carré rouge, mangeant, buvant de la sangria et parlant au cellulaire. La belle vie ! » Il a d’ailleurs déclaré récemment que ce tweet avait changé sa vie, le faisant passer de chroniqueur cool à ennemi public numéro un. Comme les politiciens mentionnés précédemment, il a peut-être compris à ce moment que d’appuyer sur les bons boutons de l’opinion publique pouvait susciter beaucoup de réactions, contribuer à sa notoriété, et être en fin de compte plutôt enivrant.
Je sais de quoi je parle. En 2012, l’émission de radio à laquelle je participe entamait sa première saison, et souligner les dérapages des médias autour du mouvement des carrés rouges était notre pain et notre beurre. Si depuis je n’ai pas totalement succombé à l’ivresse de faire réagir pour accumuler du capital social, la tentation est constante.
Je remarque (il était temps, me direz-vous) que d’être un peu plus corrosif pourrait être payant au chapitre de la notoriété. Je me suis récemment fendu de quelques publications qui, sans être particulièrement brillantes, ont eu beaucoup d’effet sur les réseaux sociaux. Je parlais d’appuyer sur les bons boutons de l’opinion publique : mission accomplie. Mon lectorat a considérablement augmenté à la suite de ces déclarations-chocs. Des déclarations qui étaient au final plus précises que choquantes, dans le sens qu’elles plaisaient beaucoup à un auditoire précis.
Tout ça pour dire que je comprends un peu mieux l’ascension de certaines personnalités publiques qui n’ont pas la langue dans leur poche. Mais entre vouloir attirer l’attention et se transformer en Elvis Gratton postmoderne sur les réseaux sociaux, il y a un gros pas.
Ça me rappelle la lettre qu’a publiée il y a un an l’ancien maire de Huntingdon et ex-animateur de radio Stéphane Gendron, qui a longtemps donné dans la polémique, lorsqu’il s’est joint à la campagne de sensibilisation « Liberté d’oppression ». Il y expliquait avoir été entraîné dans une sorte de spirale. « Longtemps j’ai chanté dans cette sinistre chorale aux quarts de ton douteux et aux dissonances faciles ornées de mauvais goût et aux fioritures parfois destructrices. Pendant mes années comme “commentateux” à la télé et à la radio, je me suis enfoncé dans le trash et l’opinion instantanée. La découverte du pouvoir et de l’influence que j’avais m’a monté à la tête. C’était malsain, ça m’a amené dans une spirale de violence verbale qui nuisait au débat. »
J’ai toujours rêvé d’être dans la tête d’un polémiste professionnel pour comprendre la proportion de ce qu’il croit vraiment par rapport à ce qu’il dit pour faire de l’esbroufe et attirer l’attention. Mon évaluation ? 25 % de convictions et 85 % de spectacle (un polémiste donne toujours son 110 %).
Avec une opinion publique scindée, le défi des politiciens est de mobiliser la base. De « faire la nouvelle », peu importe laquelle, pour inspirer leurs partisans. C’est là qu’interviennent les tweets racoleurs de nos figures politiques et médiatiques. Parce que même si seule une faible proportion de la population est sur Twitter, l’élite médiatique y vit en permanence et fera percoler vos contenus dans les médias traditionnels. C’est au printemps 2012 que plusieurs ont allumé pour la première fois à propos de cette « influence qui monte à la tête ». Ce fut pour eux un printemps incandescent.
Excellente analyse.